La pandémie de Covid-19 a fortement bousculé le monde du travail. Les différentes restrictions sanitaires comme les confinements ont poussé bon nombre de travailleurs au télétravail, une pratique peu répandue jusqu’alors.

Le virus reculant peu à peu, les restrictions ont emprunté le même chemin, mais pas le télétravail. Beaucoup d’entreprises et d’employés n’y renoncent pas, optant souvent pour une forme hybride, alternant travail en entreprise et travail à distance. En plus de cette nouvelle forme, les attentes des employés ont fortement changé. Ainsi, elles ne sont plus forcément compatibles avec celles des employeurs. Alors comment réconcilier ces attentes, dans un monde du travail qui sera probablement hybride ? Siècle Digital en a discuté avec Gabriel Frasconi, Directeur Général France de Slack.

Siècle Digital : Pour commencer, est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur vous, sur votre parcours et votre rôle chez Slack ?

Gabriel Frasconi : D’accord. Bonjour à tous. Ce sera peut-être pas la partie la plus intéressante du podcast. Gabriel, je dirige les équipes Slack sur la France depuis le mois d’octobre, l’année dernière. J’ai un petit peu plus de 20 ans d’expérience et au bout d’un moment, on tait l’âge. J’ai plus de quinze ans d’expérience aussi en management sur des sociétés gérées sur des marchés matures et des marchés en forte croissance. Et c’est ce qui m’a amené aussi à reprendre les équipes Slack au mois d’octobre l’année dernière pour justement aborder et absorber toute cette fantastique croissance qu’on a sur le marché français. Car Slack est un petit peu au cœur des thématiques et des problématiques des entreprises aujourd’hui, et c’est ce qui m’a animé pour rejoindre la fabuleuse aventure Slack l’année dernière.

SD : Pour ce qui est de Slack, justement, est-ce que vous pouvez nous rappeler en quoi consiste son activité exactement ? Peut-être en nous donnant quelques chiffres pour illustrer tout ça.

GF : Bien sûr. Alors, Slack, notre mission, on aime à dire, notre métier, c’est d’aider les employés, les salariés, à avoir une vie plus simple, plus agréable et plus productive. C’est ça notre mission. On est après une plateforme collaborative. On a un petit peu moins de dix ans d’expérience depuis un peu moins d’un an, aujourd’hui ou quasiment un an d’ailleurs. On fait partie de la famille Salesforce qui nous a racheté le 21 juillet l’année dernière. Ça fait quasiment pile un an. Notre métier, c’est d’accompagner les entreprises dans la transformation de leur façon de travailler en rendant le travail plus simple, plus agréable. En introduisant cette notion très forte de travail asynchrone qui est un petit peu le corollaire aussi d’un travail hybride. Et Slack c’est plusieurs millions d’utilisateurs dans le monde entier. Des milliards de messages échangés tous les jours. C’est un petit peu tout ça, slack aujourd’hui.

SD : On reparlera de tout ça après. Parlons un peu avant de chiffres et surtout d’analyse. Chez Slack, vous avez lancé le Future Forum qui est donc un think tank, si j’ai bien compris, en collaboration avec le Boston Consulting Group, un cabinet international de conseil. Dans cette collaboration, il y a aussi Herman Miller, une entreprise d’ameublement et de design d’intérieur reconnue pour son innovation et Management Leadership for Tomorrow. Donc, le but avec le Future Forum, c’est d’aider les entreprises à repenser le travail dans ce nouvel environnement professionnel centré sur le numérique. Vous avez d’ailleurs déjà produit quelques
rapports. Alors justement, aujourd’hui, d’après ces rapports et ces réflexions, quel est le nouveau paradigme, si je puis dire, du monde du travail ?

GF : Effectivement, on a créé ce think tank, il y a un peu plus de deux ans et tous les trimestres, nous faisons un sondage auprès de 10 000 employés dans le monde entier, dont un gros millier en France. On découvre toutes ces données-là en fonction de la taille d’entreprises, catégories socioprofessionnelles, âges et genre. On ne va pas rentrer dans le détail de tout et la tonne de chiffres qui ont été publiés, mais surtout en réinvention et en réfléchissant au travail de demain qui a lieu dès aujourd’hui. La préoccupation ou la volonté majeure des salariés, aujourd’hui, ce qu’ils recherchent avant tout, c’est de la flexibilité. La flexibilité de temps d’abord et de lieu. Et c’est devenu la préoccupation majeure, même devant le salaire. Depuis le début de l’année, on a continué ces sondages et on a interviewé des entreprises qui ont réimposé le travail en présentiel en huit par cinq. Et c’est à peu près un tiers des entreprises qui sont revenues sur un mode full présentiel.

