La chute des cryptomonnaies a aussi entraîné celle du marché des jetons non fongibles (NFT). Ces objets numériques associés à un certificat fonctionnant comme un titre de propriété passionnent depuis 2021, à tel point que certains d’entre eux se sont vendus pour plusieurs dizaines de millions de dollars. Cela a fait le bonheur des créateurs qui ont pu générer d’énormes revenus, mais aussi celui des investisseurs découvrant un nouveau marché de l’art sur lequel spéculer.

Pourtant considéré comme l’une des technologies émergentes du début de la décennie, ce marché a clairement chuté. Inévitablement, les investisseurs se retrouvent désormais avec des NFT d’une valeur dérisoire. Pour essayer de limiter les pertes, de récupérer l’argent perdu ou même de dégager un bénéfice, ils essaient tant bien que mal de trouver une solution. Pour les créateurs, la situation est la même : alors que certains s’étaient spécialisés dans ces actifs numériques, ces derniers se vendent moins bien qu’il y a quelques mois. Ils tentent désormais de retourner vers le monde réel…

Le déclin du marché des cryptomonnaies…

Au début de l’année 2022, la plupart des cours de cryptomonnaies se portent pour le mieux. Le bitcoin vaut alors plus de 42 000 euros et l’ether tourne autour des 3 000 euros. De nombreuses personnes décident de revendre leurs actifs afin de toucher leurs bénéfices en monnaie fiduciaire. En effet, les banques centrales ont revu à la hausse leurs taux directeurs, ce qui a conduit de nombreux investisseurs à se tourner vers les monnaies plus traditionnelles.

Cette vente en masse ainsi que le contexte géopolitique global causé par la guerre en Ukraine va entrainer la perte de plusieurs acteurs du secteur des cryptomonnaies. Tout d’abord, en mai 2022, le bitcoin a drastiquement chuté. Par la suite, ce sera le stablecoin Terra qui s’écroulera. Ces cryptos qui initialement avaient été conçues pour apporter une certaine stabilité dans la volatilité des cours, n’auront pas survécu, pour certaines, à la lourde chute de l’ether et du bitcoin.

La chute des cryptomonnaies va inévitablement entraîner la dégringolade de tout ce qui peut graviter autour d’elles. C’est le cas du marché des NFT qui va également sombrer tout au long de l’année 2022. Selon le cabinet d’analyse spécialisé dans la blockchain, Chainalysis, entre janvier et mars 2022, plus de 19 milliards de dollars ont été dépensés pour acquérir des NFT. Cela correspond à plus de la moitié des ventes réalisées cette année dans ce marché. Depuis avril, ces dépenses ont chuté de 87 %, atteignant seulement 442 millions de dollars dépensés en novembre.

Graphique présentant le nombre de ventes de NFT réalisées durant l'année 2022.

Ce graphique correspond aux ventes de NFT réalisées tout au long de l’année 2022 sur la plateforme OpenSea, en millions de dollars. Le pic au début du mois de mai correspond au moment où le marché des cryptomonnaies a commencé à chuter. Graphique : Hildobby / Dune Analytics.

Au cours de l’été, plusieurs plateformes connues pour traiter les échanges de cryptomonnaies font faillite ou sont obligées de geler leurs activités. C’est le cas de Celsius, mais aussi de la deuxième plus grande plateforme au monde, FTX, pilotée par Sam Bankman-Fried. Du jour au lendemain, plusieurs centaines de milliers de clients se retrouvent dans l’incapacité de retirer leurs fonds ou de les échanger.

…entraîne le marché des NFT dans sa chute

En parallèle, le marché des cryptoactifs devient de moins en moins sûr. Les acteurs du marché ont subi une série de déconvenues et de scandales qui n’ont fait qu’entacher une image, déjà moquée. En juin 2022, la célèbre collection Bored Ape Yacht Club a été piratée, ses assaillants ayant réussi à récupérer 133 NFT valant plus de 3 millions de dollars au moment des faits.

Le cas de la plateforme Binance met également en lumière certaines de ces dérives. L’entreprise annonce avoir été victime d’une attaque informatique lui ayant fait perdre 100 millions de dollars. En parallèle, elle est accusée d’avoir permis le blanchiment de près de 2 milliards de dollars entre 2017 et 2021.

Pour le Financial Times, Devin Finzer, directeur général d’OpenSea, le leader des marketplaces NFT, s’est exprimé autour de cette situation qu’il juge inédite. « Les NFT ne peuvent pas exister sans un écosystème qui les anime et autour duquel ils gravitent. Le macroclimat qui existait autour d’eux a radicalement changé, ce qui a affecté la manière dont les investisseurs et les créateurs se comportent ».

