À un peu plus d’un an des élections présidentielles, l’administration Biden se rend de plus en plus compte que la régulation antitrust des géants technologiques est un processus incroyablement difficile à réaliser. Pourtant, le gouvernement américain a tout fait, au départ, pour inverser la tendance.

Le ton était donné

Lorsque les personnes dirigeant les organismes antitrust américains ont été nommées par l’administration Biden, le ton était donné. La présidente de la Federal Trade Commission (FTC), Lina Khan, était d’ores et déjà connue pour être une fervente opposante aux monopoles exercés par les big tech. Jonathan Kanter, procureur général adjoint pour la division antitrust du département de la Justice (DoJ), est lui aussi connu pour son combat contre les pratiques des big tech.

Les deux entités sont engagées dans de nombreuses affaires les opposants aux GAFAM. Le DoJ doit affronter Google dans un procès dès cette année portant sur le moteur de recherche de l’entreprise, et a récemment déposé une vaste plainte à l’encontre de son activité publicitaire. De son côté, la FTC tente de bloquer le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft, et envisage également d’engager des poursuites judiciaires contre Amazon.

Bien qu’ils soient basés sur des faits solides pour affronter ces entreprises, parvenir à ressortir vainqueur de ces affrontements juridiques s’avère très complexe pour plusieurs raisons.

Les géants technologiques, trop puissants ?

Depuis leur naissance, ces sociétés naviguent dans un environnement libéral qui leur est très favorable, avec une politique antitrust ancrée dans les idéaux de libre-échange des années 1980. Elles ne comptent pas se laisser déstabiliser si facilement et ont les ressources pour se défendre. Selon le Washington Post, Google a embauché au moins cinq anciens avocats du département de la Justice, dont Jack Mellyn, un ancien haut responsable fédéral de la concurrence, qui est désormais le conseiller stratégique de l’entreprise, pour assurer sa défense.

La firme de Mountain View a également fait appel aux services de quatre cabinets d’avocats extérieurs qui comptent près de 20 anciens avocats du DoJ. « Dans toutes les affaires que nous plaidons, ils sont des dizaines à être plus nombreux que nos avocats et nos économistes. Dans nos enquêtes et litiges les plus importants, ils peuvent avoir plus de cabinets d’avocats que nous n’avons d’avocats individuels », déplore Holly Vedova, directrice du bureau de la concurrence de la FTC.

Par ailleurs, le pouvoir financier détenu par les géants technologiques écrase celui de ces agences. Si le budget de la Commission est passé à 430 millions de dollars pour l’exercice 2023, contre 376 millions de dollars l’année précédente, cela reste minime pour des entreprises enregistrant des chiffres d’affaires s’élevant à plusieurs milliards de dollars, d’autant plus qu’aujourd’hui, la FTC ne compte que deux tiers du nombre d’employés qu’elle avait en 1980.

Des barrières politiques à la mise en œuvre de la législation antitrust

En outre, il est difficile pour le gouvernement de lutter efficacement contre ces entreprises car la diversité partisane crée de la discorde. Par exemple, les membres républicains de la FTC dénoncent ouvertement la politique choisie par Lina Khan et affirment que celle-ci est hors de contrôle. Deux d’entre eux n’ont d’ailleurs pas hésité à démissionner après que l’agence ait essuyé un lourd échec en tentant, en vain, de bloquer l’acquisition de Within par Meta.

Alors qu’elle devait résonner comme un tremblement de terre, une vaste loi antitrust défendue par les démocrates devant le Congrès n’a finalement pas été votée à cause d’une vaste campagne de lobbying menée par les big tech, et il est peu probable que le Congrès, désormais à majorité républicaine, ne se saisisse de l’affaire.

Malgré ces nombreux obstacles et des pertes significatives à l’image du rachat de Within par Meta, l’administration Biden insiste sur le fait que ses efforts pour contenir les entreprises les plus riches du monde continuent de porter leurs fruits. William Kovacic, professeur de droit à l’université George Washington explique que la FTC n’a pas besoin de gagner tous les procès pour faire avancer l’application des lois antitrust, mais elle doit en gagner quelques-uns… Et pour l’heure, l’agence peine à faire ses preuves.

Pourtant, certains défenseurs des lois antitrust voient des signes de progrès. Ils affirment que la volonté de relancer l’application de la législation antitrust et la politique de la concurrence aux États-Unis constitue un changement à long terme, qui prendra de nombreuses années.

Le procès antitrust contre Google donnera le ton

Dans le même temps, il est probable que les importants changements dans le secteur, à l’instar de l’émergence de TikTok qui concurrence Meta ou de Microsoft qui vient de frapper un grand coup dans le domaine des moteurs de recherche, valide les arguments des big tech selon lesquels le marché est très compétitif. Selon eux, cela justifie les acquisitions qu’ils effectuent, ainsi que certaines de leurs pratiques. Certains législateurs pourraient donc, finalement, décider de laisser faire en estimant que la régulation se fera par elle-même.

Le procès qui opposera prochainement Google au département de la Justice devrait donner une idée claire d’où en est exactement la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles aux États-Unis. Si l’administration Biden a multiplié ses efforts pour combattre les monopoles déloyaux, pour l’heure, son bilan est plus que mitigé avec surtout des échecs. Il est possible que son action soit plus visible sur le long terme, mais si les républicains récupèrent la Maison Blanche l’année prochaine, ils pourraient complètement revoir la feuille de route des organismes antitrust du pays.