Et les données issues des analyses de ces employés, de ces entreprises qui réimposent le travail en full présentiel, est qu’ils sont cinq fois plus stressées et cinq fois plus enclins à changer de travail dans l’année. C’est une volonté très forte de flexibilité. Et si on n’offre pas cette flexibilité-là, les conséquences peuvent être importantes, j’oserai presque désastreuses pour les entreprises. Et ça, tout le monde doit en prendre aujourd’hui conscience. Ce n’est pas juste une lubie. On a passé plus de deux ans en travail hybride, voire full distanciel. Les attentes des employés ont changé. Ils ont changé de façon forte, importante, et nous on pense pour toujours, et les données le montrent. Et d’ailleurs, il y a quelques données paradoxales aussi. C’est à peu près 80 % de tous les employés mélangés qui souhaitent de la flexibilité. C’est encore plus important pour les femmes. Encore plus important pour les personnes issues des minorités et encore plus important pour les salariés non-cadres.

Parce que les cadres, à plus de 40, 45 % souhaitent un retour, eux, en full présentiel. Mais les salariés encore moins, avec quasiment 10 ou 15 %, souhaitent le retour en présentiel. On voit beaucoup un grand delta, une dichotomie entre les cadres et les non-cadres. Et sachant ce qui est assez, j’oserai le mot marrant et rigolo, c’est que les cadres y sont trois fois moins enclins à revenir au bureau. Donc, ils souhaitent que tout le monde revienne au bureau…

SD : Mais pas eux.

GF : Mais qu’eux-mêmes soient moins présents au bureau que les salariés. Donc, effectivement, il y a, probablement, parce qu’ils ont apprécié aussi leur résidence secondaire ou leurs activités, comme tous les employés. Et ce qui impose aujourd’hui, on verra sûrement plus tard des évolutions en termes de management. Est-ce qu’on a aujourd’hui les cadres adaptés, formés pour faire face à cette nouvelle réalité du travail hybride et flexible.

SD : J’allais vous poser la question de comment s’organise notre monde autour du travail, aujourd’hui. C’est autour du distanciel, du présentiel, c’est bien ça ? D’un travail un peu hybride.

GF : C’est un travail hybride. Il y a beaucoup de conséquences à ça. Et je disais, est-ce qu’on a les bons encadrants ? Et aujourd’hui aussi, est-ce qu’on a les bons employés ? Surtout, comment est-ce qu’on arrive à attirer les employés dans cette nouvelle réalité ? Parce que c’est la raison numéro une où la préoccupation principale des employés aujourd’hui, c’est la flexibilité. Comment est-ce qu’on y répond en tant qu’employeur, en tant que recruteur, dans une économie, en particulier dans la tech, qui est assez tendue sur le recrutement des talents. Et je vais prendre un exemple personnel. Je disais en introduction que j’ai rejoint les équipes Slack, il y a un peu moins d’un an, pour justement grandir et absorber cette forte croissance que nous avons sur le marché français. Et bien évidemment, une conséquence a été de recruter fortement. Donc, on a multiplié les équipes par quatre, ce qui impose de sourcer beaucoup, de voir beaucoup de profils et faire passer beaucoup d’entretiens. Et je prends souvent cette anecdote, parce qu’on m’a posé des questions qu’on ne m’avait jamais posées précédemment.

Une mère de famille qui me dit : « Moi, le mercredi, j’emmène les enfants au sport, à la piscine en l’occurrence. Est-ce que c’est toujours possible chez Slack ? » Mais cette question, elle est intervenue au bout de cinq minutes d’entretien.

SD : Ha oui, rapidement, oui.

