En ce début d’année, le monde des réseaux sociaux continue à connaître de nombreuses turbulences. Il ne se passe ainsi pas une semaine sans que des vagues de licenciements ou des changements d’orientation stratégique majeurs ne soient annoncés, motivés notamment par des cours de Bourse en chute libre depuis quelques mois.

Il faut rappeler que depuis leur apparition dans les années 2000, ces plateformes en ligne ont connu une croissance exponentielle, même si celle-ci s’est quelque peu émoussée en raison de la concurrence des plateformes de messagerie, comme WhatsApp ou Messenger, qui ont drainé une partie importante de leur audience.

Si la crise du COVID a pu leur redonner un élan inespéré, rien ne va plus désormais : la transformation du modèle purement publicitaire des réseaux sociaux historiques tarde à se concrétiser et les nouvelles générations adoptent des usages et des plateformes différentes de leurs aînés.

Monopole publicitaire, protection des données personnelles, risques psycho-sociaux encourus par les plus jeunes, risques géopolitiques, sans parler de l’intelligence artificielle, sont autant d’enjeux qui pèsent sur l’évolution des plateformes sociales.

J’ai récemment eu l’occasion d’animer pour Limber un webinar sur les opportunités 2023 sur les réseaux sociaux, en voici les enseignements essentiels.

Facebook et le metaverse : chance ou fardeau contre le vieillissement ?

Facebook, qui a été l’un des réseaux sociaux pionniers et reste la plateforme sociale de référence auprès du grand public, est aujourd’hui confronté à des défis de taille : concurrence croissante des autres réseaux et le vieillissement de ses utilisateurs.

En effet, Facebook a vu son public prendre de l’âge au fil des ans : aujourd’hui, seuls 15% de ses utilisateurs ont moins de 25 ans alors que Tiktok peut en compter plus de 40%. Les utilisateurs qui ont rejoint la plateforme lors de ses débuts, il y a près de 20 ans, ont des intérêts et des comportements différents de ceux des jeunes internautes. Cela a entraîné une baisse de l’engagement des utilisateurs et un déclin de la croissance de la plateforme.

Instagram et TikTok, ont su attirer une partie de l’audience de Facebook en proposant des expériences plus attrayantes et des contenus plus adaptés à leurs intérêts. Pour pallier cette perte d’audience, le groupe Meta s’est lancé dans ce qu’il appelle le metaverse : un univers virtuel qui permet aux utilisateurs de s’engager dans des expériences en ligne immersives. Les avis quant au potentiel de succès ou d’échec de ce metaverse divergent.

Certains utilisateurs estiment que la technologie n’est pas encore suffisamment développée pour permettre des expériences de qualité, et d’autres que le grand public n’est pas encore prêt – et ne le sera peut-être jamais – pour un univers virtuel de cette envergure.

A contrario, il est probable que la technologie évolue rapidement et certains restent optimistes quant au fait qu’elle permettra bientôt des expériences immersives à succès.
Les entreprises, pour leur part, sont conscientes également des opportunités de croissance offertes par le metaverse et pourraient investir massivement dans la création de contenu pour cet univers.

Malgré les résultats financiers décevants de Meta en 2022, Zuckerberg n’a pas l’intention de mettre fin à ses efforts dans ce domaine et la mise en place de l’abonnement Meta Verified – copie conforme de Twitter Blue – semble signifier que tout est bon, y compris l’argent facile, pour financer cette ambition.

Twitter : Musk touché mais par pour autant coulé ?

Le rachat au prix fort de Twitter par Elon Musk a semblé ces derniers temps transformer le réseau social des leaders d’opinion mondiaux en une sorte de “one-man app”. Ainsi il y a quelques semaines, les tweets de son nouveau propriétaire sont apparus en haut des “timelines” de la plupart des utilisateurs, comme par enchantement ou par manipulation de l’algorithme plus exactement, laissant penser que ce dernier entend imposer une certaine ligne éditoriale libertarienne y compris via une sorte de gouvernance sondagière assez peu crédible.

Certains peuvent y voir de l’auto-dérision, de la remise en question ou simplement une ouverture de parole. Mais nous sommes nombreux à y voir surtout un navire en train de couler et un capitaine ayant perdu le contrôle. Pour autant, la fuite vers les plateformes alternatives comme Mastodon n’a pas vraiment eu lieu. Twitter reste, aujourd’hui, incontournable.

On retiendra également que le licenciement brutal de 2/3 des salariés laisse l’oiseau Bleu dépourvu de ressources humaines suffisantes pour amorcer le véritable virage stratégique vers l’ambition avouée de Musk pour Twitter : en faire une “one-stop app” en développant à l’intérieur de l’application un ensemble de services allant l’identité numérique, au contenu, à la messagerie et jusqu’au paiement, le Saint Graal pour celui qui, ne l’oublions pas, co-fonda Paypal au siècle dernier.

Faire de Twitter le WeChat de l’élite occidentale, créer un écosystème intégré complet et captif dont il aura la maîtrise est ainsi l’ambition de long terme de Musk. Pour la réaliser, il doit espérer que sa hâte à bouleverser rapidement les choses ainsi que son approche “essai-erreur” ne le conduiront pas à s’aliéner irrémédiablement les 326 millions d’utilisateurs de la plateforme – robots inclus ou pas, on ne sait plus vraiment avec Elon !

LinkedIn, le monopole – trop – tranquille

S’il est un réseau social qui poursuit sa progression sans à-coups, LinkedIn est bien celui-là. Avec plus de 800 millions de membres, LinkedIn est aujourd’hui “le” réseau social professionnel incontesté. Il faut dire que depuis son rachat par Microsoft en 2016, tout à été mis en œuvre pour en faire une plateforme de données capable de fournir une source intarissable de talents et de prospects pour les entreprises notamment BtoB.

