La chute des cours des cryptomonnaies, visible depuis plusieurs mois sur le bitcoin et par ricochets, l’ensemble des monnaies virtuelles, n’entame pas vraiment l’enthousiasme des investisseurs et des spécialistes du secteur. « Le marché crypto est un habitué des bear market (NDLR. Une période de chute des cours) qui s’étendent sur une temporalité plus ou moins longue. Ces phases ne dessinent pas une tendance de long-terme même si la vigilance reste de mise, notamment dans le sillage du défaut de FTX » estime ainsi Alexandre Azoulay, CEO du fonds d’investissement SGH, qui opère un des premiers fonds européens ayant investi dans une trentaine de sociétés opérant dans le web3, et plus spécifiquement dans l’infrastructure de la crypto aux Etats-Unis et en France. Il nous donne ses perspectives de marché pour les années à venir, alors que le secteur est sous pression après la faillite de FTX.

Inquiétudes modérées face à la tendance baissière du marché

« Il ne faut évidemment pas penser l’industrie crypto comme un marché décorrélé des grandes tendances macro-économiques et financières » analyse Alexandre Azoulay, qui affirme que « l’impact conjugué de l’inflation et des taux à la hausse imposés par les banques centrales, comme celui des chocs systémiques qu’ont pu constituer la guerre en Ukraine, ou la crise sanitaire » ont fortement contribué à la tendance baissière de ces derniers mois. A la mi-septembre, la publication de l’indice des prix à la consommation (IPC) aux Etats-Unis, dont la hausse était plus forte qu’attendue, a envoyé un message très fort aux marchés internationaux, auquel les cryptomonnaies n’ont pas échappé. Après l’annonce, en 24 heures, les BTC et l’ETH ont dévissé de respectivement de 9 et 6 %, rappelle ainsi la plateforme Cryptonaute. Des épisodes paniques, marqués par une volatilité hors norme, déjà connus par le passé. En 2018, le marché a ainsi plongé de 83 % et en 2021, le Bitcoin était passé sous le seuil des 30 000 dollars en juin et juillet pour remonter brutalement en novembre de la même année.

Mais depuis deux ans, le Bitcoin n’est plus décorrélé des fluctuations des actifs classiques au niveau international, ce qui le rend plus perméable à la conjoncture économique et aux politiques monétaires. La hausse des taux d’intérêts encourage ainsi les placements les moins risqués et les moins volatils et pénalisent les autres, dont les cryptos, tout en rendant les emprunts plus chers et moins intéressants. « Tous les signaux sont à l’orange pour les investisseurs, mais sont encore assez loin d’être au rouge. Le retournement prévu des marchés actions en 2023, grâce à une inflation US sous contrôle et la fin possible de la guerre en Ukraine, pourrait tirer le bitcoin notamment. La faillite de FTX n’est pas systémique, même si elle est choquante », résume Alexandre Azoulay.

Le 2 novembre, la Fed a ainsi annoncé augmenter ses taux directeurs de 0,75 point, la sixième augmentation depuis mars, les faisant grimper à 4 %, tout en faisant planer le doute sur une potentielle hausse jusqu’aux 5 % d’ici le début de l’année prochaine. « Les observateurs attendent impatiemment les signes d’une baisse des taux ou un reflux de l’inflation avant de revenir plus massivement aux cryptos, c’est une tendance raisonnable et logique », souligne Alexandre Azoulay. Mais la corrélation entre baisse des cours du bitcoin et hausse des taux n’est malgré tout pas si évidente, souligne Alexandre Azoulay : « Il est aussi possible, mais moins probable, de considérer que la perspective d’une récession ou d’une baisse durable du dollar puisse donner aux cryptomonnaies, notamment au bitcoin, un statut de valeur refuge ».

Les investisseurs institutionnels occidentaux et asiatiques ont flairé le bon filon