GF : Et tout de suite : « écoutez, on va évacuer le débat. Est-ce que vous offrez cette flexibilité ? ». C’était pour démontrer l’importance. Et c’est tout de suite la ligne rouge. Est-ce que cette ligne rouge, je peux ? Est-ce que vous y répondez de façon favorable ou pas ? Et sinon, on arrête l’entretien tout de suite. Et ça, si on se projette deux ou trois ans en arrière, ce même type de questions, on aurait considéré ça comme des personnes non engagées, non volontaires. Et aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas de figure. Ça peut être des personnes qui sont très motivées, très engagées, mais qui ont leurs nouvelles lignes rouges là. Il faut être vigilant sur la façon dont on répond. Donc, il faut faire preuve de beaucoup d’authenticité et aussi d’humilité.

SD : Et vous pensez que les mentalités ont vraiment changé là-dessus ? Dans la plupart des entreprises ?

GF : Sur les candidats, très fortement, ce sont des nouvelles attentes. Et les entreprises aujourd’hui doivent répondre à ces enjeux-là. Et je pense, je suis convaincu que les mentalités au niveau des entreprises ont changé parce qu’on est sur un marché du travail qui est tendu. Donc, on n’a pas le choix. Et si on veut attirer ces talents-là, on doit répondre à ces nouveaux enjeux. Et il faut aussi être vigilant sur la façon dont on y répond. Moi, j’ai pris mon cas personnel. J’ai dit : « Écoutez, moi, depuis le début de la pandémie, moi aussi, j’ai basculé en distanciel, comme beaucoup de gens. Et il se trouve que moi aussi, j’emmène ma fille à l’école depuis. Effectivement, c’est devenu un peu une nouvelle ligne rouge pour moi et je n’ai pas envie de renoncer à cette nouvelle façon de faire. » Et le fait que je prenne un exemple personnel a beaucoup séduit les candidats. Ils ont trouvé une vraie authenticité et une vraie humanité dans l’approche. Vous me posez la question, est-ce que c’est une réalité aujourd’hui des entreprises ?

Oui et doublement oui. Si on prend Blablacar, ils ont un gros tiers, je crois que c’est 40 % de leurs employés qui ont déménagé ou qui n’habitent plus à côté du siège social. Donc, ils ont repensé complètement la façon d’aménager l’espace de travail et ils ont créé des espaces de coworking en région pour faire en sorte que certains employés puissent se retrouver s’ils en manifestent l’envie. C’est vraiment des changements de fond sur la façon de recruter et de gérer ses opérations au quotidien. Et beaucoup d’entreprises l’appliquent au quotidien aujourd’hui.

SD : On a évoqué plusieurs tendances. On a évoqué plusieurs chiffres. On va revenir un peu sur le recrutement justement. C’est une phase extrêmement importante pour les entreprises, mais maintenant aussi pour les salariés. Vous l’avez bien dit avec les exemples que vous avez donnés. D’après vous, avec le changement des modes de vie, comment peut- on s’adapter pour les recrutements ?

GF : J’ai pris un exemple personnel, de faire preuve d’authenticité. Mais également, il y a une vraie opportunité pour les employeurs d’aller chercher des profils différents. Parce que les réponses qu’on peut donner dans un monde de travail hybride correspondent à une base de population beaucoup plus large. Il y a Ubisoft, par exemple, et c’est des choses qu’ils disent de façon publique. Ils ont eu des couvertures presse relativement négatives, en particulier sur des thématiques de harcèlement. Le travail hybride et son corollaire, le travail asynchrone, permet de gommer les différences entre les hommes et les femmes dans un environnement de travail. Pourquoi est-ce que lorsqu’on est dans une réunion physique, ce sont toujours les mêmes types de personnes qui s’imposent. Plutôt des personnes extraverties. Plutôt des personnes qui ont un niveau hiérarchique important. Souvent des hommes et souvent des hommes blancs, qui s’imposent dans ce type de réunion physique. Et le fait d’avoir du travail beaucoup plus hybride, plus asynchrone, on est moins obligé d’être tous ensemble autour d’une table, même si elle est virtuelle, permet à tout le monde de s’exprimer au maximum de ses capacités.

On fait fi de la timidité. On fait fi des introvertis et des extravertis. On fait fi des biais cognitifs qui font que si on ne se ressemble pas, potentiellement, on a moins envie de prendre la parole. Et donc ça, c’est un vrai vecteur d’inclusion pour les entreprises qui bénéficient justement d’un espace de travail qui permet à tout le monde de s’exprimer au maximum de ses capacités. Également, le fait de plus avoir de barrières géographiques. On va chercher des bassins d’emplois qui deviennent gigantesques, voire à l’étranger. Et ça, c’est un vrai argument positif pour les employeurs d’aller chercher des profils différents et de mélanger beaucoup plus le type d’employé qu’on peut avoir.

