Depuis des années, le monde entier manque cruellement de développeurs. En 2020, le déficit était même de 40 millions, alors que l’ensemble de la société se numérise de plus en plus et que le code devient essentiel. Face à cette vague, une autre se lève, celle du low-code et du no-code. Les outils no-code permettent de créer des sites web et des applications sans savoir coder, quand le low-code demande l’intervention d’un développeur pour une partie de la création. Ces outils ne cessent de se développer et de se populariser, à tel point que d’ores et déjà 57 % des entreprises ne pourraient plus fonctionner sans eux.

Le marché est lui aussi en pleine croissance, avec une valorisation estimée à 28 milliards de dollars en 2023. Son importance est telle qu’une question se pose : le no-code et le low-code seraient-ils la solution face à la pénurie de développeurs ? Pour y répondre, Siècle Digital s’est entretenu avec Francis Lelong, Cofondateur de Sarenza.com et Alegria, entreprise leader dans le no-code, ainsi qu’Olivier Picciotto, CEO de Convertigo, plateforme open source low-code et co-code. Sans oublier Alexandre Desoutter, Directeur des relations publiques de HelloSafe.


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« En 2030, cette pénurie augmenterait de 113 % »

Création d’applications, de sites internet ou encore de logiciel, en 2023, le code est partout. Pourtant, le métier de développeur attire de moins en moins, ciblé notamment de préjugés nuisant à son attractivité. Un sondage réalisé en 2022 par la plateforme de codage CodinGame et CoderPad a révélé que près de la moitié des employeurs ont du mal à trouver des candidats adéquats pour occuper des postes techniques.

Une étude menée par la célèbre École 42, formation informatique gratuite, ouverte à tous, a également été menée en 2022. Elle montre que les métiers de l’informatique souffrent de préjugés qui écartent un grand nombre de candidats potentiels. Parmi les préjugés, se trouve le fait qu’il s’agirait de formations chères, selon 70 % des personnes interrogées.

Une image fausse. Outre l’École 42, il existe des formations labellisées « grande école du numérique », entièrement gratuites. Ces formations sont présentes dans toute la France et visent plus particulièrement un public éloigné de l’emploi. 66% des Français pensent aussi qu’il faut un niveau d’étude élevé pour intégrer ces formations.

Ces préjugés ont grandement participé à la pénurie de développeurs. Toutefois, d’autres raisons peuvent expliquer ce phénomène. À commencer, selon Francis Lelong, par le faible nombre de femmes présentes dans ce milieu. « Il n’y a que 15% de femmes dans la communauté des développeurs », affirme l’entrepreneur. « Historiquement nous nous sommes donc coupés de la moitié de l’humanité, à qui nous n’avons pas donné envie de faire ce métier. Il faut se battre contre les idées reçues, c’est un chantier sur lequel nous devons impérativement progresser », poursuit-il.

Il est également d’accord avec le problème posé par les préjugés, « malgré des salaires parfois exorbitants, ce n’est plus un métier qui fait rêver, parce qu’on a cette idée du geek qui travaille la nuit tout seul derrière son ordinateur à aligner des lignes de codes ». Actuellement, il y aurait environ 27 millions de développeurs dans le monde et selon le cabinet IDC, seulement 0,3 % de la population mondiale sait coder. « En 2030, cette pénurie augmenterait de 113 % », constate pour sa part Alexandre Desoutter, citant un chiffre issu du rapport de HelloSafe sur le sujet. D’ici la fin de la décennie, il manquera ainsi 85,2 millions de développeurs dans le monde, contre 40 millions en 2020.

Pour faire face et supporter la demande en création d’applications, sites et logiciels, des solutions existent, à commencer par les plus prégnantes : le no-code et le low-code.

Graphique sur la pénurie de développeurs

La pénurie de développeurs devrait augmenter de 113 % entre 2020 et 2030. Illustration : HelloSafe.

No-code et low-code, la réponse à une pénurie sans répit

Créer sites web et applications sans savoir coder répond en grande partie au problème de manque de développeurs. Le no-code ne nécessite aucune notion de codage. Ces outils sont donc destinés aux utilisateurs ayant peu ou pas d’expérience en développement, aux « citoyens », explique Olivier Picciotto. Le low-code requiert toutefois quelques connaissances. Les applications créées grâce à des outils low-code demandent généralement l’intervention d’un développeur pour 20 à 30 % du processus de création.

