Le monde des cryptomonnaies semble abasourdi. Après le sauvetage raté de Binance, le géant FTX a fait faillite. Retour sur la chute d’un géant, deuxième plateforme d’échange de crypto-actifs au monde jusqu’à la semaine dernière.

La chute de FTX

Considérée jusqu’ici comme l’une des plateformes de cryptomonnaies les plus sûres, la deuxième plus grande entreprise d’échange de crypto-actifs s’est effondrée en seulement quelques jours. Il y a à peine une semaine, la fortune de Sam Bankman-Fried (SBF), le fondateur et PDG de FTX, était évaluée à 16 milliards de dollars. Aujourd’hui, elle est égale à zéro. C’est un scandale dont les contours sont encore flous. Pourtant, le trentenaire avait réussi à rallier à ses côtés des investisseurs de premier plan comme Temasek et SoftBank, mais aussi une légende du football américain, Tom Brady, devenu ambassadeur de sa marque.

Trois années de gloire se sont effondrées en seulement quelques jours. Le vendredi 11 novembre 2022, FTX est officiellement déclarée « en faillite » auprès d’un tribunal du Delaware. Selon les observateurs, c’est ni plus ni moins que « la plus grande chute dans le monde des cryptomonnaies ». On compare déjà cette faillite avec celle en 2001 du courtier en électricité Enron, ou celle en 2008 de Lehman Brothers. Cette histoire a effectivement de quoi surprendre. 

Avec ses 300 salariés, FTX était l’une des plateformes de cryptomonnaies les plus solides du marché. 100 000 clients se retrouvent aujourd’hui sans issue et on peut imaginer qu’à l’avenir, la confiance dans les plateformes de crypto-actifs va être largement remise en question. La chute de FTX a fait chuter le Nasdaq, le Dow Jones et le S&P 500. Même chose pour le bitcoin qui a chuté de 16 %. Il est maintenant en baisse d’environ 75 % par rapport à novembre 2021. La chute de FTX fait l’effet d’une onde de choc pour l’industrie des cryptomonnaies.

Sam Bankman-Fried, patron de FTX, a franchi la ligne rouge

D’après plusieurs sources dont le Wall Street Journal, Sam Bankman-Fried aurait utilisé la moitié de sa fortune (16 milliards de dollars de capitaux déposés par ses clients) pour financer sa propre société cryptofinancière baptisée Alameda et enregistrée aux Bahamas. Le fondateur de la plateforme doit encore 10 milliards de dollars à FTX. Par ailleurs, des dizaines de cadres supérieurs qui travaillent chez FTX ont quitté les Bahamas durant le week-end. Ils ont quitté l’Albany Resort, la communauté fermée où ils vivaient, pour Hong Kong, là où FTX avait établi son siège jusqu’en 2021. 

Avant leur départ vendredi soir, des centaines de millions de dollars ont été vidés des portefeuilles de FTX. Le magnat de la cryptomonnaie a donc franchi une ligne rouge. Une limite normalement infranchissable aux États-Unis depuis la crise de 1929 et renforcée après la crise financière de 2008 : « utiliser l’argent de ses clients pour spéculer pour son propre compte ». 

La Securities and Exchange Commission (SEC) a, sans surprise, ouvert une enquête sur ce scandale. John Ray, nouveau dirigeant de FTX et spécialiste des faillites, doit gérer des dettes dont le montant pourrait avoisiner les 50 milliards de dollars. Il a déclaré que « le groupe FTX dispose d’actifs précieux qui ne peuvent être gérés efficacement que dans le cadre d’un processus organisé ». Comment l’entreprise FTX a-t-elle pu en arriver là ?

Binance : la tentative de sauvetage manquée

La chute de cette plateforme a en partie été provoquée par un tweet de Changpeng Zhao (CZ), le patron et fondateur de Binance (le numéro 1 dans le secteur des cryptomonnaies). En effet, il y a quelques mois, il a annoncé que Binance allait « vendre l’intégralité de ses FTT ». Un token émis par FTX. Il expliquait qu’en raison de « récentes révélations, nous avons décidé de liquider tous les FTT restant dans nos comptes. Nous essaierons de le faire d’une manière qui minimise l’impact sur le marché. En raison des conditions du marché et de la liquidité limitée, nous prévoyons que cela prendra quelques mois ». 

