Alors que le recyclage des produits technologiques est plus qu’une nécessité pour réduire la production et tendre vers la sobriété technologique, de nombreuses organisations font un tout autre choix. Au lieu de donner une seconde vie à leurs appareils utilisés, les géants technologiques font le choix de les rendre inutilisables en les détruisant.
Détruire les disques durs au lieu de recycler : genèse d’une réalité dans le milieu de la tech
Pour le Financial Times, Mick Payne, patron de l’exploitation pour Techbuyer, une entreprise spécialisée dans l’achat, la remise à neuf et la revente d’équipements informatiques, s’est exprimé sur l’une des expériences qu’il a vécues plus d’une fois dans sa vie. Alors qu’il se rendait dans le centre de données d’un grand groupe technologique, Mick Payne propose à l’entreprise de reprendre l’ensemble des disques durs usagés, voués à être remplacés dans peu temps. Il promet une somme assez conséquente tout en s’engageant à effacer toute donnée présente dans les appareils de stockage.
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Réponse sans appel de l’entreprise : elle refuse et affirme qu’un camion va récupérer tous ces disques durs afin de les déchiqueter. Une décision incompréhensible pour Mick Payne.

Les centres de données sont composés d’immenses rangées d’armoires. À l’intérieur, des commutateurs de réseau, des routeurs, des firewalls, mais aussi des câbles et des racks. Enfin, il y a des systèmes de stockage, plus communément appelés disques durs. Ces derniers sont changés deux à trois fois par décennie. Image : Microsoft.
Tous les 3 à 5 ans, afin de garantir une performance maximale, tout appareil de stockage de données présent dans un centre de données est remplacé par un nouveau. Cela ne veut pas dire que le disque dur n’est plus fonctionnel, mais simplement qu’il est moins performant qu’à ses débuts. Toutes les entreprises contactées par le Financial Times ont affirmé qu’elles préféraient les détruire plutôt que de les vendre, même si le prix était intéressant. Mais alors pourquoi ?
Les groupes ont peur que des données confidentielles puissent rester sur les disques durs…
Un employé d’Amazon Web Services a confirmé que la firme de Jeff Bezos détruisait ses disques durs considérés comme obsolète. « Si nous laissons passer une donnée, nous perdons la confiance de nos clients », précise-t-il. Un employé de Microsoft affirme la même chose : « nous détruisons actuellement tous les dispositifs porteurs de données pour garantir que la confidentialité des données des clients est pleinement préservée ».
Les entreprises auraient peur que les données fuitent. À juste titre ? En septembre 2022, la Securities and Exchange Commission des États-Unis (SEC) a infligé une amende de 35 millions de dollars à la banque Morgan Stanley. La raison invoquée : ne pas avoir correctement effacé les données des clients après le démantèlement des serveurs de la banque. Une partie du matériel de stockage s’est retrouvée aux enchères alors qu’elle contenait des données bancaires.
Indéniablement, la question de la confidentialité des données se pose. Toutefois, une autre raison est également évoquée : celle de l’écologie et de l’énergie. Cela peut sembler surprenant à première vue, mais en détruisant ces disques durs, ils ne sont plus réutilisables et ne consomment pas plus d’énergie.
La question géopolitique entre dans l’équation
Une étude du laboratoire national d’énergies renouvelables des États-Unis (NREL) affirme que chaque année, 20 millions de disques durs sont mis hors service outre-Atlantique. Ils font partie des 54 millions de tonnes de déchets électroniques produits chaque année dans le monde. Chacun de ses disques durs contient des composants électroniques produits grâce aux terres rares.
Ces matériaux, contrairement à ce qu’indique leur nom, ne sont pas si rares que ça. Lanthanides, néodyme, dysprosium, graphène… tous sont utilisés pour la production de semi-conducteurs et sont trouvables un peu partout sur la croûte terrestre. Néanmoins, un pays extrait plus de la moitié de ces terres rares : la Chine.

La Chine compte à elle seule plus d’un tiers des réserves de terres rares dans le monde en 2021. Capture d’écran : Pays comptant les plus grandes réserves de terres rares dans le monde en 2021 / Statista.
Ces métaux, les terres rares, sont potentiellement recyclables, mais en détruisant un composant électronique la terre rare contenue n’est plus exploitable. C’est ce que précise Julien Walzberg, chercheur pour le NREL au Financial Times : « Même si vous récupérez tous les matériaux lorsque vous recyclez un produit, toute l’énergie et l’argent que vous avez consacrés à l’utilisation de ces matériaux pour fabriquer les composants du produit sont définitivement perdus ». Dans son rapport, il affirme que la réutilisation d’un disque dur évite d’émettre quatre fois plus d’émissions de dioxyde de carbone que de le détruire.
L’exigence des clients et la pression des fabricants de composants électroniques
La dernière difficulté concernerait l’exigence des clients, certaines multinationales affirmant que leurs clients souhaitent l’excellence. Cela passerait, selon eux, par l’acquisition d’outils informatiques performants et donc, le renouvellement des composants.
Même si la tendance est à la destruction de ce matériel considéré comme obsolète, les géants technologiques semblent être conscients du problème. Google a dernièrement indiqué que 27% de ses composants utilisés dans ses serveurs étaient remis à neuf, formater pour être réutilisé dès que cela est possible. Microsoft de son côté, affirme que d’ici 2024, 80 % de ses disques durs déclassés seront réutilisés. Un chiffre qui semble compliqué à atteindre tant la firme continue à détruire en masse ses vieux disques durs.
Cette dernière a fait des efforts pour prolonger le cycle de vie de ses serveurs cloud, de deux ans. Désormais, au lieu de renouveler ses disques durs tous les quatre ans, Microsoft le fera tous les six ans. Le géant technologique prend néanmoins le risque d’inquiéter ses clients ainsi que les fabricants de processeurs qui fournissent l’entreprise en composants électroniques.
Alors que des spécialistes sont convaincus qu’il est possible d’effacer toute donnée sur un disque dur de manière sécurisé, la destruction reste de mise. Tandis que la pénurie des semi-conducteurs fait toujours rage, plus que jamais, la question du recyclage des composants électroniques se pose.