D’un point de vue global, les monnaies virtuelles gagnent en légitimité et s’invitent désormais dans les stratégies des acteurs financiers. « Il y a deux tendances positives. La première est l’institutionnalisation croissante des cryptomonnaies, avec un positionnement toujours plus fort d’acteurs financiers classiques. Le second est la réglementation qui se construit petit à petit, même s’il faut se méfier d’un encadrement trop strict », observe Alexandre Azoulay. Un récent rapport du Cointelegraph Research, qui a mené une enquête auprès de 84 grands investisseurs installés aux Etats-Unis, en Europe et en Asie a ainsi démontré que les investisseurs institutionnels avaient un penchant de plus en plus marqué pour le marché crypto. 43 % d’entre eux possèdent des actifs numériques, tandis que 19 % souhaitent s’y positionner dans les 12 mois à venir. Plus largement, la moyenne des cryptomonnaies représente, chez les sondés, 3,3 % des actifs gérés avec, pour certains d’entre eux, un taux d’exposition supérieur à 50 %. Logiquement, le Bitcoin est l’actif virtuel le plus représenté, devant l’Etherum qui connaît une croissance continue. « Les autres monnaies virtuelles présentent moins d’intérêt ou sont presque perçues comme des start-ups, sans modèle économique éprouvé, dont le développement est surveillé mais la réussite future encore incertaine », explique Alexandre Azoulay.

Chaque année, la liste des investisseurs institutionnels qui se lancent dans les monnaies virtuelles s’allongent avec, parmi les plus importants, BlackRock, Bridgewater Associates ou encore Goldman Sachs. « Cette tendance devrait se poursuivre à long-terme, malgré quelques freins encore évidents, comme la volatilité, les craintes relatives à la cybersécurité ou le poids environnemental du minage. Malgré cela, le marché attire et les investisseurs institutionnels dont nous sommes actionnaires, comme Digital Currency Group, qui est le Blackrock des actifs digitaux, restent confiants sur la perspective d’un rebond à moyen-terme », explique Alexandre Azoulay.

En Europe, une réglementation ambitieuse

Au niveau de la réglementation, l’Europe fait figure de précurseur inspiré notamment par le cas français. Deux textes cadres ont ainsi été officialisés au début de l’été. Désormais, avec le règlement MiCA, qui définit plusieurs catégories de cryptoactifs et leur cadre de supervision, les « prestataires sur actifs numériques » devront faire l’objet d’une autorisation pour exercer sur le territoire de l’UE, avec plusieurs contraintes, notamment en termes de dotation en fonds propres. Quant au règlement TFR, il intègre désormais les transferts de cryptoactifs aux règles de transparence relatives aux informations accompagnant un transfert de fonds.

Concrètement, ce règlement oblige désormais la collecte de données sur les parties prenantes aux transactions, avec mise à disposition obligatoire aux autorités compétentes en cas de suspicions liées au blanchiment d’argent ou au financement du terrorisme. « Tout l’enjeu de la mise en œuvre réglementaire à l’échelle européenne repose sur un strict équilibre entre la sortie nécessaire de la « loi de la jungle » qui a longtemps régné sur ce marché et le fait de ne pas aller trop loin au risque de restreindre le développement des actifs numériques », souligne Alexandre Azoulay. « En l’état actuel, la réglementation existante ne devrait pas trop entamer la croissance du marché, voire au contraire favoriser son développement. Le défaut de FTX pourrait nous renvoyer 3 à 4 ans en arrière, mais cela pourrait aussi nous projeter plusieurs années en avant si les investisseurs ont les moyens objectifs de différencier un scam (NDLR. Une plateforme utilisée à des fins d’escroquerie) d’une plateforme solide et régulée. Nos fonds ont toujours investi dans des projets régulés, comme Coinhouse, le premier PSAN français, et nous créons une valeur significative dans nos fonds, tout en ayant aucune perte ou défaut à ce jour », affirme le CEO de SGH.

Le marché reste solide face aux chocs exogènes

Les observateurs et analystes se veulent rassurants sur l’avenir de la filière, qui devrait de plus en plus suivre l’évolution de l’économie internationale. « L’incertitude reste concomitante du marché des cryptos. Mais le secteur a désormais de nombreux retours d’expérience de vagues baissières passées, ce qui reste rassurant. Paradoxalement, nous voyons les bear market comme des phases propices à la création de valeur » conclut Alexandre Azoulay.

Sur le marché hexagonal, un puissant volontarisme politique de soutien à l’innovation se dessine, avec quelques succès notables. Deux grands acteurs mondiaux, Binance et Crypto.com, ont choisi Paris pour s’implanter sur le marché européen et l’écosystème de startups du secteur grandit mois après mois. Une tendance qui confirme la volonté du gouvernement français : « Nous voulons faire de l’Union européenne la première zone économique mondiale en matière de structuration et d’organisation du marché des crypto-actifs. Et nous voulons qu’en son sein, la France soit le hub européen de l’écosystème des crypto-actifs », expliquait Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, en octobre dernier.