« Si c’est gratuit, c’est vous le produit ». Une formule qui s’est imposée dans le langage courant d’internet, avec en guise de champ d’application sa porte d’entrée : le moteur de recherche. Aujourd’hui, 90 % des recherches sur le web à travers le monde sont l’apanage d’un seul acteur, Google. Un cartel solitaire qui assoit sa dominance à travers un modèle largement construit autour des revenus générés par la publicité. Des algorithmes de recherche sur internet dont les résultats sont pondérés par les portefeuilles d’annonceur : c’est le modèle biaisé qui est donc proposé à une écrasante majorité des internautes.

Alors que les affaires judiciaires centrées autour de l’impartialité et du monopole de Google commencent à faire les gros titres, la firme de Mountain View doit désormais composer avec un concurrent qui prend en tout point son contrepied : Neeva.

Neeva, moteur de recherche sans publicité ni annonceur

Lancée en 2021 aux États-Unis, l’entreprise est cofondée par rien de moins que l’ex-vice-président du département publicité de Google, Sridhar Ramaswamy, au côté de Vivek Raghunathan (ex-vice-président au département monétisation de YouTube). Sridhar cite d’ailleurs le modèle et le monopole de son ancienne entreprise comme pierre angulaire pour construire Neeva.

« Compte tenu de l’importance de Google, il était important que l’acteur central ait un point de vue alternatif. Nous bénéficions tous de l’exposition à de multiples points de vue. Même avec de bonnes intentions, ce qui était le cas de mon équipe chez Google, il était très difficile de rester centré sur l’utilisateur quand il y a une pression pour faire de plus en plus de revenus. Donc, d’une certaine manière, Neeva appuie sur le bouton de réinitialisation sur la façon dont la recherche doit être pensée : en mettant l’internaute au centre », présente-t-il.

Neeva, à rebours des moteurs de recherche utilisés par tout un chacun, fonctionne sur un système d’abonnement freemium. Un modèle qui a déjà embarqué plus de 600 000 utilisateurs en douze mois de l’autre côté de l’Atlantique. Un chiffre qui devrait gonfler dans les mois à venir alors que Neeva vient se lancer en Europe, en France, en Allemagne, et au Royaume-Uni pour être plus précis.

« Neeva est une plateforme axée sur l’utilisateur, centrée sur les recherches privées et transparentes, et non un moteur de recherche au service des annonceurs. Internet devrait être un espace privé pour les utilisateurs au lieu d’être un amas de publicités, de spam SEO et d’informations non pertinentes. Avec Neeva, nous réinventons la recherche en redonnant aux utilisateurs le contrôle des sources ; nous fournissons des résultats précis et transparents ainsi que des expériences privées et personnalisées sans l’influence des partis pris des entreprises, et sans suivi incessant sur le web, » déclare Sridhar.

Portrait de Sridhar Ramaswamy

Portrait de Sridhar Ramaswamy, co-fondateur de Neeva. Photographie : Neeva.

Combiner qualité de résultat de recherche avec protection des données

Neeva propose d’attaquer le marché de la recherche web en la décentralisant : chaque utilisateur prend les rênes de son internet, ajustant ses résultats de recherche dans un environnement vierge de publicité et d’annonceur. La personnalisation du web, doublée d’une promesse de protection des données, l’internaute est en contrôle. Une position qui s’inscrit dans un modèle freemium : Neeva lancera d’abord son service de base privé et sans publicité en Europe, puis introduira son abonnement premium avec des fonctionnalités supplémentaires telles qu’un VPN et un gestionnaire de mots de passe.

Dans un monde de la navigation web gratuite pour les internautes, comment Neeva pense-t-elle faire entendre sa voix ? « Les gens sont occupés. C’est l’une des tâches les plus importantes de notre entreprise : éduquer les gens à la technologie, d’une manière bienveillante. Et comment faire en sorte que la technologie travaille pour eux. Les 3 conseils que je donne aux gens lorsqu’ils surfent sur le web : installer un bloqueur de publicité, utiliser un gestionnaire de mot de passe et utiliser un service comme Neeva. C’est ainsi que tout tourne autour d’eux, et non autour des annonceurs », appuie le co-fondateur de Neeva.

La personnalisation des résultats de recherche sur Neeva

La personnalisation des résultats de recherche sur Neeva

Neeva veut convaincre en Europe, bastion juridique important de la protection des internautes

Si Neeva se veut porte-étendard d’un web aussi objectif et personnalisable que possible, l’entreprise doit tout de même trouver un positionnement sur tout ce qui touche à la désinformation, et aux contenus qui pourraient se trouver organiquement propulsé avec mauvaise intention. Une position défendue ardemment par l’ex vice-président de Google. « Nous sommes différents des réseaux sociaux. Ils utilisent des algorithmes d’amplification : ils décident de ce que vous voyez. Ce que nous faisons : nous rédigeons des directives d’évaluation qui indiquent aux évaluateurs comment évaluer les résultats de recherche. Notre point de vue est également que vous devriez être en charge de la façon dont le classement devrait se comporter. Si un résultat vous plaît davantage, vous pouvez le faire remonter dans les résultats de recherche. Ensuite, toutes choses égales par ailleurs, nous préférerons votre classement. Nous croyons qu’il faut redonner le contrôle aux utilisateurs. »

Un exemple de résultat de recherche sur le moteur de recherche Neeva

Un exemple de résultat de recherche sur le moteur de recherche Neeva

Des utilisateurs européens qui voient leurs intérêts privés être défendus par les instances compétentes de l’Union Européenne contre les géants de la tech. Condamné en 2020 pour des pratiques anticoncurrentielles, Apple a récemment obtenu de ne payer qu’une fraction de l’amende originale de 1,1 milliard d’euros infligée par les régulateurs français. Meta, sous le feu des projecteurs de la Data Protection Commission européenne, s’est vu exiger de cesser de transférer les données de ses utilisateurs de l’autre côté de l’atlantique. Et puis Google donc, qui écopait plus tôt cette année d’une amende de la CNIL pour violation des règles sur les cookies.

Face à une surveillance accrue des acteurs de la tech, comment Neeva envisage-t-elle son intégration et développement européen ? « Nous sommes une start-up. Nous venons ici avec humilité, en mettant l’internaute au cœur de nos problématiques. Je sais que philosophiquement, l’Europe pense à des choses comme le bien collectif, la régulation, la liberté d’expression. Ils y pensent différemment que chez nous aux États-Unis. Le plus important est d’arriver en tant qu’acteur humble. Notre modèle économique ne consiste pas à accumuler des données et à montrer des publicités aux gens. J’espère qu’au fur et à mesure de notre croissance, nous pourrons ouvrir un bureau dans l’UE et que nous ferons partie d’un écosystème qui redonne de la valeur à sa société ».