Dans une période marquée par le changement et l’incertitude, l’information joue, plus que jamais, un rôle phare dans notre capacité à relever les défis du 21e siècle. Tout comme l’économie amorce sa bascule vers des modèles circulaires, le marché de l’information va devoir lui emboîter le pas, pour réussir à remplir une mission dont il s’est détourné, malgré lui, petit à petit.

Dépossédé des flux de diffusions par le digital et prisonniers du modèle économique publicitaire, un grand nombre de médias a dû alimenter un lectorat insatiable et augmenter sa cadence pour produire encore et toujours plus d’informations. Le qualitatif s’est ainsi retrouvé noyé dans un quantitatif accessible gratuitement et amplifié par la démultiplication des producteurs d’informations (entreprises, groupes de réflexion, ONG, citoyens, etc.). Une croissance exponentielle de contenus qui a eu comme corollaire de générer une baisse d’intérêt doublée d’une perte de confiance. Fragilisés, les médias ont vu, malgré les subventions, leur concentration se renforcer.

Actuellement, selon l’ACPM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias), 11 personnes physiques détiennent 81 % de la presse quotidienne nationale et 95 % de la presse hebdomadaire. Alors, pour parvenir à enrayer cette dynamique, le marché de l’information va devoir se réinventer et reconstruire, non plus un, mais plusieurs modèles économiques. Et, probablement, s’ouvrir à d’autres acteurs dans un esprit de coopération et de mutualisation (production, distribution voire impression). Une évolution logique, finalement, dans un contexte de bascule vers une économie régénératrice.

L’éco-rédaction pour concevoir de l’information durable

Appliquer à l’information les principes de l’écoconception et envisager son traitement comme durable, pérenne et réutilisable, pourrait être un point de départ pertinent. Cette transposition vers une “éco-rédaction” permettrait de s’émanciper du système Fast News, et donc de la malbouffe informationnelle, en repositionnant le modèle sur la valeur de l’information et non plus sur la publicité et les données personnelles. De nouveaux médias positionnent, en ce sens, leur modèle sur la création de valeur avec une information de qualité. C’est souvent le cas de petites structures indépendantes ou, par exemple, d’associations et de coopératives d’intérêt collectif (SCIC) qui, en tant que membres de l’Économie Sociale et Solidaire, parviennent à intégrer le marché de l’information. Selon la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse (CPPAP), environ 28 % des publications de presse imprimées relèvent aujourd’hui de l’économie sociale et solidaire. Les éditeurs de presse en ligne recensent, de leur côté, 111 associations (8,3 %) et 11 coopératives (1 %).

Une information utile et au juste prix

L’information à un prix juste et accessible à toutes les bourses pourrait être le postulat de base. La condition sine qua non pour sortir d’un système qui pousse à la surproduction et à la surconsommation. Pour ça, il faut, d’une part, un lectorat prêt à participer financièrement, et, d’autre part, des organisations en capacité de s’assurer un retour sur investissement quant à leur consommation d’informations. Cela tout en favorisant la rentabilité des producteurs d’informations. Ce qui implique d’avoir identifié, au préalable, celles qui sont utiles.

C’est le cheval de bataille du groupe de réflexion Informations pour le Monde Suivant (IMS) qui œuvre depuis 2019 à valoriser cette “information utile d’intérêt collectif” notamment grâce à une méthode de production et une signalétique pour baliser les domaines essentiels comme l’éducation, la paix, l’environnement et la santé. Cela peut contribuer à augmenter l’offre de contenu de qualité, qui comme pour le bio, est meilleur pour la santé mais coûte généralement plus cher. Comme le dit très justement Bruno Patino, dans son essai “La civilisation du poisson rouge” : “il est beaucoup plus facile et beaucoup moins cher de produire de la vraisemblance que de la vérité.” Le président d’Arte France, invite, dans son ouvrage, à mettre un terme à une économie de l’attention débridée.