Afin de générer le certificat numérique permettant de prouver qu’une personne est la seule propriétaire du jeton non fongible, il est nécessaire que la transaction ayant mené à l’acquisition du NFT passe par la blockchain. Cette technologie est le fondement même du fonctionnement des cryptomonnaies, ce qui fait que ces dernières sont le moyen de paiement privilégié pour acquérir des NFT.

Il serait possible d’obtenir ces objets numériques sans passer par les cryptomonnaies, mais cela nécessiterait de mettre au point une blockchain qui ne tournerait pas autour de ces actifs. C’est ce qu’a fait la Chine en créant au début de l’année 2023, sa propre plateforme NFT basée sur une blockchain conçue sur mesure puisque le pays a banni toute transaction réalisée à l’aide de cryptos.

Des investisseurs cherchent à compenser leurs pertes… grâce aux impôts

Les NFT ayant plus de mal à se vendre, une entreprise a décidé de venir en aide aux investisseurs. « Alors que chaque type d’investissement a ses perdants, bon nombre des NFT dans lesquels nous avons investi n’étaient pas seulement en baisse ; ils étaient désormais totalement sans valeur… Infructueux… invendables » indique l’entreprise sur son site web.

Pouvant être littéralement traduit par « Invendable », ce service lancé par Skyler Hallgren il y a un mois possède désormais 5 000 NFT et son fondateur, Skyler Hallgren, espère atteindre 15 000 jetons d’ici la fin du mois de janvier 2023. « Nous avons réalisé que nous pouvions compenser certaines pertes des investisseurs en leur proposant de racheter leurs NFT sans valeur et de leur permettre ainsi de récupérer une partie de ces pertes », précise le fondateur du service pour The Guardian.

Dans de nombreux pays, dont la France ou les États-Unis, il est possible de déclarer ses pertes liées aux NFT. Pour ce faire, il faut vendre ses jetons non fongibles, même à un prix dérisoire par rapport à son prix initial. Le prix d’achat moins le prix de vente constitue le montant qu’il est possible de déduire aux impôts. Bien entendu, l’investisseur devra prouver son achat et sa vente. À noter que ces NFT doivent avoir été obtenus au cours de l’année 2022 pour bénéficier de cette déduction dès cette année.

Les créateurs cherchent à se diversifier dans d’autres secteurs

Cette crise des NFT touche durement les créateurs qui se focalisaient sur le marché du numérique et des jetons non fongibles pour proposer leurs productions. Au lieu de se lamenter sur leur sort, ils n’hésitent pas à investir ou à tenter de s’immiscer dans des marchés qui fonctionnent mieux. « Si les ventes ne sont pas prévisibles, cohérentes et vos revenus non récurrents, alors vous devez déterminer comment vous allez diversifier vos sources de revenus et vous développer », affirme Drew Austin, cofondateur de Knights of Degen, une collection de NFT en lien avec le sport et le monde médiéval.

Comme l’indique le Financial Times, c’est la voie empruntée par Doodles, une série de NFT aux allures enfantines qui a connu un certain succès. Son dirigeant a décidé de collaborer avec le chanteur Pharrell Williams pour réaliser des animations et des clips qui viendront accompagner ses œuvres musicales. « Nous nous dirigeons vers un environnement économique qui devrait être un peu plus lent au cours des deux prochaines années, et ce qui nous permettra de rebondir, c’est le divertissement », précise Julian Holguin, le directeur général de Doodles.

Dans un autre style, Pudgy Penguins, une collection NFT autour des pingouins, a profité de l’engouement autour de ses œuvres d’art numérique pour conclure plusieurs accords commerciaux. Les NFT que possèdent certains investisseurs seront utilisés afin de produire des peluches et des livres pour enfants. Une partie des bénéfices dégagés seront proposés aux propriétaires de ces jetons non fongibles. Un deal donnant-donnant.

Série de peluches représentant des pingouins déguisés.

Voici la gamme de peluches qui sera proposée dans les grandes surfaces et les magasins de jouets par Pudgy Penguins. Initialement, leur design est associé à un NFT détenu par une personne qui l’a acheté à l’aide de cryptomonnaies. Photographie : Pudgy Penguins.

Enfin, Knights of Degen a décidé d’adopter une approche plus évasive de son offre initiale. Elle vient d’investir dans une équipe de football américain issue d’une ligue mineure, dans une brasserie qui produit de la bière IPA ou encore dans une entreprise produisant des sauces à base de vodka.

Selon Drew Austin, le groupe se serait inspiré du modèle économique d’un des géants du divertissement, « Disney a commencé par créer Mickey Mouse, et à partir de là, vous avez le parc d’attractions, les spectacles, les films, le merchandising, les jouets et toutes ces choses différentes. Nous voulons en quelque sorte suivre cette trajectoire similaire ».

En 2023, les investisseurs et les créateurs devront continuer à chercher de nouveaux débouchés. Pour le dirigeant d’OpenSea, la crise des NFT devrait perdurer tout au long de cette année.