De la première bannière de l’opérateur A&T sur HotWired.com en 1994, aux différentes formes de publicités présentes sur la majorité des sites Internet, la publicité numérique s’est développée à vitesse grand V. Elle a su conquérir des annonceurs qui ont très vite saisi le potentiel de ces espaces lorsque le World Wide Web commençait à tisser sa toile. Qu’elle soit sous la forme de bannières, de vidéos, d’interstitiel ou de pop-up, les marques se sont emparées du numérique pour promouvoir leurs produits lors de campagnes publicitaires, permettant aux sites web de monétiser leurs contenus.

Qu’est-ce que le brand safety et le brand suitability pour la publicité numérique ?

Au fil des années, lors de ces campagnes, les annonceurs se sont heurtés à de nombreux risques, notamment d’apparaître à côté de contenus pouvant dégrader l’image des marques. Pour les annonceurs, il s’agit d’un enjeu important. Selon DoubleVerify, une entreprise spécialisée dans la vérification de la publicité digitale, 67 % des consommateurs seraient susceptibles de ne plus utiliser les produits des sociétés qui diffusent leurs annonces sur des contenus inappropriés. D’autre part, « 87 % d’entre eux estiment qu’il s’agit de la responsabilité des marques de ne pas apparaître » dans des environnements sensibles.

Pour mitiger ces menaces, les concepts de brand safety et de brand suitability sont apparus. Le brand safety désigne l’ensemble des pratiques visant à garantir l’affichage des publicités d’une marque dans des environnements sûrs. Parmi elles se trouvent deux solutions utilisées de manières courantes : le ciblage et l’évitement. La première permet aux annonceurs de choisir les pages webs sur lesquelles apparaître en fonction de mots-clés spécifiques. La seconde, quant à elle, leur offre la possibilité d’écarter les sites abordant des sujets ou des thématiques pouvant nuire à leur réputation. Les marques éviteront logiquement les sites de désinformations, les sites proposant de la pornographie ou du contenu violent explicité. En d’autres termes, il s’agit d’un socle de sécurité pour les entreprises souhaitant promouvoir leurs produits ou leurs services sur Internet.

Au brand safety est venue s’ajouter la notion de brand suitability. D’après Alban Silve, directeur des ventes chez DoubleVerify, « le brand suitability offre aux annonceurs plus de nuances pour adapter leur contexte d’affichage, là où elles souhaitent que leurs publicités soient visibles ». Les marques choisissent les environnements avec lesquels elles sont en accord pour se mettre davantage en valeur. Par exemple, une entreprise automobile n’a aucun intérêt de déployer sa campagne publicitaire aux côtés d’articles parlant d’alcool. La nuance offerte par le brand suitability lui permettrait même de ne pas apparaître sur une page Web présentant une recette à base d’alcool. Par ailleurs, si les sociétés évoquent de plus en plus les techniques de brand suitability au détriment du brand safety, ces deux concepts restent étroitement liés.

La Global Alliance for Responsible Media (GARM), une institution internationale dont la volonté est de rendre les médias et les publicités numériques plus responsables, a établi une liste (PDF) de sujets à éviter pour respecter les bases de brand safety et brand suitability. Les annonceurs doivent se protéger :

  • Des contenus pour adulte et sexuellement explicites ;
  • Des contenus mettant en avant des crimes ou des actions enfreignant les droits de l’Homme ;
  • Des contenus traitants de la mort ou de conflits militaires ;
  • Des contenus mentionnant le piratage en ligne ;
  • Des discours de haine et des actes d’agressions ;
  • Des contenus blasphématoires et/ou qui contiennent des obscénités ;
  • Des contenus qui font la promotion de produits illégaux ;
  • Du spam et des contenus nuisibles ou malveillants ;
  • Des contenus terroristes ;
  • Des débats sur des questions sociales sensibles ;
  • De la désinformation.

Ces recommandations posent les fondations des notions de brand safety et de brand suitability. Toute publicité affichée à côté de l’un de ces sujets n’est pas considérée comme sûre pour une marque. En suivant les règles et les standards conseillés par la GARM, les marques sont en possession des clés essentielles pour protéger leur image.

Quel impact sur l’économie des médias ?

L’importance du brand safety et du brand suitability pour les marques soulève quelques interrogations quant à leur impact sur l’écosystème financier des régies publicitaires et des médias qui tirent leurs revenus de la publicité.

Dans un contexte économique difficile, les entreprises se montrent prudentes sur leurs dépenses publicitaires et évitent les plateformes qui comportent des risques de brand safety trop importants. Pour Alban Silve, « l’actualité n’est pas adaptée aux annonceurs. Il y a des articles que les marques essayent d’éviter, et ça peut entraîner une baisse de revenus pour les médias ». Pourtant, la publicité et l’actualité côtoient depuis longtemps les mêmes pages, et ce depuis la première publicité pour du dentifrice dans le Mercurius Politicus, un hebdomadaire anglais, en 1660.

