Le Groupe Positive a annoncé, la semaine dernière, une importante levée de fonds de 110 millions d’euros. Installée à Lille depuis sa création en 2001 et présente dans plusieurs pays européens, l’entreprise souhaite accélérer son développement. La firme compte plus de 25 000 clients en Europe, dont 8000 en France. Elle vise un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros d’ici 2026.

Le Groupe Positive compte aujourd’hui plus de 7 services allant de l’emailing à la visualisation de données. Son outil le plus célèbre est Sarbacane, qui était aussi le nom de la société jusqu’à récemment. Il propose des modules de campagne d’emailing, SMS marketing et marketing automation. Le moment opportun pour Siècle Digital d’échanger avec le fondateur de Sarbacane, Mathieu Tarnus.

Siècle Digital : Pourquoi avoir rebaptisé le Groupe Sarbacane ?

Mathieu Tarnus : Il était important de ne pas écraser le nom des marques qui rentrait dans nos solutions. Sarbacane demeure le nom du produit. Nous n’allons pas faire disparaître Sarbacane. Nous voulions mettre de la distance entre les softwares et le groupe. Le Groupe Positive est au-dessus de Sarbacane car l’entreprise s’est étoffée et souhaite se diversifier dans le digital marketing.

SD : Comment avez-vous résisté aux crises ?

MT : Les crises ont été très positives pour l’entreprise pour le moment. En 2001, la société se crée mais il y a un bousculement des nouvelles technologies avec la démocratisation d’internet. En 2008, la crise a été un accélérateur pour l’entreprise, avec des changements en interne en passant sur du Software as a service
(SaaS). Nous avons ressenti à l’époque que les entreprises avaient de plus en plus de mal à boucler leur budget. Les sociétés ont clairement changé de modèle en passant du papier au numérique.

La pandémie a amené de nouveaux clients qui n’étaient pas forcément orientés de base vers notre solution. Sarbacane est plus orienté vers les communicants, mais cette crise a amené des personnes du marketing. Les conséquences ont été essentiellement positives, nous avons recruté, nous avons réalisé une plus grande croissance que prévu, tout en restant raisonnable. Nous avons utilisé à bon escient cet opportunité pour aider des entreprises qui avaient plus de mal. Nous avons été plus loin que simplement le contexte de notre société en aidant les autres.

SD : Vos solutions sont-elles utilisées par des profils type d’entreprise, comme des PME ?

MT : Il n’y a pas de profil type. Toutes les sociétés peuvent utiliser Sarbacane. Quand on essaye d’établir la cartographie des différents métiers qui utilisent nos solutions, on voit que c’est très étendu. 50% BtoB, 50% BtoC. Nous avons également beaucoup de clients du secteur public, comme les mairies, les CAF, les URSSAF, les offices de tourisme…

SD : Pouvez-vous citer des entreprises type utilisant vos solutions ? Disposez-vous de normes de sécurité au niveau des données ?

MT : Nous avons de très belles marques, mais qui ne sont pas représentatives de notre part de marché. Nous travaillons avec une antenne de Renault, par exemple. Nous sommes partenaires dans les projets de nos clients, nous ne venons pas nous substituer. Nous ne fournissons pas de données. Nous respectons le RGPD. Et nous sommes très vigilants sur ce que font les clients de leurs données lors des campagnes.

SD : Comment les clients ont-ils accès à vos services ?

MT : Les outils du groupe demeurent une solution facilement accessible. En effet, il suffit de se rendre sur le site pour créer un compte en quelques clics. Vous pouvez préparer vos campagnes. Vous pouvez acheter l’abonnement en ligne. Nous souhaitons rendre le plus accessible possible nos solutions. Mais si le client le souhaite, il peut recevoir un accompagnement sur la découverte de l’outil et l’analyse du besoin.

SD : Vos services sont-ils accessibles uniquement indépendamment des autres ?

