Ces derniers mois, l’intelligence artificielle (IA) est au cœur de tous les débats. D’un côté, des experts et régulateurs s’inquiètent des dérives de cette technologie. L’Italie a même décidé d’interdire ChatGPT. De l’autre, des professionnels cherchent à exploiter toutes les possibilités qu’elle offre. C’est notamment le cas dans le monde du jeu vidéo, où les grandes sociétés s’appuient sur cette innovation pour développer plus rapidement des jeux plus interactifs.

Répondre à des enjeux de productivité et de créativité

Dans le secteur vidéoludique, l’intelligence artificielle permet de faire face à plusieurs enjeux, parmi lesquels les délais de développement d’un jeu.

Avant d’arriver sur les écrans des joueurs, un jeu passe par une myriade d’étapes. Parmi celles-ci, la conception, qui permet de formaliser le projet. Les lieux et personnages sont réfléchis et esquissés à ce moment-là par les Game Artists. L’élaboration de ces visuels demande plusieurs mois.

Pour réduire les délais, Electronic Arts s’appuie sur l’IA. Comme l’explique le Wall Street Journal, la technologie permet à l’éditeur de réaliser plus vite des croquis à l’ordinateur. Lorsqu’ils sont réalisés à la main, plusieurs semaines sont nécessaires. Désormais, quelques heures suffisent.

En parallèle, des géants du jeu vidéo se lancent dans le développement d’outils alimentés par l’IA générative, comme Roblox. Sa solution, qui sera lancée dans quelques semaines, permettra de créer rapidement des nouveaux types de matériaux virtuels et des mouvements. Avec celle-ci, les développeurs pourront élaborer des contenus à partir d’un prompt textuel. Une seconde technologie permettra, elle, de compléter du code informatique.

« Si vous avez une idée incroyable en tête, vous pouvez en faire une réalité », s’extasie Dan Sturman, responsable technologique de Roblox.

Ubisoft a également succombé à la mode de l’IA. Il y a quelques semaines, l’éditeur français a introduit un outil nommé Ghostwriter. Comme son nom le laisse supposer, il s’agit d’un écrivain fantôme qui conçoit les dialogues des personnages non-joueurs. Pour fonctionner, un scénariste entre une phrase. Grâce à l’IA, celle-ci est ensuite déclinée en plusieurs versions selon l’émotion ou l’effet souhaité.

Une technologie qui soulève quelques interrogations

Si les géants du jeu vidéo sont fiers de leurs innovations, les joueurs et experts du secteur ne les voient pas toutes du bon œil. Celle d’Ubisoft n’a notamment pas fait l’unanimité. Bien que l’entreprise ait assuré que la machine ne serait utilisée que pour créer quelques dialogues derrière lesquels un humain devra repasser, son utilisation en alarme plus d’un. La question de l’emploi est mise en avant par les spécialistes du jeu vidéo.

Pour Alanah Pearce, scénariste du jeu Peace of War Ragnarok, « devoir éditer des dialogues générés par l’IA prend bien plus de temps que d’écrire mes propres lignes. Je préférerais de loin que les studios AAA utilisent le budget qu’ils consacrent à la création d’outils comme celui-ci pour embaucher davantage de scénaristes ». Même son de cloche du côté d’Edd Coates, Lead UI Artist chez Radical Forge, qui estime que « ce travail aurait pu créer un emploi pour un Junior ». En effet, c’est en rédigeant les petites lignes secondaires des jeux vidéo que les jeunes scénaristes acquièrent de l’expérience dans ce domaine assez bouché.

Les spécialistes s’interrogent aussi sur la cohérence des dialogues générés par l’intelligence artificielle. En février dernier, Microsoft a lancé une nouvelle version de son moteur de recherche Bing, qui intègre cette technologie, car plusieurs internautes ont reçu des réponses inexactes et offensives. Les développeurs craignent un résultat similaire dans les jeux vidéo.

Autre problème soulevé, celui du droit d’auteur. Les modèles d’IA générative s’appuient sur des termes, des images et des lignes de code accessibles à tous. Qui est le réel créateur du jeu dans ce cas ? Cette problématique existe aujourd’hui dans de nombreux domaines.

L’Union européenne s’est penchée sur le sujet. Elle prépare actuellement l’IA Act, une législation qui vise à encadrer l’usage de cette innovation. Plusieurs propositions ont déjà été évoquées. Parmi elles, l’obligation aux sociétés de signaler si leurs modèles d’IA ont été entraînés avec du contenu protégé par le droit d’auteur.

L’intelligence artificielle permet donc aux studios de créer plus rapidement des jeux vidéo qualitatifs, et ce, à moindre coût. Pour autant, son utilisation s’accompagne encore d’incertitudes et de risques. Pour les dirigeants du secteur, elle ne remplacera pas le talent humain, mais demeure un outil puissant pour répondre aux enjeux de l’industrie.