Depuis la fin de la dernière décennie, les avancées en informatique quantique ont été prometteuses. Cette technologie, lorsqu’elle est maîtrisée, promet de résoudre des problèmes très complexes bien plus rapidement qu’avec l’informatique classique. De nombreuses entreprises technologiques mènent des recherches dans un secteur présenté à très fort potentiel. Certaines d’entre elles souhaitent déjà préparer leurs clients à cette révolution.

C’est le cas d’Intel, qui a dévoilé le 28 février 2023 la version 1.0 de son kit de développement logiciel baptisé Quantum SDK. Il s’agit d’un outil d’informatique quantique proposant aux développeurs un environnement de travail qu’ils peuvent personnaliser. Pour la firme de Pat Gelsinger, l’objectif est d’inciter les développeurs à franchir le pas du quantique afin qu’ils puissent coder et tester leurs solutions.

Un simulateur d’ordinateur quantique pour une approche hybride

À l’aide d’un ordinateur classique, un développeur pourra lancer le kit de développement logiciel et ainsi bénéficier de la technologie quantique mise au point par l‘entreprise. Anne Matsuura, directrice des applications et de l’architecture quantique pour Intel Labs affirme que cette solution « aidera les développeurs à apprendre à créer des algorithmes et des applications quantiques en simulation ». Intel propose un environnement d’exécution afin de tester une multitude d’algorithmes quantiques, mais aussi ceux dits hybrides ou quantiques classiques. Comme l’indique James Clark, directeur du matériel quantique, l’entreprise « prévoit un avenir hybride pour le quantique et le supercalcul classique ».

Même si les avancées du secteur sont nettes, elles ne permettent pas encore de travailler complètement dans le quantique. Actuellement, les développeurs qui souhaitent travailler dans cet environnement doivent se procurer des machines adaptées. Celles-ci exploitent un nombre relativement restreint de qubits, l’unité élémentaire de l’informatique quantique. Plus une machine possède de qubits, plus elle a la possibilité de transporter de l’information et de réaliser des tâches rapidement. En augmentant le nombre de qubits, les concepteurs de ces ordinateurs tentent également de réduire le nombre d’erreurs qu’elles commettent. Un qubit faisant une erreur pourra être remplacé par un autre ne portant aucune information.

Des entreprises comme IBM cherchent à agrandir la capacité de stockage de l’information dans leurs machines. L’entreprise spécialisée dans l’informatique promet plus d’un millier de qubits cette année, et plus de quatre mille en 2025 dans ses appareils, ce qui constituerait un record. D’un autre côté, Intel a une autre stratégie. Au lieu de multiplier les qubits, il préfère travailler avec moins d’unités de stockage, quitte à faire appel à des composants d’ordinateurs classiques pour suppléer ceux de la machine quantique. À terme, l’objectif est de proposer un qubit ne faisant pas ou peu d’erreurs, baptisé le qubit logique.

Au début de l’année 2022, c’était Alice & Bob qui présentait leur projet d’ordinateur quantique novateur qui reposait sur des qubits parfaits. Le géant américain tend plus vers la conception de ce genre de machines.

Graphique proposé par Intel autour du nombre d'erreurs en fonction du nombre de qubits et de nœuds dans un réseau informatique.

En fonction de la topologie du réseau (linéaire, en échelle, en grille) et du nombre de qubits utilisés, on remarque que le nombre d’erreurs augmente si le réseau ne possède pas de nœuds soudés les uns les autres et que le nombre de qubits grossit. Graphique : Impact of qubit connectivity on quantum algorithm performance / Intel.

Quantum SDK, une passerelle entre informatique classique et informatique quantique

La version 1.0 du Quantum SDK comprend une interface de programmation basée sur C++. Pour Intel, l’objectif était de proposer un langage de programmation populaire et permettant une transition facile de l’informatique classique à l’informatique quantique. De la même manière, un développeur issu de l’informatique quantique peut collaborer avec un développeur travaillant dans un environnement classique afin de partager leurs travaux.

Deux back-end ou modes d’utilisation sont proposés aux codeurs. Le premier est l’Intel Quantum Simulator (IQS) qui permet d’utiliser le kit de développement logiciel comme un simulateur de qubits générique open source. Sa capacité de stockage est de 32 qubits s’il se concentre sur un seul nœud du réseau informatique. Il peut être porté à 40 qubits si l’information navigue à travers plusieurs nœuds du réseau.