SD : Justement, on en parle beaucoup depuis avant. C’est quoi exactement le travail asynchrone ? Ce terme ne dit peut-être pas quelque chose à tout le monde.

GF : Je vais prendre encore une fois un exemple personnel. Je fais beaucoup de recrutement. Lorsqu’on a un contrat de travail à émettre, souvent, on doit se loger dans un système RH qui pour les DRH, c’est très simple, mais pour les directeurs commerciaux, directeurs généraux, je n’y passe pas mes journées. Donc c’est des outils qu’on connaît moins bien et dans un environnement de travail présentiel, souvent, on est allé voir les personnes des RH : « Comment est-ce qu’on fait-ci ? Comment on fait ça ? Est-ce que tu peux filer un coup de main. » Et tout se faisait un petit peu à la volée. Lorsqu’on bascule en hybride et en distanciel, il faut réinventer cette façon de faire. Lorsqu’on est rentré en pandémie, on a reproduit les mêmes schémas. Donc, on se disait : « Tiens, je t’envoie un zoom ou je t’envoie un lien vidéo et on discute ». Sauf qu’on était en zoom du matin au soir et ça pouvait prendre deux ou trois jours avant de faire une tâche métier, alors qu’au bureau, ça prenait un quart d’heure.

On a repensé complètement cette façon de faire. On n’a plus besoin de se disputer en direct. Lorsqu’on a besoin de quelque chose, on peut s’écrire. On peut avoir un process métier qui est ordonnancé et structuré, qui envoie une tâche à accomplir. Et cette tâche à accomplir, je ne peux peut-être pas la faire tout de suite. Je vais la faire dans une demi-heure, lorsque j’aurai un moment de concentration qui me sera adapté. J’aurais un peu de temps libre. Et c’est comment est-ce qu’on arrive finalement à lisser le travail dans une journée et faire en sorte que les personnes et les outils collaborent entre eux au moment venu. D’ailleurs de plus en plus de signature aujourd’hui d’emails, avant, c’était : « N’imprimez pas cet email, pensez à la planète », aujourd’hui c’est : « Je n’attends pas de réponse dans la minute. Répondez-moi lorsque le moment sera approprié pour vous ». Donc, on change vraiment de culture. On est moins dans l’instantanéité, on est plus, on collabore au meilleur moment pour les uns et les autres.

C’est ça le travail asynchrone et aujourd’hui ça devient une vraie tendance majeure auprès des entreprises. D’ailleurs, on voit beaucoup de réunions d’équipe qui se font alors non plus en virtuel, mais qui se font en asynchrone. C’est on collabore avant. Nous, par exemple chez Slack, lorsqu’on a des points le lundi matin déjà, on le fait une semaine sur deux. Le point ne dure plus une heure, mais dure une demi-heure. Pourquoi ? Parce que deux jours avant, on envoie les thématiques dont on veut parler. Et le team meeting n’est plus que pour revalider certains points sur lequel on aura déjà collaboré en asynchrone où tout le monde aura pu contribuer trois quatre jours avant. Donc ça rend les réunions d’équipe juste pour valider des sujets et non plus pour discuter à la volée sans avoir des agendas précis ou ça finit en brainstorming. On est beaucoup plus efficaces parce qu’on a tout structuré, ordonnancé.

SD : C’est ça. Ça amène énormément d’efficacité en plus, selon ce que vous dites. Est-ce qu’il y a d’autres grandes tendances avec le travail en mode asynchrone qui apparaissent selon vous ?

GF : Il y a une tendance aussi sur finalement quel rôle du bureau physique par rapport au bureau virtuel, au bureau digital. Souvent, on pose ces questions-là. Mais du coup, il n’y a plus de place pour le bureau physique. En fait, si. Les deux sont complémentaires, ils ne sont pas en opposition. Si j’en crois auprès des statistiques suite à nos différentes enquêtes, 20 % des salariés disent : « Au bureau, on ne peut pas se concentrer. J’ai du mal à me concentrer au bureau. » A contrario, 80 % des salariés disent : « Au bureau, c’est là où on renforce l’esprit d’équipe. » Donc au bureau, je ne peux pas bosser, mais au bureau, je renforce l’esprit d’équipe. Donc, je vais au bureau pour justement créer du lien social. Je vais au bureau les journées ou je dégage mon agenda au maximum pour ne pas avoir de réunions. Parce que si j’ai une réunion, autant la faire à distance. On vient au bureau pour faire des choses qu’on ne peut pas faire à domicile. Après, on a souvent l’exemple de l’employé qui dit : « Oui, à la maison, j’ai la fibre et je viens au bureau, je ne peux pas faire de visio parce que des fois ça ne fonctionne pas bien et j’ai du lag et je ne vois pas bien. »

