Critiquées par l’opinion et délaissées par les entreprises, les études marketing ont perdu leur caractère stratégique dans les organisations. À nous, professionnels du secteur, de les réimposer comme un actif essentiel en capitalisant sur la force de frappe de l’espace numérique inexploitée par les instituts classiques.

Trop biaisées, trop chères, trop longues : les mille et un défauts des études d’opinion

Les biais méthodologiques des sondages sont très bien documentés par la littérature scientifique, notamment sociologique. L’échantillonnage, qui en est son essence même, a sûrement été sa composante la plus régulièrement remise en cause. Car, supposément représentatif, il reste, quantitativement et qualitativement, arbitrairement défini. Même s’il venait à correspondre en tout point aux statistiques de l’INSEE, il ne serait pas en capacité d’intégrer toute la complexité des individus, leurs parcours personnels, leurs ancrages culturel ou géographique et, plus largement, l’ensemble de leurs spécificités propres. Chacun est enfermé dans un idéal-type qui dicterait l’ensemble de ses comportements. L’échantillon parfait n’existe pas. Au mieux, il ne reste que statistique.

Pour les panels de consommateurs, la rémunération parfois offerte au participant amoindrit encore la crédibilité des résultats de l’étude. Ajoutons à cela la volatilité de son opinion, son inclinaison psychologique à ne pas dire ce qu’il pense vraiment ou encore la temporalité dans laquelle il répond. Après la publication de la photo du petit Aylan Kurdi, mort sur une plage en tentant de rejoindre l’Europe, une majorité de Français s’étaient déclarés favorables à l’accueil des réfugiés. Inversement, après un attentat ou un fait divers impliquant un réfugié, l’hostilité grandit. Immédiatement après un Envoyé Spécial ou Complément d’Enquête à charge, la confiance des consommateurs envers une marque ou une entreprise baisse irrémédiablement, avant de remonter mécaniquement ensuite.

Cet amoncellement de biais s’applique tant aux sondages politiques classiques qu’aux études marketing. Et les dirigeants d’entreprise en ont pleinement conscience. Une étude que nous avons menée en avril dernier indique que 65 % des décideurs les considèrent mal diffusées et peu consultées en interne, 53 % les perçoivent peu exploitées, 46 % trop chères et 16 % trop longues à produire. En bref, les études marketing ont perdu leur intérêt stratégique et ont été reléguées au rang de simple fonction support. Alors même qu’elles restent, à hauteur de 68 %, légitimes aux yeux des décideurs. Sous certaines conditions…

Le numérique n’a pas changé la donne pour les instituts

Les chefs d’entreprise veulent des études rapides, moins chères et facilement exploitables. 60 % exigent des résultats en moins d’un mois, 52 % aspirent à plus d’autonomie, avec une capacité à piloter seuls les résultats et 31 % attendent de l’étude qu’elle intègre une composante big data. Un bouleversement des attentes qui a entraîné une restructuration partielle du marché, avec l’avènement de nouveaux acteurs venant fissurer le monopole acquis par les instituts.

Les acteurs classiques n’ont su que partiellement se saisir du numérique pour tenter de combler l’inefficacité des méthodes passées et tenter vainement d’en éliminer les limites. Ils ont, à différentes échelles, intégré des briques digitales, en intégrant à la marge le multidevices, l’analyse de trafic, le digital tracking ou les campagnes de recrutement par mailing. Sans répondre aux aspirations les plus profondes des décideurs. Car le vecteur numérique a été intégré dans le mode de production, mais pas dans les principes mêmes de l’étude qui embarque les mêmes défauts. Trop chère, trop longue, trop biaisée.

Intégrer l’efficacité dans les études sans sacrifier les fondements méthodologiques

Faciliter la conduite d’études à tous les niveaux de l’entreprise, c’est donner aux individus la place qu’ils méritent et revendiquent. C’est les réintégrer dans le processus de décision de l’entreprise. Une exigence qui répond à la transformation du consommateur en client soucieux d’être individualisé, compris et écouté par les marques. Face au temps long des études classiques, nous devons être capables de proposer des résultats fiables, opérationnels, et sans délai. Face à la complexité des études, une expérience respectueuse et non biaisée pour les répondants et des résultats exploitables et générateurs de décisions pour toute l’entreprise est nécessaire. Face au resserrement des budgets, l’étude doit être financièrement abordable et être génératrice de retours sur investissement. L’efficacité doit se substituer à l’organisation monolithique et verticale des études habituellement menées.

Cette exigence d’agilité doit s’accompagner d’une consolidation de la fiabilité des résultats. Le ciblage à très grande échelle offert par les médias numériques permet de répondre aux enjeux de scalability, avec la capacité de fournir des échantillons de très grande taille, grâce à une approche internationale, transgénérationnelle et transclasse sociale. En intégrant, par exemple, des individus ordinairement exclus des panels, notamment les jeunes et les CSP+. L’environnement numérique pose aussi une contrainte technique, en obligeant à limiter le nombre de questions posées. Ce qui est en fait un avantage : l’étude devient plus rapide, moins intrusive, moins contraignante pour les individus, et les réponses sont plus sincères.

N’ayons pas peur, enfin, d’ôter au sondage un but prescriptif fantasmé et un habillage scientifique construit pour maintenir le monopole des instituts classiques. L’étude d’opinion n’est pas là pour prédire l’avenir. Mais pour décrire un réel souvent méconnu des entreprises, pour dessiner les grandes tendances qui traversent l’opinion et, dans une large mesure, pour identifier les signaux faibles qui pourraient demain bouleverser les comportements de consommation. Et ce, à l’échelle de millions d’individus. Ce qui, pour une marque désireuse de parler intimement et différemment à ses clients, est désormais nécessaire.