Palantir contreviendrait-il à la constitution allemande ? C’est ce que semble indiquer une décision du Tribunal constitutionnel fédéral d’Allemagne. Les länder d’Hesse et d’Hambourg sont expressément visés par le jugement rendu par la cour constitutionnelle. Ils devront cesser d’utiliser le logiciel américain, à moins de se conformer strictement à la constitution. Au cœur des préoccupations des juges allemands se trouve la protection des données personnelles, possiblement menacée par Palantir Technologies, entreprise à la réputation controversée.

Palantir, un géant de la donnée anti-criminalité

Suite aux attentats de septembre 2001, deux entrepreneurs américains décident de lancer Palantir Technologies en 2003, avec un important soutien financier de la CIA et de son fonds d’investissement In-Q-Tel. Alex Karp et Peter Thiel, co-fondateur de PayPal, ambitionnent de soutenir les gouvernements occidentaux dans leur lutte contre la criminalité et le terrorisme, en tirant profit de l’intelligence artificielle et du big data. Ils mettent au point deux logiciels, Gotham et Foundry, tous deux destinées à détecter des anomalies, déduire des tendances et soutenir les prises de décisions grâce à l’exploitation de larges quantités de données.

Introduite à la bourse de New York en septembre 2020, l’entreprise américaine connaît une croissance notable, devenant rentable pour la première fois en février 2022. Le succès de Palantir est aussi européen : en 2021, plus d’une dizaine de pays du Vieux Continent, dont la France, ont eu recours aux solutions développées par la société américaine.

L’implantation de Palantir en Allemagne

Plusieurs Länder allemands font partie des clients européens de Palantir. La province de Hesse a doté sa police du logiciel Gotham, « qui permet aux utilisateurs de prendre ensemble des décisions plus rapides et plus sûres. » Peter Beuth, ministre de l’Intérieur du Land, estime que le déploiement de la solution en 2017 a permis d’empêcher une attaque terroriste en 2018 et de mettre au jour un réseau pédophile en 2020. Pourtant, la décision du tribunal constitutionnel pourrait venir remettre en cause ces plans. Les législateurs estiment que les citoyens ne sont pas en mesure de décider de la finalité des usages de leurs données personnelles, et que les usages faits par la police sont disproportionnés. La cour appelle à un renforcement des critères d’utilisation, et à un usage conditionné à l’apparition de menaces tangibles.

Par conséquent, la police de Hesse ne peut plus procéder à l’analyse automatisée des données sans une modification de sa législation locale. Hambourg devra également remanier totalement sa législation existante avant un potentiel déploiement. En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, qui a signé un accord avec Palantir pour un montant d’environ 20 millions d’euros en 2020, la décision a poussé le gouvernement local à faire appel à des experts juridiques pour conformer la loi à la décision du tribunal. Du côté de Palantir, l’heure est à la réassurance. L’entreprise affirme que ces décisions viendront confirmer que les solutions peuvent être en conformité avec les législations locales en matière de protection des données. Il pourrait ne s’agir que d’une énième controverse, pour ce géant de la tech habitué aux accusations de violations des libertés individuelles.