Geoflex, start-up française spécialisée dans l’hypergéolocalisation par satellites, procédé permettant de positionner un objet, une personne ou un véhicule avec une grande précision, vient de lever 6 millions d’euros. Des géants industriels français, à l’instar de Thales, Stellantis et Bouygues y ont participé. Désormais, la société souhaite devenir numéro 1 mondial.

Une précision de l’ordre de 4 cm, contre quelques mètres pour les systèmes actuels

La technologie de Geoflex, baptisée PPP pour Positionnement Ponctuel Précis, est développée par le Centre national d’études spatiales (CNES), depuis plus de douze ans. Elle permet d’augmenter considérablement la précision et la sûreté des Global Navigation Satellites Systems (GNSS), c’est-à-dire des systèmes de positionnement par satellites, à l’instar du GPS américain, du Galileo européen, du Beidou chinois ou encore du Glonass russe.

Les GNSS ne sont pas d’une précision extrême car ils sont en proie à des erreurs au niveau des satellites mais également des récepteurs, c’est-à-dire les puces que l’on trouve dans les smartphones ou encore les voitures. Par conséquent, leur échelle de position peut varier de plusieurs mètres. Le PPP, que Geoflex a renforcé et industrialisé depuis le début de sa collaboration avec le CNES en 2016, corrige cette échelle avec une précision de l’ordre de quatre centimètres.

Pour parvenir à ce résultat, l’entreprise exploite un réseau de 80 stations GNSS terrestres. Elles couvrent l’ensemble du globe et garantissent une redondance totale du système. Ainsi, chaque satellite GNSS en orbite autour de la Terre est vu par un minimum de 6 de ces stations à tout moment.

En parallèle, chacune d’entre elles enregistre et transmet en temps réel ses mesures à plusieurs centres de traitement qui calculent les corrections pour toutes les erreurs provenant des satellites. Sur la base de ces calculs, un flux de corrections est diffusé via Internet aux clients finaux de Geoflex, explique l’entreprise sur son site Internet. Le système fonctionne sur Terre, sur mer ou dans les airs jusqu’à 25 000 km d’altitude.

Exemple de la précision de la technologie PPP sur une carte.

En rouge, un signal GNSS. En vert, ce signal avec la technologie PPP. Image : Geoflex.

La firme souligne que ses corrections sont implémentées dans un format standardisé. Par conséquent, elles sont compatibles avec n’importe quel récepteur GNSS du marché. « Les solutions Geoflex permettent le positionnement précis mondial, en temps réel et en post-traitement, de n’importe quel objet, directement sur l’objet ou dans le cloud, en corrigeant les mesures de tous les récepteurs GNSS afin d’augmenter leur précision de positionnement et de datation temporelle », promet l’entreprise.

L’hypergéolocalisation apporte de nombreux avantages : elle permet d’augmenter la précision de la localisation des utilisateurs, leur continuité opérationnelle, la sûreté (un récepteur GNSS capables de localiser à quelques centimètres près est, par exemple, bien plus efficace pour un système d’aide à la conduite), mais également la résilience du récepteur, c’est-à-dire sa capacité à résister au brouillage et au leurrage.

Une levée de fonds avec la participation de géants de l’industrie française

Peu d’acteurs sont capables de réaliser une augmentation similaire, affirme la société. La technologie Geoflex a même remporté plusieurs prix, dont une récompense au CES 2019, puis une autre en 2022. En outre, la start-up est l’une des rares entreprises occidentales à être intégrées dans le réseau ferroviaire chinois.

Après avoir industrialisé et démontré la viabilité et l’efficacité du PPP auprès de groupes reconnus comme la SNCF, Geoflex veut entrer dans une nouvelle ère. Cette levée de fonds doit l’aider à déployer sa technologie à grande échelle, et passer au statut d’opérateur de service en vendant des abonnements.

La levée a été réalisée en série A. Thales, Stellantis et Bouygues (Bouygues Telecom, Colas et Bouygues Construction) ont répondu présent. C’est la première fois que le géant français du BTP ou des télécommunications, effectue un investissement minoritaire avec trois sociétés différentes, précise Maxime Paghent, responsable participations chez Bouygues développement. Une preuve de l’intérêt porté à Geoflex par le groupe. Les trois entreprises françaises ont rejoint Demeter IM, actionnaire de Geoflex depuis 2018.

« À travers ce nouveau tour de table, Geoflex confirme son ambition de se positionner comme un acteur mondial et incontournable dans le domaine des nouvelles mobilités », affirme Romain Legros, PDG de Geoflex.
Le marché global du GNSS est estimé à 2 635 milliards d’euros sur la décennie 2019-2029. Cette technologie est présente partout, aussi bien dans les montres connectées que les smartphones et les voitures. Geoflex espère ainsi révolutionner de nombreuses industries comme le géospatial, le ferroviaire, la construction, l’agriculture, le maritime, ou encore l’aéronautique. La start-up anticipe également un impact significatif dans les marchés du smartphones et de l’automobile.

