C’est lundi 24 octobre 2022 que le ministère de la justice américain, par le biais de son procureur général Merrick Garland, a rendu public une plainte visant 2 personnes inculpées pour tentative d’entrave à une enquête fédérale. La plainte aurait été déposée la semaine dernière à Brooklyn, et si elle ne mentionne pas explicitement Huawei, des sources proches du dossier confirment qu’il s’agit bien du géant des télécoms chinois.

La plainte révèle que des agents de renseignement chinois mèneraient des opérations de renseignement étranger contre les États-Unis au nom du gouvernement chinois. Les accusés, Guochun He et Zheng Wang, résideraient en Chine et n’ont ainsi pu être interrogés. Lors de la conférence de presse, le procureur général américain déclarait qu’« il s’agit d’une tentative flagrante de la part d’agents des services de renseignement de la République Populaire de Chine de soustraire une entreprise basée en Chine à l’obligation de rendre des comptes et de saper l’intégrité de notre système judiciaire ».

Huawei, dans le collimateur américain depuis plusieurs années

La révélation de la tentative d’espionnage chinoise tombe dans un contexte d’extrême méfiance des États-Unis envers la Chine. Plus tôt cette année, le président américain Joe Biden signait le Chips and Science Act. Une ratification qui, en apparence, visait à rapatrier la production de semi-conducteurs sur le territoire américain, mais qui d’évidence permettait d’actionner un levier parallèle d’embargo progressif sur leur exportation vers la Chine.

En première ligne de ces restrictions : Huawei. Et ce, depuis plusieurs années. Dès 2018, les États-Unis sonnaient l’alerte sur l’utilisation des équipements de Huawei. Craignant un espionnage de masse facilité par le déploiement de la 5G via les réseaux Huawei, les pays alliés se voyaient dissuader de faire appel au géant chinois. Quatre ans plus tard, les suspicions américaines refont surface, cette fois sur leur propre sol. Huawei est en effet soupçonnée de mettre sur écoute rien de moins que les bases militaires américaines. Des tours cellulaires équipées du matériel chinois capteraient des informations sensibles provenant de bases militaires et de silos à missiles.

Plusieurs enquêtes sont en cours, et alors que l’appareil judiciaire américain œuvre à traquer Huawei sous plusieurs angles, les sanctions économiques s’accumulent, elles aussi, manœuvrées par l’organe politique.

En mai 2019, l’ex président Donald Trump amorçait le début de lourdes sanctions financières à l’encontre de Huawei. En signant un décret interdisant de faire des affaires avec les sociétés de télécommunication présentant un risque pour la sécurité nationale, il s’en prenait directement au portefeuille de Huawei, qui voyait ses ventes plonger. Le même président, en janvier 2021, serrait une nouvelle fois la vis et interdisait à de nombreux fournisseurs de vendre leur matériel au fabricant de smartphones chinois.

Des sanctions qui seront suivies d’effet dans les résultats publiés par le géant chinois. Non seulement Huawei affichait une perte de revenus de 29 % en début d’année, mais plus récemment, l’entreprise déclarait par ailleurs devoir réduire sa masse salariale, pour la première fois depuis 2008.

Bitcoins, agent double et espionnage d’état

Huawei, c’est le fer de lance de l’industrie des télécoms chinois. L’entreprise concentre l’attention de nombreux acteurs qui voient en elle un pion évident et essentiel du gouvernement chinois, mobilisable à des fins de piratage ou de cyberespionnage. Une collusion entre l’appareil étatique chinois et un de ses fleurons d’entreprise privée notamment soulignée par le patron du FBI, Christopher Wray : « dans ces trois cas, et franchement dans des milliers d’autres, nous avons constaté que le gouvernement chinois menaçait les normes démocratiques établies et l’État de droit en s’efforçant de saper la sécurité économique des États-Unis et les droits fondamentaux de l’homme, y compris ceux des Américains. Le parti chinois prétend défendre la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires des autres États, mais ce que fait en réalité le gouvernement chinois, c’est s’ingérer dans les affaires des gouvernements souverains du monde entier lorsque cela arrange Pékin ».

Les détails de la tentative d’ingérence révélée ce lundi mettent en scène nos 2 accusés, qui dès 2017, se seraient rapprochés d’un agent américain en vue de le soudoyer. Celui-ci aurait rapidement donné l’alerte et aurait dès lors commencé à opérer en tant qu’agent double, supervisé par le FBI. C’est sur la base de pots-de-vin que les espions chinois présumés comptaient subvertir l’agent double américain. Celui-ci aurait reçu plusieurs milliers d’euros de pots-de-vin sous différentes formes : Bitcoin, argent liquide et bijoux lui auraient été versés toutes ces années en échange d’information sur les enquêtes en cours à l’encontre de Huawei.

La plainte rendue publique par le ministère de la justice avance que la tentative d’espionnage portait à soustraire des informations sur les témoins appelés, les nouvelles accusations potentielles et les preuves du procès.

« Cette affaire expose l’interconnexion entre les agents du renseignement de la Chine et les entreprises chinoises, et elle démontre, une fois de plus, pourquoi il ne faut pas faire confiance à ces entreprises – en particulier dans le secteur des télécommunications – pour gérer en toute sécurité nos données et communications personnelles sensibles », déclarait Lisa Monaco, procureure adjointe en charge de l’affaire.