Les annonceurs sont également frileux quand il s’agit d’afficher leurs publicités au côté de contenus produits par des utilisateurs jugés comme imprévisibles. Certaines régies publicitaires comme Twitch Ads, celle de Twitch, se démènent pour rassurer les marques. Un porte-parole de Twitch a expliqué à Siècle Digital que « Twitch s’est efforcé de modifier la perception qu’avaient les annonceurs du “contenu généré par les utilisateurs”, qui a acquis une connotation négative dans le secteur de la publicité comme étant informel et inapproprié pour les dépenses publicitaires ».

Il précise que Twitch Ads s’assure que ses partenaires ne sont pas associés à des contenus ou des comportements en contradiction avec leurs valeurs, « dans chaque catégorie définie par la GARM, moins de 0,5 % des impressions publicitaires totales ont été diffusées contre du contenu qui violait les directives communautaires de Twitch » se félicite-t-il.

Des solutions pour aiguiller les annonceurs

À partir des conseils de la GARM, les annonceurs peuvent repérer les contenus problématiques et décider de l’environnement dans lequel lancer leur campagne publicitaire. Pour s’assurer que le ciblage de leur publicité soit optimal, elles font appel à des prestataires comme DoubleVerify ou Integral Ad Science (IAS). Ces dernières les accompagnent dans leurs démarches et leur proposent des solutions pour identifier les menaces. Les deux sociétés font en sorte que les opérations publicitaires de leurs clients soient optimisées, que leur image et leur réputation ne risquent pas d’être entachées.

Clément Bascoulergue, Country Manager d’IAS France, souligne que leur rôle « est de trouver le bon niveau de protection pour que les annonceurs puissent investir sereinement, sans pour autant bloquer certains sites tels que les sites d’actualité ». Leur ambition est d’être le plus précis possible et le plus juste à la fois pour les marques, les plateformes et les régies publicitaires. DoubleVerify a recours à des intelligences artificielles (IA) basées sur du machine learning et une analyse humaine pour étudier en permanence des millions d’applications et de pages web en fonction de leur contenu.

De son côté, IAS pousse sa technologie plus loin, jusqu’à l’analyse de vidéos. En janvier 2022, alors qu’Internet se tourne de plus en plus vers ce format, elle rachète la société d’IA française Context afin d’améliorer sa classification des images et des vidéos. L’objectif est de pouvoir détecter la présence de contenus à risque dans une vidéo à l’apparence innocente. « Cette technologie permet de détecter les personnes sur une vidéo, les logos. Elle est capable de savoir exactement ce qu’il se passe dans celle-ci », indique Clément Bascoulergue. Cette technologie a récemment été déployée pour la première fois sur TikTok, afin que les annonceurs puissent y investir en toute sérénité.

Quel futur pour la publicité numérique ?

Dans les prochaines années, les notions de brand safety, de brand suitability, ainsi que la publicité numérique de manière générale devraient continuer d’évoluer au rythme du développement de nouvelles plateformes. Lorsqu’un nouveau réseau social apparaît et gagne en popularité, il s’agit de nouveaux clients potentiels à conquérir pour les marques, mais aussi de nouveaux environnements à appréhender.

Dernier exemple en date : TikTok et son 1,7 milliard d’utilisateurs actifs. Un porte-parole de l’application de partage de courtes vidéos affirme qu’« elle est désormais le canal de découverte qui connaît la croissance la plus rapide, avec 15 % de produits découverts sur la plateforme, comparée à ce qui est possible via les médias, le démarchage par mail et le bouche-à-oreille ». Pour TikTok, il est important de se rendre compte du pouvoir d’influence des communautés présentes sur ces plateformes et de ce qu’elles ont à offrir aux annonceurs.

Le futur de la publicité digitale passe aussi par l’ouverture des « walled garden », les écosystèmes publicitaires des géants de l’industrie de la tech. Les plateformes de streaming, en particulier, sont la cible de nombreuses marques qui souhaiteraient pouvoir diffuser leur campagne auprès de leurs abonnés. L’apparition d’une offre moins chère contenant de la publicité sur Netflix en novembre à ouvert le bal. Disney+ sera le prochain à suivre en décembre.

Le brand safety et le brand suitability sont les piliers qui servent de fondation à la publicité numérique. Pour offrir un environnement web plus responsable et parvenir à un écosystème plus vertueux, l’ensemble des acteurs de ce marché vont devoir collaborer.