MT : Si vous avez besoin d’automatiser votre prospection, il faudra prendre un abonnement Datananas. Si vous avez besoin de campagne de communication, vous devez soit souscrire à un abonnement Sarbacane ou Rapidmail. Mais avoir les deux n’a pas vraiment de sens puisque c’est la même chose. Si vous avez besoin de transactionnelle, il y a des solutions dans Sarbacane. Par contre, nous sommes en train de travailler sur une nouvelle suite chez Sarbacane. D’ici le premier trimestre 2023, il sera possible de retrouver toutes les solutions du groupe Positive dans une seule suite, avec un seul compte et un seul abonnement. Le prix reste raisonnable pour quelques milliers d’euros par an. Chaque module aura son espace comme avec l’automation grâce à Datananas qui passera sous le nom de Sarbacane Engaged, toute la partie campagne passera sous le nom de Sarbacane Campaign etc. Le tchat, actuellement à part, sera inclus dans la suite. Je souligne que la future suite va englober les services mais ne détruira pas les marques. Chaque service pourra toujours être accessible indépendamment.

SD : Quel est votre produit phare ?

MT : L’outil de campagne marketing, avec l’emailing, est le plus gros sujet du groupe. Nos solutions envoient entre 4 et 5 milliards de mails par an. Nous notons de très belles années pour les SMS pendant le Covid. Nous envoyons entre 400 et 500 millions de SMS par an. Néanmoins, l’email reste le canal le plus fort. En effet, tout le monde a une adresse email, aujourd’hui il se substitue à notre adresse postale. Les clients aiment bien se rattacher à cette universalité. Dans le futur, rien ne remplacera l’email.

SD : Quel produit souhaitez vous améliorer en priorité dans le futur ?

MT : Nous travaillons sur la suite pour créer de l’homogénéité afin de rassembler notre savoir-faire sur les vingt dernières années. Nous souhaitons également nous diriger vers la croissance externe. L’objectif est d’atteindre des nouveaux canaux comme les réseaux sociaux. Il est vrai que nous ne sommes pas très forts sur ce domaine, mais c’était aussi une volonté de notre part. Dans notre vision, les réseaux sociaux s’orientent plus vers des régies [NDLR : publicitaire]. Néanmoins, intégrer un module à notre solution pour gérer des campagnes de publishing sur les réseaux serait clairement un plus dans notre offre. Le canal des notifications est en cours de développement, il devrait prospérer dans les années à venir.

SD : Faites-vous face à une grande concurrence dans le secteur ?

MT : Le marché est très très grand, nous parlons de dizaines de milliards sur l’échelle mondiale, néanmoins il est très concurrentiel et éclaté. Très concurrentiel avec les acteurs américains, européens qui ont d’importants moyens pour s’imposer. Sarbacane a toujours été la petite PME gauloise de Lille. Nous avons toujours essayé de financer notre développement avec nos revenus grâce aux abonnements des clients. Les fondements de Sarbacane ont été 15 années d’autofinancement. Nous avons fait face à des sociétés qui ont levé des fonds très fortement. Nous sommes très contents de pouvoir enfin travailler dans les mêmes conditions que certaines entreprises qui l’ont fait dès leur création. Cela nous donne beaucoup plus de force, puisque nous avons réussi à créer un groupe qui a été construit sur la durée. Nous avons créé son autonomie et son indépendance.

D’une autre part, des entreprises qui ont réussi à créer un projet comme le nôtre avec une dizaine de personnes. Il y en a plein en Europe. Notre objectif est de consolider ce marché en allant voir ces petites sociétés qui ne sont pas très développées. Elles font en général 4-5 millions de revenus et plafonnent. Nous les prenons par la main et nous leur expliquons que nous allons construire ensemble plutôt que chacun dans son coin. Il doit y avoir une trentaine, une quarantaine de sociétés de ce type en Europe.

Le marché est aussi fragmenté au niveau de l’approche du métier. Il y a des sociétés comme nous, des pure players, mais également des solutions développées sur des métiers un peu différents comme un CRM, ou un CMS.