Le second est un back-end simulant le matériel de qubits à points quantiques d’Intel. Il s’agit là d’une technologie développée par la société américaine et qui exploite le qubit à spin d’électron sur silicium. Cette unité élémentaire ressemble énormément à un transistor, un des composants électroniques produit en masse par Intel. La firme espère pouvoir entièrement transposer cette technologie dans le quantique et affirme, pour l’instant, avoir obtenu de très bons résultats dans un contexte hybride.

Présentation du kit de développement logiciel Quantum.

À gauche, les deux systèmes actuels utilisés par Intel dans le Quantum SDK. À droite, les futurs plans d’Intel autour de sa solution. L’entreprise envisage de fusionner les deux back-end en un et de se baser sur un hardware 100 % quantique. Illustration : Intel.

Avec ce nouveau logiciel, les développeurs peuvent déterminer toutes les fonctionnalités nécessaires à l’architecture système de leur ordinateur quantique. Les utilisateurs peuvent comparer les fichiers de compilation : cette pratique est commune dans l’informatique classique. Elle permet aux développeurs d’analyser l’optimisation d’un algorithme dans le compilateur, le programme permettant de traiter l’algorithme qui vient d’être codé.

Plusieurs fonctionnalités supplémentaires viennent renforcer le côté hybride du Quantum SDK. Le standard LLVM, une infrastructure mise au point pour optimiser le code au moment de la compilation, est également disponible. Lorsqu’un développeur souhaite compiler son code, il se peut que le processus ne fonctionne pas car le langage présente des erreurs. Le standard LLVM a pour objectif d’identifier certaines des erreurs les plus classiques afin qu’elles puissent être corrigées. Cette infrastructure a été étendue avec des extensions sur mesure afin qu’elle puisse s’adapter au calcul quantique. D’autres ajouts permettent aux développeurs d’intégrer les résultats d’algorithmes quantiques, et donc codées en #Q par exemple, dans leur projet initialement codé en C++.

Intel souhaite construire un écosystème quantique

Avec le lancement de son nouvel outil, Intel veut prouver qu’il s’engage à faire progresser le domaine de l’informatique quantique certes, mais pas que. « Le Quantum SDK […] fera également progresser l’industrie en créant une communauté de développeurs qui accélérera le développement d’applications, afin qu’elles soient prêtes lorsque le matériel quantique d’Intel sera disponible », précise Anna Matsuura.

L’entreprise a décidé d’accorder plusieurs subventions à cinq universités, l’Université de Pennsylvanie, l’Université d’État de l’Ohio et l’Université d’État de Pennsylvanie aux États-Unis, la Technische Hochschule Deggendorf en Allemagne, et l’Université Keio au Japon. Ces financements permettront aux établissements d’élaborer des cursus dédiés à l’informatique quantique. Ces programmes seraient ensuite partagés à d’autres universités afin de former un réseau entre universités, chercheurs et étudiants. L’ensemble de cet écosystème pourra utiliser le kit de développement. Les différents acteurs pourront aussi échanger sur leur manière de l’utiliser, sur les résultats qu’ils obtiennent, et sur les potentielles améliorations qu’ils peuvent apporter d’eux-mêmes.

À titre d’exemple, le kit de développement a été fourni à des chercheurs de la Technische Hochschule Deggendorf. L’objectif était de démontrer que le quantique pouvait dégager des solutions dans un problème de dynamique des fluides importants pour l’hydrodynamique et l’aérodynamique. Dans les prochains mois, d’autres instituts de recherche auront accès à l’outil pour exploiter les forces de l’informatique quantique dans leurs travaux.

Pour James Clarke, « d’ici cinq ans, nous pourrons manipuler plusieurs milliers de qubits et nous aurons réussi à atteindre le qubit logique. Mais même en l’atteignant, il faudra en générer plus d’un pour réussir à l’introduire dans une approche commerciale ». Comme le pensent plusieurs spécialistes, l’informatique quantique serait en passe de vivre une traversée du désert. Pour éviter l’hiver quantique, les acteurs du secteur ont tout intérêt à trouver des applications qui peuvent être commercialisées et utilisées à grande échelle.