Passer d’une économie extractive à circulaire

À terme, le marché de l’information va devoir généraliser son passage d’une économie extractive à une économie circulaire et de la fonctionnalité. C’est peut-être là le sens de l’histoire. Nous avons tous pris conscience que les matières premières ne peuvent pas être extraites à l’infini et continuer, après leur transformation et leur usage, à devenir des déchets. L’information nous a semblé jusqu’à présent échapper à la règle. Or on s’aperçoit que produire de l’information utile et la convertir en actions et en connaissances n’est pas sans coûts ni externalités !

Nous pourrions comparer la collecte d’informations brutes à celle de matières premières, raffinées et traitées pour être transformées en produit avant d’être acheminées vers les consommateurs. Autant d’étapes consommatrices de ressources humaines, financières et d’énergie (déplacements, temps de travail, investissements, réseaux, terminaux, réseaux sociaux, portails d’informations, plateformes de veille, outils d’analyse, etc.). La création de bases documentaires et de connaissances permet, dans cet esprit, de réutiliser des informations, de collaborer avec d’autres parties prenantes, afin de les mutualiser voire de les louer. L’information se voit ainsi pourvue de plusieurs cycles de vie.

L’IA ne doit pas devenir le pesticide du monde de la pensée

Mais, tout comme le bio cherche à nous éloigner des pesticides, il faudra être vigilant à ne pas tomber dans de nouvelles dépendances. Très récemment, le groupe Springer annonçait pour ces titres Bild et Die Welt le remplacement des postes de secrétaires de rédaction et de maquettistes par… de l’intelligence artificielle. Relectures et mises en page seront désormais assurées par des algorithmes. Une suite logique un peu extrême à cela voudrait voir arriver prochainement le remplacement des rédacteurs. L’effervescence générée par l’arrivée de ChatGPT, moteur d’IA développée par OpenAI, fait couler beaucoup d’encre. Quand ce n’est tout simplement pas la sienne.

On lui attribue déjà 250 ebooks rédigés sur Apple et plus de 200 livres “co-écrits” vendus sur Amazon. Poussée à son paroxysme, cette réduction des coûts de production déboucherait potentiellement sur cette situation absurde où l’intelligence artificielle produirait, non plus à partir de l’apprentissage d’articles écrits par l’humain, mais… par elle-même. Le coût marginal de la production de contenu tendrait alors vers zéro ne laissant plus de place à un modèle économique viable favorisant l’investigation, l’enquête de terrain, l’enrichissement du carnet d’adresses d’experts et de référents et donc l’analyse qui en découle et, surtout, peu de place à l’intelligence humaine et collaborative. L’IA doit conserver son rôle d’auxiliaire au risque de devenir le pesticide du monde de la pensée : une solution de facilité pour une production industrielle intensive conduisant à un appauvrissement des sols intellectuels, un affaiblissement de l’esprit critique déjà bien malmené.

Passer de chasseurs-cueilleurs à chercheurs-faiseurs

Pour délivrer une information “bio”, il faut donner aux médias les moyens de pouvoir augmenter leur coût de production, seule façon d’être en mesure de développer l’investigation et de réaliser des synthèses à partir d’informations primaires et de terrain. L’idée est de réussir à sortir du bâtonnage de dépêches, ou autres contenus trouvés en ligne, pour ne plus produire à moindre coût des articles au titre accrocheur uniquement destinés à générer du “clic”. Au milieu d’un champ de bataille de l’attention, sans parfois qu’elle en ait conscience et, surtout, sans qu’elle y soit préparée, la population en arrive à fuir l’information (à hauteur de 38 % selon le rapport Reuters institute 2022).

L’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) commence à prendre une place importante dans l’activité de nombreux médias de l’ESS de proximité et se retrouve parfois inséparable de l’activité de production d’informations. Certains grands réseaux de l’éducation populaire, comme les Petits Débrouillards ou la Ligue de l’enseignement, s’investissent sur cette thématique au sein des établissements. Il s’agit, in fine, de parvenir à ne pas se laisser submerger ou influencer en apprenant à identifier et à consommer de l’information qualifiée pour enrichir nos connaissances et notre compréhension du monde et aboutir ainsi à des prises de décision éclairées. A l’ère de l’économie de la connaissance nous devons devenir des chercheurs-faiseurs tout comme nos ancêtres du paléolithique étaient devenus des chasseurs-cueilleurs.