L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié un rapport mettant en avant la manière dont les pays ont décidé d’investir dans la recherche et développement (R&D) en 2020. Cette année correspond aux débuts de la pandémie du Covid-19 et aux confinements successifs survenus partout dans le monde. Malgré la forte baisse de l’activité économique lors des deux dernières années, les pays membres de l’OCDE ont continué à investir dans la recherche et développement (R&D).

Ce document intitulé Main Science and Technology Indicators – The R&D response to the COVID-19 crisis met en avant plusieurs indicateurs permettant de comprendre comment le Covid-19 a influé sur la manière dont les pays ont investi dans la R&D. Ce rapport montre notamment comment les gouvernements se sont adaptés à la baisse des dépenses des entreprises du secteur privé.

Bilan global des investissements dans la recherche & développement depuis 2008

Tout d’abord, un retour en arrière s’impose, notamment pour mieux comprendre dans quel contexte s’inscrivent les différents investissements faits par les pays de l’OCDE. Depuis la crise économique mondiale de 2008, environ trois quarts de dépenses totales pour la R&D réalisées par des pays membres de l’OCDE ont été réalisées par des entreprises du secteur privé.

Elles ont été la plaque tournante de la croissance des dépenses dans ce secteur durant la décennie 2010. Cependant, avec l’arrivée du Covid-19 et la baisse de l’activité économique au sein de ces entreprises, notamment due aux confinements, la tendance s’est inversée. Il s’agit donc d’une grande première depuis plus de dix ans : les entreprises ont bien moins dépensé d’argent pour la R&D en 2020 qu’auparavant.

En termes de croissance pure, les entreprises ont moins investi que d’autres organismes comme les gouvernements ou les établissements d’enseignement supérieur ; un fait qui ne s’est jamais produit depuis la crise des subprimes. Si l’investissement des entreprises dans la R&D a augmenté de 1,4 %, une augmentation moindre que celles des universités et instituts de recherche qui culmine à +2,4 % et du secteur public qui pointe à +2,7 %.

Graphique représentant l’évolution moyenne des dépenses dans la recherche & développement dans les pays de l’OCDE entre 2007 et 2020.

Graphique représentant l’évolution moyenne des dépenses dans la recherche & développement dans les pays de l’OCDE entre 2007 et 2020. En bleu, on retrouve la croissance des dépenses totales en R&D de l’OCDE, en rouge, celle des entreprises, en vert, celles des établissements d’enseignement supérieur et en violet, celle des gouvernements. On remarque notamment une baisse des investissements des entreprises. Graphique : OCDE / The R&D response to the COVID-19 crisis.

Tandis que de nombreux gouvernements stagnent, voire diminuent leurs dépenses au cours de la décennie 2010, on note un pic en 2020, correspondant à une croissance de 15 %, suivi d’une baisse significative en 2021 de 4,4 % par rapport à 2020. Des États comme le Japon, les États-Unis, ou ceux de l’Union européenne, ont plus investi que les années précédentes.

Graphique représentant l’évolution du budget alloué à la recherche et au développement par pays entre 2007 et 2020.

Graphique représentant l’évolution du budget alloué à la recherche et au développement par pays entre 2007 et 2020. Parmi les faits notables, on remarque le pic de croissance japonais en 2020 et la tendance de l’OCDE pour 2021, en rouge, montrant que le budget moyen dédié à la R&D aurait baissé. Graphique : OCDE / The R&D response to the COVID-19 crisis.

Pourquoi les gouvernements européens n’ont pas hésité à investir dans la R&D en 2020 ?

Les États de l’Union européenne ont fait partie de ceux qui ont eu le plus de difficultés pendant la pandémie de Covid-19 en 2020. Ils ont subi et subissent encore aujourd’hui quelques difficultés économiques induites par les différents confinements décidés par les dirigeants de ces pays. On retrouve également la pénurie des composants électroniques, loin d’être terminée, ayant notamment affecté le marché automobile européen.

Au sein de l’Union européenne, ces deux épreuves ont été à l’origine des investissements moindres des entreprises dans la recherche et développement, ce qui a lourdement impacté les dépenses globales des pays dans la R&D. Pour compenser cela, les gouvernements européens ont décidé d’investir massivement dans la recherche, pour essayer de compenser la chute des dépenses des entreprises. Ce phénomène se retrouve en France où la part du PIB investi dans la recherche et développement est sensiblement restée la même, malgré le décrochage des entreprises.