LinkedIn reste cependant un média d’expression limité. Les utilisateurs sont présents davantage pour afficher leur CV en ligne à d’éventuels recruteurs, que pour engager une conversation franche, voire polémique. C’est aussi une vitrine pour les entreprises qui y promeuvent quant à elles leur marque employeur.

Même si le réseau a peu à peu mis en œuvre des fonctionnalités de partage de contenu et de discussion similaires aux plateformes grand public, les utilisateurs se plaignent que LinkedIn est trop « formel » et qu’il est finalement davantage utilisé comme un outil d’auto-promotion par le contenu.

Ainsi, si LinkedIn a pu présenter une option intéressante pour les déçus du Twitter d’Elon Musk, force est de constater que la grande migration n’a pas eu lieu et il semble raisonnable de parier que rien ne changera prochainement, tant ce réseau permet au leader historique de l’Enterprise Software de conserver une position hégémonique.

Instagram ou comment maintenir une communauté authentique malgré l’essor de l’influence

Avec près d’1,4 milliard d’utilisateurs actifs, Instagram est l’un des réseaux sociaux les plus populaires au monde. Cependant certains experts estiment que la plateforme pourrait connaître une chute dans les années à venir, en partie en raison de l’essor non maîtrisé de l’influence.

Les faits sont là : les comptes de personnalités (appelées “influenceurs” ou “créateurs de contenu”) disposant de millions d’abonnés permettent à leurs propriétaires de gagner des sommes considérables grâce à des partenariats avec les marques. Si les stars et les grands sportifs sont capables de monétiser leur notoriété préexistante en demandant plusieurs millions de dollars par post, des influenceurs inconnus ,“made in Instagram”, peuvent espérer quant à eux quelques centaines de milliers de dollars pour ce même type de post.

Ce phénomène a contribué à rendre Instagram de moins en moins authentique, car de nombreux utilisateurs se sentent aujourd’hui obligés de partager des contenus parfaits pour attirer plus d’abonnés et devenir eux-mêmes influenceurs. Cette course à la perfection a des conséquences graves chez les plus jeunes et sont source d’atteinte à leur santé mentale.

Cette tendance peut également avoir un impact négatif sur les utilisateurs réguliers qui n’ont aucun souhait de jouer le jeu de cette économie du paraître et ne se sentent pas à la hauteur des standards de perfection imposés par ces influenceurs et délaissent peu à peu la plateforme.

En somme, ce qui a contribué à la montée en puissance de la plateforme pourrait très bien être la cause de sa chute. Il est important pour Instagram de continuer à prendre des mesures pour rétablir l’authenticité sur le réseau social et à en faire à nouveau un endroit communautaire où chacun poste ses photos de vacances, plutôt qu’une marketplace déguisée.

TikTok victime de la géopolitique internationale ?

TikTok n’est plus à présenter. Le leader de la vidéo courte a réussi à séduire les utilisateurs de tous âges et a su devenir en quelques années le réseau social de référence chez les jeunes de moins de 25 ans. Cependant, il ne se contente pas d’être un simple réseau social, il pose des questions de politique internationale en raison de son algorithme de recommandation de contenu. La fameuse “for you page”.

En effet, l’algorithme de Tiktok est basé sur l’analyse des données des utilisateurs, permettant de proposer des vidéos en fonction de leurs centres d’intérêt. Cela a conduit à des accusations selon lesquelles il favorise une certaine vision du monde et idéologie par une logique d’enfermement dans des contenus similaires, voire une catégorisation de ses utilisateurs, ce qui a suscité des inquiétudes quant à la manipulation de l’opinion publique.

Il y a également des craintes quant à la sécurité des données des utilisateurs, étant donné que Tiktok est propriété de la société chinoise ByteDance. Les utilisateurs et les législateurs se demandent si les données qu’ils partagent sur le réseau sont utilisées à des fins commerciales ou politiques par la société et bien sûr par le gouvernement chinois.

À cause de ces préoccupations, certains pays comme les États-Unis ont mis en place des restrictions à l’utilisation de Tiktok et d’autres en ont même interdit l’utilisation. Cela a contribué à ralentir la croissance de l’application, qui reste malgré cela un des réseaux les plus populaires.

Vers un nouveau paradigme

On le voit, entre saturation du marché, pic de popularité, vieillissement des utilisateurs, risques psycho-sociaux ou encore géopolitiques, à chaque réseau social correspond finalement un des enjeux essentiels de notre temps.

Pour autant ces réseaux occupent une grande partie de notre vie et cela ne devrait pas changer. A l’heure où l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la production de contenu laisse préfigurer une avalanche de nouveaux contenus, de nombreuses interrogations se posent quant à l’avenir de ces plateformes : sauront-elles mettre en œuvre les garde-fous permettant de distinguer le contenu humain de celui produit par l’IA ? Sauront-elles créer des modèles permettant de revenir à des échanges authentiques et respectueux entre les utilisateurs sans distinction ni hiérarchie ? Sauront-elles continuer à nous ouvrir sur le monde et nous permettre d’appréhender sa complexité plutôt que de nous enfermer dans des communautés bâties sur des discours alternatifs ?

Pour répondre à ces enjeux, les plateformes sociales vont devoir sans aucun doute se réinventer ces prochains mois tout en s’adaptant aux évolutions des usages, de la technologies et de la réglementation, ce qui ouvrira sans nul doute un nouveau paradigme passionnant.