Donc le bureau devient un espace où on ne travaille pas. Où on travaille différemment et on vient pour se connecter avec ses collègues, pour créer du lien social, pour créer de la camaraderie et aussi pour rencontrer des personnes avec qui on a moins tendance à travailler au quotidien. Parce qu’au quotidien, en travail asynchrone, on travaille avec ses équipes proches et relativement proches. Je prends l’exemple de Slack et Salesforce. On a repensé nos bureaux physiques. On a repensé les étages pour qu’il soit centré client. Et je prends l’exemple du retail et de la grande distribution. Tout le troisième étage, toutes les personnes qui travaillent chez Slack et Salesforce, pour le secteur du retail et de la grande distribution, se retrouvent au troisième étage. Précédemment, comment ça fonctionnait ? Les avant-ventes se retrouvent à un endroit. Le marketing à un autre. Les RH, encore un autre, etc. Donc, au bureau, on a un certain nombre de silos ou tout le monde se regroupe par affinités.

Le fait de se regrouper par intérêts clients fait que tout le monde est mélangé dans l’intérêt, dans cet exemple-là, des clients du retail et de la grande distribution. Donc, le marketing doit être mélangé avec les avant-ventes, doit être mélangé avec les customer success, avec les professionnals services, avec les ventes. Et tous ceux qui ont un intérêt à travailler sur ce secteur-là, finalement, vont se retrouver au bureau pour collaborer ou se connaître, certains ne se connaissent même pas, à bâtir dans le marketing. On a organisé un événement pour le secteur de la grande distribution. Je n’étais pas au courant, je vais avertir mes clients, etc. Ça permet d’avoir ces discussions cross-services et ça permet vraiment d’avoir ce lien social différent et d’avoir ces discussions à la volée qui sont intéressantes et productives pour tout le monde. C’est ça un peu ces nouvelles façons de travailler qui sont importantes. Le bureau physique vient être un complément au bureau virtuel, au bureau digital.

SD : Alors le bureau du futur ? Le bureau du futur comment il est à votre avis ?

GF : Il est ouvert. Il est accueillant. Il facilite la collaboration entre les personnes. On avait des open spaces avant, mais des open spaces avec des mini cloisons, bureau par bureau. Et aujourd’hui, on a même enlevé toutes ces cloisons-là. Donc, on est sur des grands plateaux ouverts, sans délimitation et c’est ça un petit peu le bureau de demain. Des espaces ouverts, ultra collaboratifs qui facilitent la collaboration inter cross-services.

SD : Donc, il y a toujours une place pour la culture d’entreprise.

GF : Et il y a une forte place pour la culture d’entreprise. On reste des êtres humains. Les interactions physiques sont importantes et viennent bien évidemment en complément des différentes interactions qu’on peut avoir à distance. Et même, je le prends dans mon cas de figure personnel. J’ai rejoint Slack début octobre, l’année dernière. On était encore en confinement. J’ai vu mes premiers collègues et mes premiers membres de mon équipe, je crois, un mois ou un mois et demi après mon arrivée. Et ça a beaucoup changé, ne serait-ce que la fluidité des dialogues. Lorsque je contactais quelqu’un précédemment, ça pouvait me prendre une demi-journée avant d’avoir une réponse. Une fois qu’on connaît les gens, qu’on a sympathisé, lorsqu’on pose une question, en général, on a la réponse en cinq minutes parce qu’on a créé une vraie camaraderie et du coup, on s’entraide beaucoup plus rapidement les uns les autres.

SD : Et d’après le Future Forum, est-ce que vous savez ce que pensent les cadres, les employés de bureau qui travaillent sur site et à distance, justement par rapport à tout ça ? Ce modèle un peu hybride.