Ainsi, le gouvernement n’a pas hésité à intervenir en lançant un large plan d’investissement, baptisé France 2030, mettant les acteurs de la tech au centre de l’économie française. Plusieurs secteurs technologiques ont été ciblés par ce plan :

  • 4 milliards d’euros seront dédiés aux transports du futur. L’un des objectifs serait de produire 2 millions de véhicules électriques et/ou hybrides d’ici 2030. Selon Emmanuel Macron, président de la République française, « entre 2015 et 2035, nous devons baisser de 35% les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie. C’est une révolution. Mais nous ne sommes qu’à 4% »
  • 15 milliards d’euros seront investis pour le développement des start-up, qui selon Cédric O, ancien Secrétaire d’État chargé de la transition numérique, « participeront à la réindustrialisation de la France ».
  • 1 milliard d’euros permettront d’accélérer les efforts pour former des ingénieurs et des chercheurs en intelligence artificielle. Le but d’un tel investissement est de réduire la pénurie des talents, induisant une vraie bataille du recrutement entre les start-up et les géants technologiques.

Le gouvernement, via sa banque publique d’investissement, BpiFrance, a également injecté 100 milliards d’euros supplémentaires dans l’économie française entre mars 2020 et février 2022.

Au niveau européen, pour doubler la part de marché de l’Europe sur les semi-conducteurs et éviter d’être trop dépendante de l’étranger, l’UE a lancé un plan d’investissement de 43 milliards d’euros. La Commission européenne avait mené son étude à la fin de l’année 2021 en identifiant les 2 500 entreprises ayant le plus dépensé en R&D. Seules 401 sont européennes, tandis que les champions en la matière restent les Américains et les Chinois (respectivement 779 et 597). Depuis plusieurs années, les instances de l’Union européenne ont conscience de leur retard dans le domaine.

Afin d’y pallier, la Commission européenne a présenté son agenda d’innovation au début du mois de juillet. Doté d’un budget de 45 millions d’euros, ce programme apportera des financements aux scale-up, à des projets d’innovation à caractère interrégional, pour la formation, pour la création de lieux dédiés à l’innovation, et pour l’amélioration des outils permettant de coordonner les différentes politiques d’innovation dans les pays de l’UE.

Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive pour une Europe adaptée à l’ère du numérique, a déclaré que « ce nouveau programme d’innovation s’appuie sur les travaux considérables qui ont déjà été menés au cours des dernières années dans le domaine de l’innovation et il nous aidera à accélérer notre double transition numérique et écologique ».

La Chine et les États-Unis, mastodontes des dépenses en R&D

La croissance moyenne enregistrée par l’OCDE (+1,8%) dans les dépenses a principalement été portée par les États-Unis, ayant augmenté leurs investissements en R&D de 5 % en moyenne, tout secteur confondu, mais surtout par la Chine à hauteur de 9 %. Les dépenses de R&D en Chine représentent environ 74 % de celles réalisées aux États-Unis actuellement. Si les investissements des deux superpuissances continuent de croître de la même manière, on pourrait imaginer que les deux pays investissent la même somme pour la R&D en 2025.

La recherche & développement est un sujet qui tient à cœur les deux pays qui se sont lancés dans une course sans fin dans le développement de nouvelles technologies. Cette compétition technologique s’explique par tout d’abord par le fait que les États-Unis souhaitent conserver leur suprématie dans ce secteur. En 2021, les start-up américaines ont réussi à lever 275 milliards d’euros. À titre de comparaison, 129 milliards d’euros ont été levés par les start-up chinoises, un chiffre qui reste bien plus élevé que les 11,6 milliards d’euros récoltés par les acteurs français de la tech. D’un autre côté, la Chine convoite la position étasunienne : une suprématie technologique de l’un sur l’autre serait un signe de victoire probable dans une future guerre, et garantirait la longévité et l’influence mondiale de l’État qui la détient, selon le rapport proposé en janvier 2022 par Spectrum.

Les deux pays ont leur propre stratégie pour essayer de conserver ou de ravir cette première place :

  • Depuis l’administration Trump, de nombreux plans ont été mis en place, par exemple pour améliorer les infrastructures du pays ou pour développer son volet IA et informatique quantique. Mais le pays n’a pas hésité à prendre des sanctions contre des entreprises chinoises afin qu’elle ne s’implante pas durablement aux États-Unis et éviter toute fuite technologique.
  • La Chine a lancé son plan quinquennal principalement basé sur la sécurité et l’autosuffisance technologique. Celui-ci semble bien fonctionner puisque malgré la répression dans l’Empire du milieu envers ses géants du numérique, le pays a atteint un niveau d’investissement record en 2021.

Dans les deux cas, cette compétition se traduit par une énorme croissance des dépenses des deux gouvernements dans la recherche & développement :

Graphique représentant les dépenses intérieures brutes, tous secteurs confondus, pour la recherche et développement.

Graphique représentant les dépenses intérieures brutes, tous secteurs confondus, pour la recherche et développement. On remarque que l’Union européenne enregistre une légère baisse alors que la Chine continue à talonner les États-Unis. Graphique : OCDE / The R&D response to the COVID-19 crisis.