Ces dernières années, il est donc devenu possible de simplifier le processus de code, de développement, grâce aux plateformes no-code et low-code. Un processus prenant souvent la forme d’environnements composés de blocs visuels préprogrammés, qu’il suffit de disposer pour créer un site. Ces blocs sont accessibles via des bibliothèques avec différents modèles.

Ces plateformes sont assez simples d’utilisation. Elles proposent pour beaucoup des interfaces intuitives, fluides. Un exemple bien connu d’entreprise ayant recours au no-code/low-code est celui de la SNCF. La société ferroviaire a utilisé Power Apps, la solution de Microsoft, pour créer une quinzaine d’applications en low-code. Notamment un système de réservation de voiture pour un centre technique et une application de traduction de langue.

Ce développement vitesse grand v du low-code fait dire au CEO de Convertigo que « le low-code, c’est l’étape d’après, pour diviser de manière spectaculaire les coûts et délais de développement d’une application ». « Mais ça reste un peu technique », admet-il.

Pour Francis Lelong, ces technologies représentent avec certitude l’avenir, il faut par conséquent accélérer leur développement et leur démocratisation. « 86 % de la population mondiale sait lire, écrire et compter. 0,3 % c’est le nombre de gens qui savaient lire, écrire et compter au Moyen-Âge. Donc (…) nous sommes encore finalement aujourd’hui dans le Moyen-Âge de l’informatique », compare-t-il. Selon l’homme d’affaires, pour supporter la demande, il faudrait rapidement passer de 0,3 % à 20 % de la population pouvant coder.

Un objectif difficilement réalisable devant la pénurie. Pour suivre le rythme, là encore, le no-code et le low-code semblent être la solution, notamment grâce à leurs nombreux avantages.

Le no-code, une technologie écologique ?

Les qualités propres à ces deux technologies sont multiples. Elles répondent d’une part à la pénurie. Elles octroient aussi aux entreprises qui les utilisent de l’agilité, un gain de temps considérable. « Si je construis un immeuble, je peux le faire brique par brique. Ou utiliser des technologies de préfabriqué. On va alors beaucoup plus vite, c’est évident », image Olivier Picciotto.

Vient ensuite un avantage non négligeable pour un commerçant : la diminution des coûts. Faire appel à un ou plusieurs développeurs peut se révéler très coûteux, surtout pour de jeunes entreprises, PME et TPE, qui ont souvent peu de moyens. Le no-code et le low-code offrent alors une alternative crédible et moins chère. Les outils ne sont pas gratuits, mais les tarifs sont souvent accessibles et moins élevés que les talents d’un développeur.

Un autre avantage semble plus étonnant que les autres : le gain énergétique. Le no-code a un aspect environnemental en cela qu’il évite le surstockage de données, connu pour être très énergivore. Un aspect loin de faire l’unanimité, à l’image d’un Francis Lelong dubitatif : « je mettrais quelques bémols sur les avantages écologiques ». « Nous sommes quand même très dépendants des vendeurs de tuyaux et de serveurs. C’est-à-dire que le jour où AWS, Google ou OVH seront 100 % green nous serons par définition 100% green », estime le cofondateur d’Alegria.

L’impact environnemental du no-code mérite donc d’être approfondi. Quant aux limites de ces technologies, elles sont elles aussi multiples. Il faut noter la dépendance à la plateforme créatrice et par conséquent, à sa tarification. Une entreprise, pour créer une application, va utiliser des outils no-code, puis, selon le volume d’interactions, paye un abonnement. Mais si la plateforme qui détient ces outils, qui héberge l’application, décide une hausse de ses prix, l’entreprise se retrouve piégée, sans solution de portabilité pour son application. Il lui faut alors supporter la hausse ou tout recommencer de zéro.

Graphique du marché du low-code et no-code

Le marché du no-code/low-code devrait atteindre 187 milliards de dollars de valeur en 2030. Illustration : HelloSafe.

Cet inconvénient en amène un autre : la dépendance aux outils. Lorsque des modifications sont apportées aux fonctionnalités ou encore à la langue, c’est tout le projet de l’utilisateur qui est bouleversé.