GF : Les employés veulent de la flexibilité, mais veulent aussi un cadre qui soit assez peu contraint, finalement. On le voit des fois sur le marché, certaines marques qui disent : « Ça y est, on intègre le télétravail, c’est un jour par semaine et c’est le mercredi. » Et là, on n’est pas vraiment en flexibilité. Parce qu’on a un autre cadre dans la flexibilité. C’est à moi, en tant qu’employé, d’agencer au mieux mon espace de travail, mon cadre de vie. Et ça, c’est vraiment la grande tendance et la grande volonté des employés. D’ailleurs, dans la question, il y a un autre point, c’est la vision des cadres et des équipes dirigeantes. Et là, je me prête à un warning, voire à un début de coup de gueule sur les équipes dirigeantes. C’est la prise de conscience. Elle est majeure. Et c’est sur les équipes dirigeantes qu’on voit la plus grande résistance encore au changement.

Et là, j’ai vraiment un appel auprès des équipes dirigeantes pour prendre conscience de ces évolutions-là. Ceux qui réussiront demain, ceux qui continueront à grandir, à attirer les meilleurs talents, sont ceux qui prendront vraiment conscience de ces nouvelles façons de travailler. Le bémol, c’est qu’ il est au niveau des équipes dirigeantes aujourd’hui. Certaines, pour conclure, ont pris le pli. Mais beaucoup aujourd’hui sont encore réfractaires à ce changement-là ou au moins, se voilent les yeux, se mettent des œillères pour ne pas se faire face à cette nouvelle réalité.

SD : Oui, il y a encore quelques résistants. J’aimerais revenir ou plutôt parler d’une direction que vous avez prise chez Slack. Je parle du fait de devenir un peu le QG numérique des entreprises. Or, pour qu’on comprenne bien, déjà, est-ce que vous pouvez nous expliquer, ce qu’est un QG numérique ?

GF : Le QG numérique, c’est ce qui permet aux employés d’avoir une vie plus simple, plus efficace et plus agréable. Alors comment ? Je vais prendre un exemple, deux exemples. Un exemple de notre vie privée. Dans notre vie privée, le digital est partout. Les exemples sont infinis. Et je prends l’exemple, on peut même faire nos courses aujourd’hui à travers une application mobile, lorsqu’on fait nos courses sur une application mobile, ce n’est pas du tout la même expérience que lorsqu’on va dans un supermarché. On n’est pas avec un caddie, on ne se balade pas de rayon en rayon. J’ai quinze jus d’orange. Lequel je dois choisir ? Je ne sais jamais, je regarde les étiquettes. Les jus d’orange, il y en a trois, quatre. On a des barres de recherche, il y a des moteurs. On dit voilà, je vais filtrer du bio, du machin, etc. Et à la fin, on fait nos courses en cinq minutes. L’expérience, elle est plus simple, plus agréable et plus efficace.

Lorsqu’on a basculé en télétravail au début de la pandémie, tout le monde a dit : « Super. On a une plateforme de visio et/où on a mis Slack. » Mais en fait, on n’a fait que reproduire une façon de travailler au bureau, à distance. On s’est retrouvés tous à faire des journées de 10, 12h non-stop en visio du matin au soir, parce qu’on avait l’habitude de se voir, de discuter à la volée, d’avoir du travail direct, du travail synchrone. Le QG numérique permet de rebalayer les cartes et de repenser la façon dont on travaille en hybride. De la même façon que lorsqu’on fait ses courses sur une application mobile, c’est plus simple. Par exemple, en tant que directeur commercial, lorsque j’ai des commerciaux qui me font une demande de remise sur un client donné, il faut faire 10, 15, 20% de remise. Avant, on se voyait, on discutait. Pourquoi tu veux faire ça ? Etc. Aujourd’hui, il y a un process qui est mis en œuvre. Ils font la demande. La justification. Pourquoi est-ce qu’on demande ça ? Avec toutes les données qui vont bien.

Et derrière, il y a un workflow d’approbation qui part et on voit qui doit approuver. Chacun met ses commentaires, c’est beaucoup plus simple, beaucoup plus intuitif. Tout le monde sait ce qu’il ou elle a à faire. Donc, on a digitalisé ce processus-là pour le rendre beaucoup plus efficace. Lorsqu’on est en travail hybride. Lorsque je dois approuver des notes de frais, j’ai une notification dans Slack qui me dit : « J’ai tel collaborateur qui a fait la note de frais. Voilà le détail. Est-ce que t’es d’accord ? Oui, non. » Et là, c’est vraiment la façon de structurer, d’ordonnancer le travail pour le rendre plus simple, plus efficace et plus agréable. C’est ça le QG numérique.