Que ce soit d’un côté ou de l’autre, des dépenses sont réalisées dans deux branches technologiques majeures :

  • dans l’informatique quantique, où les États-Unis sont de plus en plus inquiets de l’arrivée d’une future machine pouvant déchiffrer tout code des systèmes cryptographiques actuels. La Chine fait des avancées majeures dans le domaine, ce qui continue d’inquiéter les Américains qui veulent se placer comme leader du quantique.
  • dans l’intelligence artificielle, qui est exploitée de différentes manières par les deux pays. En Chine elle est par exemple utilisée pour réprimer les dissidents ou opprimer des peuples, comme on peut le devoir avec les Ouïghours. En octobre 2021, un ancien haut responsable du Pentagone affirmait que le gouvernement américain était incapable de réaliser des progrès significatifs en IA, voyant ainsi la Chine surpasser les États-Unis dans ce domaine.

Dans une étude réalisée par la Commission européenne, on se rend compte que la Chine et les États-Unis investissent massivement dans la tech, et peu dans des secteurs comme celui de l’automobile, contrairement aux pays de l’UE. Ces investissements s’expliquent aussi par le fait que les deux superpuissances considèrent que le développement de nouvelles technologies permettra également de développer les autres secteurs.

Par exemple, travailler sur le concept de conduite autonome est un investissement IT qui bénéficiera par la suite à la branche automobile ou même la branche aéronautique. Trouver de nouvelles méthodes d’analyses d’image et de vision par ordinateur permettra ensuite d’aider le secteur médical afin de mieux diagnostiquer les pathologies.

Part des investissements européen, américain et chinois selon les secteurs.

On note également que les entreprises européennes ont tendance à investir plus d’argent que les entreprises chinoises, ce qui prouve une grande dépendance des entreprises au niveau des investissements en Europe. Graphique : Commission européenne / The 2021 EU Industrial R&D Investment Scoreboard.

Quelles prévisions pour l’investissement dans la R&D pour 2021 ?

D’ici mars prochain, nous saurons comment les entreprises et les gouvernements se sont comportés dans leurs dépenses en R&D en 2021, après la crise sanitaire causée par le Covid-19. Toutefois, certaines prévisions se sont dégagées en combinant les données des budgets publics dédiées en R&D fournies par plusieurs pays membres de l’OCDE.

Selon les estimations du tableau de bord de l’OCDE sur le suivi financier à court terme de la R&D des entreprises (SwiFTBeRD), après être descendues à une croissance d’environ 2 % (contre 6 % en 2019), les dépenses devraient reprendre significativement, à hauteur de 7 %.

Graphique présentant les estimations officielles et expérimentales de la croissance annuelle des dépenses moyennes en R&D faites par les entreprises.

Graphique présentant les estimations officielles et expérimentales de la croissance annuelle des dépenses moyennes en R&D faites par les entreprises. En vert et en bleu, les estimations faites par l’OCDE. Graphique : OCDE / The R&D response to the COVID-19 crisis.

L’analyse de la croissance des dépenses en R&D pour l’année 2021 pour les entreprises du panel SwiFTBeRD confirme une augmentation généralisée des investissements du secteur privé. On peut remarquer un pic des investissements dans le pharmaceutique et les biotechnologies à la fin de l’année 2020. Cette augmentation des dépenses dans ce secteur peut s’expliquer par la volonté forte de ces entreprises de trouver un vaccin ou un remède contre le Covid-19.

Graphique mettant en avant la fluctuation des dépenses selon les entreprises de plusieurs secteurs différents.

Graphique mettant en avant la fluctuation des dépenses selon les entreprises de plusieurs secteurs différents. En vert, l’information et l’électronique, en rouge, le pharmaceutique, en violet, l’automobile et l’aérospatial, en bleu clair, les autres industries, et en bleu foncé, la croissance moyenne estimée pour 2021. Graphique : OCDE / The R&D response to the COVID-19 crisis.

Les indicateurs mis en avant par le rapport prouvent que les gouvernements de l’OCDE ont de plus en plus tendance à allouer un budget propre ou à lancer des plans d’investissement pour la R&D, plutôt que de financer les entreprises pour qu’elle puisse développer leur département. En 2021, le budget public global pour la R&D devrait diminuer de 4,4 % : une baisse qui survient alors que les entreprises recommencent à investir massivement dans la recherche et l’innovation.

D’un côté, l’Europe perd malgré elle du terrain, étant donné qu’elle est encore trop dépendante des investissements des industries, premières entités touchées par le Covid-19. Malgré une baisse non négligeable en 2020, les dépenses pour en R&D continuent de croître, et devraient connaître un bond considérable en 2021, dépassant la croissance d’avant la pandémie. Pour essayer d’être beaucoup plus indépendants au niveau technologique, les instances de l’UE et ses États membres multiplient les investissements pour la formation, la construction d’instituts d’innovation, ou le lancement de projets innovants.

De leur côté, les deux superpuissances que sont la Chine et les États-Unis continuent de se livrer une guerre sans merci pour savoir qui dominera l’autre en matière de technologie. Une rivalité qui s’exprime par la mise en place de politiques adaptées (plans quinquennaux, sanctions, investissements dans certains secteurs d’avenir, etc.).