Quelques jours après avoir dévoilé le prototype d’Ariane 6 enfin assemblée en Guyane, l’Agence spatiale européenne (ESA), ArianeGroup et le CNES (Centre national d’études spatiales) ont finalement annoncé que le vol inaugural du prochain fleuron européen n’aurait pas lieu avant le dernier trimestre 2023. Cet énième report met à mal le spatial du Vieux Continent, déjà à la peine face au secteur privé qui évolue très rapidement.

Nouveau retard d’un an

L’Ariane 6 est en développement depuis 2014. À l’époque, ses constructeurs assuraient que son premier vol serait prévu pour 2020 et depuis, les retards s’accumulent. Si l’on pouvait penser que voir la fusée enfin assemblée était bon signe pour son premier décollage normalement prévu au premier trimestre 2023, ce n’est finalement pas le cas.

Lors d’une réunion d’information tenue le 19 octobre, des responsables du projet ont annoncé que le premier vol de la fusée depuis Kourou, en Guyane française, était désormais prévu pour le quatrième trimestre de 2023. Si ce retard est en partie dû à la pandémie de Covid-19, les dirigeants ont également évoqué plusieurs problèmes techniques lors de tests. Actuellement, des tests d’interfaces entre la fusée et les équipements au sol sont effectués grâce au prototype, le but étant de terminer les tests de l’étage supérieur et du complexe de lancement au premier trimestre 2023.

Par ailleurs, le premier modèle de vol d’Ariane 6 est dans les « dernières étapes » de son assemblage et devrait ensuite être expédié à Kourou pour son lancement inaugural (le prototype actuellement testé en Guyane n’est pas celui qui réalisera ce vol). Compte tenu de l’ampleur des tests qui doivent encore être menés, il n’est pas exclu que le premier décollage d’Ariane 6 soit opéré en 2024…

L’Europe privée d’Ariane pendant de longs mois…

Le problème est de taille. La fusée Ariane 5, dont Ariane 6 est censée prendre le relais, sera en effet mise à la retraite au premier trimestre 2023, il ne lui reste plus que trois lancements. Pendant près d’un an, l’Europe ne disposera donc que d’un lanceur : Vega-C. Or, ce dernier est spécialisé pour les vols en orbite basse et ne peut transporter que des charges légères. Ariane 6 est adaptée à l’orbite géostationnaire et possède une charge utile pour cette altitude similaire à celle du Falcon 9 de SpaceX.

Des Falcon 9 en train d'atterrir après un lancement.

SpaceX est capable de récupérer ses lanceurs, faisant drastiquement baisser les coûts de ses lancements. Photographie : SpaceX

Le retard d’Ariane 6 va avoir des répercussions sur l’ensemble du secteur spatial européen. Au mois de février dernier, les ministres européens chargés de l’espace rappelaient l’importance de prioriser les fusées européennes pour les lancements de satellites, mais comment faire lorsqu’il n’y a pas d’appareil disponible ? Les opérateurs du Vieux Continent n’ont désormais que deux alternatives : l’Agence spatiale indienne (ISRO) et SpaceX. En effet, ils ne collaborent plus avec la Russie à cause du conflit ukrainien, malgré l’utilité et la fiabilité du lanceur Soyouz.

Pourtant, ArianeGroup a volé à la rescousse de plusieurs entreprises suite à la guerre ukrainienne en prenant à sa charge des tirs prévus sur Soyouz en 2023, notamment ceux d’Euclide et d’Earthcare pour le compte de l’ESA et de deux satellites Galileo, le GPS européen. Leurs opérateurs vont devoir s’armer de patience.

Ariane 6 a déjà 28 contrats

Au total, 28 contrats ont déjà été passés pour des tirs d’Ariane 6, rapporte Le Figaro, dont 18 avec Amazon pour déployer une partie de la constellation Kuiper. Quatre lancements sont prévus pour 2024 ; si ArianeGroup a affirmé avoir discuté sans accroc avec ses clients sur de possibles reports, il est certain que l’accumulation de retard entacherait l’image de la fusée européenne, d’autant plus qu’un certain budget devra venir compenser son retard d’exploitation.

À ce stade, le coût global du développement d’Ariane 6 est « légèrement inférieur » à 4 milliards d’euros, mais ce chiffre devrait encore grimper puisque les tests de la fusée ne sont pas encore achevés.

Le spatial privé peut se frotter les mains

Cette nouvelle contrevenue tombe très mal, et semble pousser les opérateurs dans les bras du grande concurrent d’Ariane 6, le Falcon 9. Très fiable, le lanceur de SpaceX propose en plus des coûts attrayants du fait de sa réutilisabilité, caractéristique qui n’a pas encore été atteinte par les fusées européennes. D’ailleurs, les ministres italien et français de l’économie déclaraient en 2021 que l’Ariane 6 et Vega-C étaient d’ores et déjà surpassés par le Falcon 9.

L’UE a du mouron à se faire, avec de plus en plus d’entreprises privées à l’instar de Rocket Lab ou de Firefly Aerospace qui développent des lanceurs, bien que ces derniers soient encore loin des prouesses de SpaceX. Toutefois, le privé avance vite et n’est pas restreint par les coupes budgétaires des États… Espérons que le projet de mini-lanceur réutilisable d’ArianeGroup voit le jour comme prévu, en 2026.