SD : Le changement de nom a-t-il un lien avec la levée de fonds ? Quelles ont été les motivations pour cette nouvelle rentrée au capital de Sarbacane ?

MT : Le changement de nom était nécessaire pour créer une structure qui rachète l’ancienne. De plus, depuis le rachat de Rapidmail, c’était une promesse que j’avais faite pour que l’entreprise ait autant de place que Sarbacane dans le Groupe. Il faut noter que c’est une levée de fonds de société rentable, un Achat à effet de levier (LBO), dans lequel nous venons à la fois faire rentrer un nouveau fonds mais aussi lever une nouvelle dette. La dette est un sujet important dans notre développement puisque nous devons utiliser ce mécanisme. Cette rentrée de nouveau fonds, n’est pas liée à un désaccord avec le précédent. Nous avions juste atteint nos objectifs planifiés sur quatre ans, en seulement deux. Avec cette levée de fonds, nous souhaitons industrialiser pour aller beaucoup plus vite. Nous nous fixons un cap bien plus élevé qu’en 2020.

SD : Pour quelles raisons, avez-vous racheté Marketing 1BY1 ?

MT : Nous connaissons Marketing 1BY1 bien avant ce rachat. C’est une entreprise lilloise, les accords sont donc forcément plus simples dans les discussions. Nous avions déjà travaillé ensemble puisque nous étions partenaires chez certains clients. Les discussions ont abouti à un sentiment de besoin que nous pourrions avoir chez certains de nos clients, notamment les grands comptes. En effet, nous n’avions pas toute cette partie de gestion de data en amont qu’amène cette entreprise. Nous étions plutôt forts pour activer la data et la gérer lors des campagnes, mais pas du tout pour agréger, gérer, segmenter ou encore scorer ce domaine. Ce rachat va nous permettre d’aller rencontrer des grands clients B2C. Cette stratégie est très opposée à celle de Sarbacane qui a toujours ciblé les PME, mais nous avons depuis plusieurs années des demandes de grandes entreprises. Elles souhaitent utiliser Sarbacane en termes d’interface car c’est simple et rapide.

SD : L’entreprise rachetée va-t-elle changer d’identité, ou se diluer au sein de Sarbacane ?

MT : Dans un premier temps, l’entreprise va garder son identité. Néanmoins, nous nous autorisons à simplifier l’utilisation des solutions de Marketing 1BY1, en l’intégrant dans un module de la suite Sarbacane. Ce module sera à destination des clients qui souhaitent avoir accès à tous les outils du groupe.

SD : Quels sont les projets de cette nouvelle entreprise ?

MT : Nous voulons les aider à industrialiser leur processus. Aujourd’hui, ils n’ont qu’une trentaine de clients grands compte. Dans le groupe Positive, nous avons des centaines de clients de ce type. Ce ne sont pas des prospects qui nous rapportent énormément mais que nous pourrions présenter à Marketing 1BY1.

SD : Après différents rachats et cette levée de fonds, quels sont vos prochains objectifs ?

MT : Nous souhaitons ajouter des modules au Groupe dans les années à venir. Nous voulons devenir un réel acteur du marketing digital et non plus une simple solution d’emailing. Notre objectif pour 2026 sera atteignable en développant nos sociétés. Chaque filiale doit continuer de croître. En moyenne, nous faisons entre 10 et 15% de croissance par an. Si nous continuons sur cette lancée avec d’autres compléments de revenus en agrégeant d’autres sociétés, l’objectif du chiffre d’affaires de 2026 sera atteint avec 20 à 30% de croissance par an.

SD : Votre expansion est-elle prévue dans d’autres pays européens, ou des pays internationaux ?