SD : D’après ce que vous nous avez dit avant, chez Slack, vous avez réussi à vous adapter à tous ces changements et au fait d’être un QG numérique.

GF : Alors oui, on essaye et je pense qu’on y arrive bien. Puisque effectivement, on utilise nos technologies, que nos clients utilisent. D’ailleurs certains de la même façon, certains même beaucoup mieux que nous. Et donc oui, on a le travail asynchrone qui est devenu une vraie force chez nous. D’ailleurs, on a même imposé une fois par trimestre la semaine zéro meeting. Donc pendant une semaine, une fois par trimestre, tous les meetings internes sautent.

Et on est là uniquement pour se concentrer sur les tâches clients. On privilégie quasiment exclusivement le travail asynchrone pendant cette semaine-là. Et, bien évidemment, le téléphone fonctionne toujours. On peut toujours faire des calls à la volée lorsqu’on a besoin de répondre à une urgence, mais c’est vraiment une façon aussi d’instaurer ça dans les mœurs. Je prends un certain nombre d’exemples aussi de nos clients. Aircall, qui est un de nos gros clients français, qui est une nouvelle licorne française, solutions de téléphonie dans le cloud. Lorsqu’ils détectent sur leurs analyses réseaux qu’un de leurs clients a potentiellement un souci d’utilisation de leur service, une alerte est directement remontée dans Slack, auprès du commercial et du customer success. Ça veut dire quoi pour eux, dans cette démarche du QG numérique ? C’est que précédemment, ces mêmes alertes, elles étaient sur une équipe réseau qui envoyait éventuellement un mail interne auprès du commercial. Tout ça, ça pouvait prendre une demi-journée, une journée ou deux. Et ce qui se passait souvent, c’était que le client appelait son commercial pour dire : « J’ai un problème d’utilisation des services, comment ça se fait ? Etc. »

Les commerciaux n’étaient pas au courant parce que l’information ne remontait pas jusque chez lui ou chez elle. Avec le QG numérique en direct, le commercial customer success et les personnes adéquates aux entreprises savent tout de suite qu’il y a une problématique chez un client et peuvent proactivement contacter le client. Donc, c’est beaucoup plus simple. Il y a des exemples comme ça, on en a beaucoup de la part nos clients qui utilisent nos solutions afin de simplifier leur environnement. Juste une anecdote, l’École 42 qui utilise Slack pour tout faire chez eux, ils ont même développé une commande sur Slack qui ouvre le portail. Juste pour dire que vraiment, le champ des possibles devient infini pour que le QG numérique dans Slack puisse piloter l’intégralité des processus.

SD : Donc là, si je vous suis bien aussi, pour bien gérer son travail à distance sur Slack, ça passe aussi par un certain nombre d’automatisations au niveau des actions dans Slack.

GF : Complètement. Slack, on aime à dire qu’on aide les personnes à collaborer entre elles, mais également à s’interfacer avec des outils tiers informatiques pour pouvoir agréger ces données, les structurer, les ordonnancer, les processer afin d’avoir des boutons d’action qui permettent de valider des actions IT, des actions système, des actions sur des applications tierces afin de fédérer le maximum d’applications dans un endroit unique. On voit qu’il y a à peu près 1000 logiciels qui sont utilisés dans les grandes entreprises pour tout et n’importe quoi, pour du marketing, pour de la vente, pour de la prévente, etc. C’est impossible de connaître. Déjà tout le monde n’utilisent pas les mêmes logiciels, heureusement. Mais on a tous un ou deux logiciels dans lesquels on passe la majorité de notre temps. Un commercial va être dans son CRM et il ou elle va être spécialiste de cet outil-là. Mais lorsqu’on doit faire en sorte que plusieurs services collaborent ensemble, par exemple quelqu’un du marketing qui met dans son outil de marketing…

S’il a besoin d’avoir un approval, par exemple du directeur commercial. J’ai lancé telle campagne. Est-ce que tu es d’accord, oui ou non ? Le ou la directrice commerciale, il n’a pas souvent accès à cet outil-là. Comment faire en sorte d’avoir le niveau d’approbation qui va bien dans un outil tiers que la personne destinataire de l’approbation, bien souvent, ne connaît pas ? C’est de faire en sorte de masquer la complexité des outils informatiques et des logiciels d’une entreprise pour juste n’avoir qu’un résumé de la demande et avoir un bouton d’approbation. Est-ce que tu es d’accord, oui ou non ? Parce que bien souvent, c’est ça ce qu’on a à faire dans un outil informatique, c’est de regarder une demande et à la fin, de valider oui ou non si on est d’accord. Et Slack permet effectivement de s’affranchir de toute cette complexité pour rendre encore une fois le travail plus simple, plus efficace et plus agréable.

