Aux États-Unis, deux affaires portées devant la Cour suprême pourraient changer le visage d’Internet. En effet, le sommet du pouvoir judiciaire américain envisage, pour la première fois, de réformer la Section 230.

Quelles affaires sont portées devant la Cour suprême ?

Cette fameuse section date de 1996 et représente un bouclier judiciaire pour les grandes plateformes en ligne comme Google, Facebook ou encore Twitter. Grâce à celle-ci, elles ne sont pas tenues responsables pour le contenu qu’elles hébergent. Vivement défendue par les Big Tech, la Section 230 est sous le feu des critiques depuis plusieurs années. Donald Trump a d’ailleurs tenté de la réformer, en vain, mais une décision attendue de la Cour suprême pourrait finalement modifier ce texte qui régit Internet.

Les deux affaires portées devant l’instance concernent des attaques terroristes menées par Daesh en 2015 et 2017. La première, et la plus médiatique, est menée par la famille d’un Américain tué le lors des attaques du 13 novembre 2015 à Paris. Cette dernière accuse Google, et plus particulièrement YouTube, d’avoir violé la loi antiterroriste en aidant et en encourageant Daesh en faisant la promotion du groupe par le biais de son algorithme de recommandation. Les tribunaux inférieurs se sont rangés du côté de Google, affirmant que la Section 230 protège la firme de Mountain View contre toute responsabilité pour les contenus de tiers publiés sur son service. Les plaignants ont donc décidé de faire appel auprès de la Cour suprême.

Le second cas fait suite au décès de Nawras Alassaf lors d’un attentat en Turquie. La famille de cette Jordanienne a déposé plainte contre Twitter en arguant que le réseau social n’a pas réussi à contrôler les contenus terroristes postés sur sa plateforme.

La Cour suprême est hésitante

La première affaire attire particulièrement l’attention car elle défend le fait que la Section 230 ne devrait pas encadrer les algorithmes de recommandation proposés par les plateformes. Les juges doivent ainsi déterminer si la recommandation et la présentation du contenu sont deux éléments différents, et de quelle manière chacun doit être considéré aux yeux de la loi.

La semaine dernière, la Cour suprême a examiné les arguments avancés dans les deux affaires, et s’est montrée très hésitante quant à la feuille de route à emprunter. « Nous sommes un tribunal. Nous ne sommes pas vraiment au courant de ces choses. Ce ne sont pas les neuf plus grands experts d’Internet », a confié la juge Elena Kagan. D’ailleurs, de nombreux experts se sont montrés sceptiques concernant la capacité de la Cour à comprendre la complexité technique de cette affaire, d’autant plus que sa décision pourrait avoir un impact significatif sur le fonctionnement d’Internet.

Les scénarios possibles

Tate Ryan-Mosley, journaliste spécialisée en politique technologique au MIT Technology Review, a décrit les quatre scénarios qui pourraient affecter la Section 230 dans le cadre de ces deux affaires ; la Cour suprême devrait en effet rendre son verdict cet été.

Premièrement, il est possible que les affaires soient rejetées ou renvoyées. Les juges n’ont pas hésité à exprimer leur confusion sur ces deux cas, et pourraient finalement décider de s’en remettre au Congrès qui devrait alors s’en charger. Il est également possible que Google sorte vainqueur du procès mais que la Section 230 soit tout de même réinterprétée. Par exemple, l’audience a notamment porté sur la neutralité algorithmique, un sujet particulièrement complexe et controversé. Les juges pourraient décider d’inclure la notion d’« algorithmes neutres » dans le texte, bien que ce concept soit encore flou.

Selon la journaliste, il se peut aussi que la seconde affaire, baptisée Taamneh vs Twitter, devienne la plus importante. « Les plaidoiries dans l’affaire Taamneh ont semblé avoir plus de mordant. Les juges semblaient mieux connaître les bases de l’affaire, et les questions portaient sur la manière dont ils devaient interpréter la loi antiterroriste. Bien que les arguments ne mentionnent pas la Section 230, les résultats pourraient néanmoins changer la façon dont les plateformes sont tenues responsables de la modération du contenu », explique Tate Ryan-Mosley.

Enfin, la dernière possibilité, et la moins probable, est la révocation en bonne et due forme de la Section 230. Cela sonnerait comme un véritable coup de tonnerre au sein de l’industrie technologique, et pousserait le pouvoir législatif américain à adopter une législation complète tenant les plateformes responsables des préjudices qu’elles causent.