Il faut aussi noter que l’utilisateur n’est pas propriétaire du code source de son application. Problématiques pour les petites entreprises, les mêmes qui ne peuvent pas forcément faire appel à un développeur à cause des coûts. Cependant sur cette problématique-là, Olivier Picciotto et Convertigo auraient trouvé, selon eux, la solution : l’open source. Un logiciel open source est publié sous une licence dans laquelle le titulaire du droit d’auteur accorde aux utilisateurs le droit d’utiliser et de distribuer le logiciel et son code source. Une telle politique permet de pallier la dépendance aux plateformes et leurs tarifications. « Nous appelons ça les menottes » ironise Olivier Picciotto.

« Il y en a qui croient que parce qu’ils ont pris une technologie chez un GAFAM, leur avenir est assuré, Microsoft ne va pas faire faillite demain, bien sûr », analyse-t-il. « Mais le produit, que va-t-il devenir s’ils ont choisi d’augmenter les prix ? Eh bien vous êtes obligés de payer plus, nous sommes pieds et poings liés avec ces technologies propriétaires », assène le dirigeant. Selon lui, l’open source est la garantie de l’indépendance, « ça ne bloque pas les entreprises, elles peuvent passer sur la version communautaire {en open source} ».

« Il n’y a pas de guerre entre le code et le no-code »

Il existe d’autres limites à ces technologies, notamment sur les fonctionnalités. Il n’est pas toujours judicieux de créer l’intégralité de son projet sur les outils no-code. Ils n’offrent pas de grandes possibilités de personnalisation. Pour créer un site web ou une application plus poussée, quelques connaissances en code seront nécessaires. Ce problème ne se pose toutefois pas, ou presque, avec le low-code, qui nécessite du codage et donc donne plus de liberté de création. Francis Lonlong n’est pourtant pas d’accord avec cette limitation des fonctionnalités.

Pour ce dernier, « nous n’allons pas développer en no-code des logiciels qui doivent passer des ordres de Bourses au milliardième de seconde. Le code sera toujours plus performant. Mais aujourd’hui un maker no-code peut couvrir 80% du périmètre de ce que savent faire les codeurs », affirme le créateur de Sarenza.com.

Ce constat pose une nouvelle problématique. Le no-code et, dans une moindre mesure, le low-code, ne seraient-elles pas en train de prendre le travail des développeurs ? Certaines personnes hésiteraient-elles à lancer dans le code par peur de voir ce métier avaler par le no-code ? Indirectement, cela renforcerait la pénurie. Aucun risque selon les acteurs du secteur. « Il n’y a pas de guerre entre le code et le no-code. C’est juste 2 manières différentes d’aborder le sujet de la création d’application », assure Francis Lelong.

Pour d’autres, comme le co-PDG de Bubble, Emmanuelle Straschnov, les développeurs « devraient être contents que les tâches redondantes soient faites par les utilisateurs du nocode », ce qui leur permet de se concentrer sur des tâches plus complexes.

Un marché à « 187 milliards d’ici 2030 »

Malgré des défauts et des limites indéniables, le marché du low-code et du no-code est en pleine croissance. Dans un contexte de lutte face à la pénurie de développeurs et de numérisation des entreprises, ce marché s’est fortement développé. Un rapport statistique détaillé de Hellosafe explique que trois quarts des entreprises dans le monde utiliseront au minimum quatre outils no-code au quotidien dès 2024, soit trois de plus qu’en 2021.

Ce marché, toujours selon le rapport de HelloSafe, pèse actuellement plus de 28 milliards de dollars. Il devrait passer à près de 50 milliards de dollars en 2025, pour atteindre 187 milliards d’ici 2030. « Évidemment, ce sont des estimations à prendre avec des pincettes », prévient Alexandre Desoutter, Directeur des relations publiques de HelloSafe.

Ainsi, d’ici 2025, 70 % des nouvelles applications développées par les entreprises seront dépendantes des technologies low-code ou no-code. Pour supporter la demande, des initiatives voient le jour, comme l’Alegria Academy, à Paris. Cette école forme des « Nocode Makers ».

Ce marché va donc continuer de s’accroître dans les années à venir. Les développeurs, de leur côté, n’ont pas de peur à avoir, ils seront toujours importants, ne serait-ce que pour créer les outils no-code.


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