SD : On arrive peu à peu à la fin de cet entretien, mais abordons rapidement une dernière thématique qu’on a déjà un peu abordée, c’est le leadership, le management. Pour vous, comment aujourd’hui bien manager ses équipes à distance ? Quand on voit tous les changements, qu’il y a le distanciel, le travail hybride. Quelles compétences les managers doivent avoir et mettre en œuvre ?

GF : On est plus sur du management de temps. On est sur du management d’objectifs. Donc le management doit être plus structuré. On dit ce qu’on attend. Quels sont les objectifs. Plus précis. À quelle vitesse je vais mesurer ces objectifs-là. Comment je vais les mesurer et donc, faire preuve de beaucoup plus de transparence. Souvent, on voyait au bureau, les managers qui avaient un certain nombre de préférences, parce que l’humain aussi on est plus… On va préférer telle ou telle personne parce qu’on a plus d’affinités personnelles. Et le niveau de jugement et donc de management était aussi altéré par cette dimension humaine. Lorsqu’on est au travail asynchrone, à distance, on a moins ces biais cognitifs. On a besoin de beaucoup plus de structure, de précisions, d’être beaucoup plus clair sur les objectifs et donc le management devient plus objectif. Beaucoup plus de méritocratie et non pas de copinage. Et tout ça, les entreprises doivent appréhender ce changement. Est-ce que j’ai les bons managers ? Est-ce que je dois former mes managers ?

Et tout ça, c’est important d’en prendre conscience. Tout à l’heure, un petit peu, le coup de gueule sur les directions générales, elles doivent non seulement comprendre ces nouveaux enjeux, mais également éduquer, transformer, former les équipes dirigeantes afin qu’ils soient sponsors et moteurs de ce changement et d’adapter leur façon de coacher au quotidien.

SD : Et enfin, rapidement, quel avenir, quels sont les principaux défis pour le travail, selon vous en 2030 ?

GF : On se projette dans longtemps. Moi, ce que je vois, c’est qu’on aura stabilisé un peu le travail hybride. On aura redéfini, un petit peu, de façon plus structurée, les attentes des employés, des employeurs. Quelles sont les nouvelles normes, les nouveaux outils. Quelles sont les attentes des uns et des autres ? Les politiques RH aussi, qui seront beaucoup plus adaptées. Est-ce que je peux travailler d’un autre pays ? Tout ça, ça reste des questions aujourd’hui qui sont encore dans un flou juridique. Je prends l’exemple des Pays-Bas qui va légiférer sur le travail hybride, le travail distanciel pas plus tard qu’il y a deux semaines. Et c’est le premier pays occidental qui a vraiment légiféré, d’un point de vue étatique, sur comment est-ce qu’on travaille en hybride et en distanciel. En France, on en est loin. Donc moi, ce que j’espère en tout cas, c’est que d’ici 2030, on aura normalisé, légiféré et que le cadre juridique sera beaucoup plus simple. Et ce qui permettra aux employés et aux employeurs d’être beaucoup plus sereins sur la façon de travailler dans cette nouvelle réalité.

Parce que cette nouvelle réalité sera d’autant plus présente en 2030. Et si on se projette bien, on aura des nouveaux bassins d’emplois. On aura de plus en plus de personnes qui auront déménagé. Il y aura un réaménagement du territoire. Pourquoi pas des nouvelles lignes de TGV un peu partout en France, justement pour faire face à ces nouveaux défis. On voit les prémisses finalement de ces changements majeurs qui vont toucher tous les pans de la société. Je trouve ça assez passionnant. Et je pense qu’en 2030, en tout cas, j’espère, on aura des réponses beaucoup plus structurées et officielles sur ces nouvelles façons de travailler.