D’ailleurs, ils devraient représenter 80 % du marché du GNSS d’ici 2029. L’amélioration des systèmes que propose Geoflex est au cœur de cette tendance : le marché représentait 23 milliards d’euros en 2020 et devrait quasiment doubler en 2025, avec des prévisions autour de 42 milliards d’euros.

Quelles industries sont concernées ?

Les applications de cette technologie sont nombreuses et touchent à une grande variété de secteurs. Dans le géospatial par exemple, elle permet de déterminer la position précise des satellites. Associés à d’autres capteurs comme des scanners lasers, des géoradars ou des sondeurs acoustiques, les récepteurs GNSS peuvent également être utilisés pour reconstituer un jumeau numérique du monde réel. Thales Alenia Space espère, à travers son investissement, pouvoir développer de nouvelles solutions de navigation en collaboration avec Geoflex, a expliqué Benoit Broudy, vice-président Business chez Thales, lors d’une conférence de presse.

Dans le domaine de la construction, le PPP va aider les acteurs à automatiser leur activité justement grâce à la possibilité de créer un jumeau numérique : en connaissant les spécificités exactes du terrain, les chefs de projet peuvent directement intégrer la procédure à suivre à une machine de construction. Les capteurs GNSS ultra précis vont aussi permettre de suivre l’évolution d’un ouvrage tout au long de sa vie, ce qui devrait permettre de mettre en place une meilleure maintenance. En la couplant à des echosondeurs acoustiques, la technologie ouvre la voie à l’automatisation du pilotage de bateaux. Elle a également de grandes implications dans l’agriculture, avec l’utilisation de machines agricoles moins imposantes.

L’industrie ferroviaire est également une excellente candidate pour bénéficier de l’hypergéolocalisation comme l’a montré son partenariat avec la SNCF. Elle pourrait réduire de 40 % ses dépenses en matière d’installation et de maintenance sur les lignes ferroviaires, en supprimant les équipements qui servent à localiser les trains. Des économies suffisantes pour, peut-être, convaincre la SNCF de recommencer à exploiter certaines petites lignes.

Infographie expliquant la technologie de Geoflex.

Image : Geoflex.

Les marchés émergents particulièrement ciblés

Des secteurs émergents, comme la livraison par drone ou le déploiement de taxis volants vont, de toute évidence, largement bénéficier du PPP pour positionner les aéronefs et participer au contrôle aérien.

Pour l’industrie automobile, il servira aussi bien à la navigation que pour les services. En plus de fournir des informations bien plus précises, l’hypergéolocalisation va permettre de dématérialiser les paiements aux péages, aux parkings ou encore aux stations de recharge : un enjeu de taille pour l’expérience utilisateur. La technologie va également renforcer la sécurité des véhicules connectés, des systèmes d’aide à la conduite et, à termes, de conduite autonome, avec des voitures en mesure de se partager leur position.

C’est dans cette optique que le groupe Stellantis souhaite adopter la technologie de Geoflex. La conduite autonome, nécessite une précision de géolocalisation de l’ordre de 25 centimètres, explique Laurent Fabre, Senior Associate Corporate Venture fund chez Stellantis.

« Nous sommes très heureux de nous associer à Geoflex, dont la technologie unique contribuera à façonner l’avenir de la mobilité et à faire une réelle différence pour nos clients. Le positionnement de haute précision est essentiel pour les véhicules intelligents et créera une nouvelle norme pour la localisation sûre, tout en permettant des services V2X avancés et des systèmes ADAS jusqu’à la conduite autonome », assure Adam Bazih, directeur du fonds d’investissement Stellantis Ventures.

Enfin, les domaines des nouvelles mobilités, que ce soit des personnes ou des biens, sont aussi ciblés par Geoflex. De nombreux usages dans la réalité augmentée, la navigation, l’intermodalité des transports ou encore la sécurité sont envisagés. Cette technologie pourrait aussi améliorer la cybersécurité en introduisant la double authentification par position, lorsque l’on retire de l’argent à un distributeur, par exemple.

Afin de pouvoir proposer sa solution à grande échelle, Geoflex va pouvoir compter sur ses nouveaux investisseurs. L’un de ses objectifs premiers est d’agrandir ses équipes, en les faisant passer d’une dizaine de personnes à une cinquantaine sur une période de 36 mois. « L’objet de la levée et de ces 6 millions, c’est vraiment de pouvoir passer à l’échelle après ces démonstrations opérationnelles, de vendre des abonnements et de nous établir dans ce métier d’opérateur de services », conclut Romain Legros.