La House Judiciary Committee (HJC), une commission permanente de la chambre des représentants aux États-Unis, a dévoilé, le 19 juillet, des documents internes provenant de trois géants de la technologie. Ces derniers décrivent comment Meta, Amazon, Apple et Google ont privilégié leurs propres produits afin de ne laisser aucune place à la concurrence. Ces révélations interviennent alors que les législateurs américains bataillent pour mettre en place une législation antitrust plus stricte.

De nouveaux éléments pour légitimer les lois antitrust

C’est dans le cadre d’une enquête sur le comportement anticoncurrentiel des GAFA que ces échanges par mails, ces mémos et ces rapports ont été découverts. Débutée en juillet 2019, elle avait pour objectif de comprendre dans quelles mesures ces géants de la tech profitaient de leur hégémonie au détriment de leurs utilisateurs.

Ces documents vont permettre à la commission d’appuyer sur la nécessité des lois antitrust plus strictes dans le secteur technologique. Jerrold Nadler, président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, a déclaré dans un communiqué que « les conclusions et les recommandations du rapport démontrent clairement qu’il est grand temps que le Congrès adopte des mises à jour significatives de nos lois antitrust pour remédier au manque de concurrence sur les marchés numériques ». Lourdement censurés pour le public, seuls les membres de la commission ont pu avoir accès aux preuves dans leur intégralité.

Elles montrent comment Amazon et Google souhaitaient garder leur suprématie sur leur secteur respectif à n’importe quel prix. La filiale d’Alphabet ne tolérait pas l’émergence de potentiels concurrents pour leurs produits. Ainsi, en janvier 2014, quand Samsung se préparait à lancer un service pouvant « rivaliser avec [leur] expérience de recherche de base », certains cadres ont exprimé leurs inquiétudes dans un mail (PDF).

De son côté, le géant de l’e-commerce menait des débats sur la légitimité d’une marque à faire de la publicité sur sa plateforme. Diapers.com, un détaillant spécialisé dans les produits pour bébé en a fait les frais en 2009 lorsque les cadres de l’entreprise basée à Seattle ont souhaité l’en empêcher dans un échange de mails moqueurs (PDF). Amazon rachetait plus tard Diapers.com, pour maintenir son emprise sur le secteur de la vente en ligne.

Cela ne s’arrête pas là pour la société fondée par Jeff Bezos. Lors de la sortie de son assistant vocal Alexa, elle désirait avoir la mainmise sur l’ensemble du marché des assistants connectés en se servant de pratiques peu orthodoxes. Des cadres de Google affirment (PDF) que « Amazon incite [les autres entreprises] à s’associer à Alexa et retire [les produits des entreprises] qui ne prennent pas en charge Alexa de sa plateforme ».

Pour Facebook, un mémo (PDF) adressé à Mark Zuckerberg fait partie des fichiers révélés. Celui-ci détaille les dispositions à prendre afin que les autres services de Meta, comme Instagram et Whatsapp, ne fassent pas de l’ombre à Facebook. « Il semble peu probable que trois applis de partage puissent coexister », est-il écrit dans le rapport de 2018. Mark Zuckerberg a demandé à Kevin Systrom, le co-fondateur d’Instagram de « ne pas faire de concurrence [à Facebook] ». Meta s’est également servi des données récoltées par ses trois plateformes sociales phares pour maintenir son monopole. Grâce à ces informations, elle a « créé une intelligence commerciale supérieure afin d’identifier les menaces concurrentielles naissantes, pour ensuite les acquérir, les copier ou les tuer ».

Pour Pramila Jaypal, la représentante du parti démocrate, ces pratiques anticoncurrentielles ne permettaient pas l’émergence de nouvelles entreprises souhaitant entrer dans le secteur de la tech. Elle alerte, « d’Amazon à Facebook, en passant par Google et Apple, il ne fait aucun doute que ces géants de la technologie non réglementés sont devenus trop gros pour se soucier des autres et trop puissants pour faire passer les gens avant leurs profits ».

L’American Innovation and Choice Online Act au cœur des débats

Depuis plusieurs mois, les législateurs américains se battent pour mettre en place de nouvelles lois antitrust. Parmi les nombreuses mesures, une d’entre elles se détache, l’American Innovation and Choice Online Act. Celui-ci vise à interdire aux acteurs de la tech de favoriser leurs produits et services sur leurs propres plateformes. Cette loi s’appliquerait seulement aux sociétés dont la capitalisation boursière dépasse les 550 milliards de dollars et qui disposent de plus de 50 millions d’utilisateurs actifs mensuels, soit les GAFAM.

Si l’American Innovation and Choice Online Act entre en vigueur, les géants de la tech ne pourront plus se servir de leur position dominante. Ils ne pourront plus exploiter les données récoltées sur les produits exclusivement liés à leur plateforme pour profiter d’un avantage concurrentiel.

De nombreux acteurs de la tech voient cette nouvelle législation du mauvais œil et les GAFAM font du lobbying intense pour empêcher son adoption. Carl Szabo, vice-président et avocat général du groupe NetChoice, une association regroupant des entreprises de l’e-commerce et des consommateurs en ligne, estime que « Le préjudice causé par une législation antitrust radicale désavantagerait les États-Unis au niveau mondial et laisserait les Américains dans une situation difficile. Sa portée s’étendrait bien au-delà des marchés numériques » rapporte The Verge. NetChoice compte notamment Google, Meta et Amazon parmi ses membres associés.

Alors que les législations sont en cours de discussion au Congrès, le temps joue en la défaveur des législateurs. Les élections de mi-mandat sont programmées en novembre prochain. Bien que les propositions soient bipartisanes, c’est-à-dire soutenues autant par les démocrates que les républicains, les midterms pourraient bien bousculer la Chambre des représentants et le Sénat. Si la majorité devient républicaine, il sera d’autant plus difficile pour les démocrates de faire accepter ces lois antitrust.