MT : L’objectif du groupe n’est plus d’être un acteur français. Nous avons longtemps priorisé le développement de la France. Il y a une dizaine d’années, nous avons lancé une filiale en Espagne, elle n’a jamais vraiment réussi sur l’aspect commercial. L’entreprise s’est transformée en bureau pour avoir une antenne à Lille et à Barcelone. Elle nous permet de recruter plus facilement là-bas, si besoin. Nous avons des ressources marketing sur place qui ne travaillent pas forcément pour l’Espagne. L’ambition était de grandir organiquement en Europe, mais l’éclatement de l’offre sur le marché compliquait la tâche. Nous avons alors pris la décision de changer notre stratégie. Jusqu’au rachat de RapidMail, nous étions à plus de 80% de clients français. Aujourd’hui nous sommes à 70% de clients dans l’hexagone, mais nous souhaitons très rapidement descendre en dessous des 50%.

SD : Quelles sont les raisons de rester à Lille depuis tant d’années, est-il prévu que le groupe déménage son siège ?

MT : J’habitais Hem (NDLR : Ville importante de la banlieue lilloise) depuis ma jeunesse. En rachetant les bureaux de mon père, nous avons construit un joli campus pour Sarbacane. C’est un super lieu, épanouissant pour nos collaborateurs. Je ne suis pas non plus pour une centralisation malgré l’ambition de l’entreprise. Dans nos logiciels, nous pouvons tout faire à distance avec les clients. C’est d’ailleurs une demande de leur part, il n’y a pas d’intérêt à aller les voir tous les quinze jours ou trimestres. Nous pouvons être partout, cela n’a pas vraiment d’importance.

SD : Certains acteurs du marché ont une notoriété importante, comment expliquez-vous que Sarbacane soit moins connu ?

MailChimp et SendInBlue se sont positionnés sur des clients de masses. Ils ont fait un travail quantitatif. Il y a quelques années, quand le digital marketing s’est envolé, nous avons préféré nous placer sur le côté et ne pas céder à la guerre du nombre de clients et des coûts d’acquisition. Ce sont des sociétés qui ont investi énormément via des levées de fonds. Ils ont installé une notoriété plus marketing que de satisfaction. Il y a beaucoup de clients qui partent de ces solutions à cause des résultats. En effet, les clients ont besoin d’être conseillés. Sarbacane, grâce à ses coachs, rassure les clients et les aides sur ce travail de longue haleine. Adobe a fait un travail d’acquisition du marché des grands comptes. Les produits sont certes reconnus, mais ils sont trop complexes pour les clients. En général, les grands comptes n’utilisent que 5 à 10% des capacités qu’offre Adobe. Les entreprises sont obligées de faire appel à des personnes externes pour la mise en place des outils. Chez Sarbacane, nous voulons que nos produits soient accessibles, simples d’utilisation et compréhensible. Nous pensons qu’avec notre positionnement, nous pouvons prendre des parts de marché à ces géants.

SD : L’empreinte carbone du numérique est un sujet important dans le débat public. Est ce un domaine auquel vous êtes sensibilisé chez Sarbacane ?

MT : Nous avons énormément de projets pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Néanmoins, après des études d’un cabinet externe, nous produisons très peu de carbone avec nos activités. Nous essayons de nous améliorer sur le quotidien des employés, l’exploitation des bâtiments du groupe. Nous travaillons sur tous les sujets, nous essayons d’optimiser nos actions pour être sûr d’avoir un impact sur notre empreinte.

SD : Le nouveau nom de l’entreprise, Groupe Positive, représente-t-il une réalité au quotidien pour vos employés chez Sarbacane ?

MT : Je surnomme l’équipe la « Tribu Sarbacane », nous sommes très attachés à l’humain. Nous essayons de cultiver cet esprit au quotidien. Par exemple, nous avons fêté la semaine dernière l’arrivée de l’équipe Marketing 1BY1. Nous avons aussi une crèche d’entreprise depuis dix ans. L’entreprise permet aussi la participation des collaborateurs au capital. Tous les employés peuvent devenir actionnaires du Groupe.