À cet instant, un vent de panique a soufflé dans le monde des crypto-actifs. Avec cette déclaration, CZ a sous-entendu que FTX allait rencontrer d’importants problèmes de liquidités. Concrètement, le patron de Binance a fait comprendre aux utilisateurs du monde entier que FTX n’aurait pas assez d’argent en stock pour faire face à ses engagements. Parallèlement, de nombreux investisseurs ont retiré l’argent stocké sur la plateforme par précaution. Au départ, SBF, fondateur de FTX, s’est voulu rassurant. 

Il a même démenti les rumeurs évoquant le début d’une crise en expliquant que « FTX va bien. Les actifs vont bien. FTX peut couvrir tous les avoirs de ses clients ». Aujourd’hui, nous savons que c’était un mensonge. Cette situation a poussé Binance à formuler une proposition de rachat. Le géant des cryptomonnaies a déclaré la semaine dernière avoir « signé une lettre d’intention non contraignante, dans le but d’acquérir entièrement FTX ».

Une opération qui aurait pu permettre à FTX de sortir la tête de l’eau. Certains analystes du marché disent que Binance aurait pu orchestrer la chute de la plateforme américaine pour pouvoir la racheter. Des accusations démenties par le patron de Binance qui assure ne pas avoir « planifié cela ou quoi que ce soit qui s’y rapporte. Je n’avais que très peu de connaissances sur l’état interne des choses chez FTX ». Avant de finaliser le rachat, Binance a voulu vérifier les comptes de FTX.

Un porte-parole a déclaré que « des éléments suspects et troublants, indiquant que les fonds des utilisateurs ont été mal gérés par la plateforme, ont été identifiés ». Finalement, l’acquisition ne se fera pas. Binance abandonne FTX.

Le vent tourne pour les crypto-actifs

Depuis quelques mois, on sent bien que le marché des cryptomonnaies s’approche d’un tournant majeur. Il y a eu l’effondrement du bitcoin. Aujourd’hui il vaut 16 700 dollars, contre un record établi à plus de 60 000 dollars il y a environ un an. Parfois considéré comme « le nouvel or digital », pouvant offrir stabilité des cours, garantie d’authenticité et protection contre l’arbitraire des gouvernements, les crypto-actifs se révèlent être extrêmement volatils.

Plus récemment, Reuters révélait que le krach des cryptomonnaies mettait à mal l’économie de la Corée du Nord. Les fonds volés et non blanchis ont perdu beaucoup de valeur. En effet, cet effondrement de l’écosystème remet clairement en question les finances du pays qui avait bâti un nouveau modèle dépendant de ces valeurs.

Avec la chute de FTX il y a la crainte d’un effet tâche d’huile. Si les répercussions sur les marchés boursiers semblent pour le moment limitées, la crainte d’une contagion est réelle. Kris Marszalek, le patron de Crypto, une autre plateforme d’échange de crypto-actifs, s’est à son tour exprimé en direct ce week-end pour démentir des rumeurs selon lesquelles sa société serait aussi en difficulté. À l’origine de ces informations, un transfert d’ethers d’une valeur de 400 millions d’euros vers une autre plateforme le mois dernier.

Même le PDG de Binance plaide désormais pour une nouvelle forme de régulation. Il s’est exprimé en marge du sommet du G20 à Bali pour expliquer que « le marché des crypto-actifs est tout neuf, on l’a vu la semaine dernière, la situation est en train de devenir folle dans le secteur. Nous avons vraiment besoin de régulation, il faut que ce soit fait correctement et de manière stable ».

Aujourd’hui, la capitalisation boursière du marché des cryptomonnaies s’est contractée sous le seuil des 900 milliards de dollars, contre 3 000 milliards de dollars l’année dernière.