Binance, la plus grande plateforme d’échange de cryptomonnaies en termes de volume de transactions, aurait contourné les sanctions américaines infligées à l’Iran pendant des années. C’est ce que rapporte une enquête de l’agence de presse Reuters publiée le 11 juillet. De nombreux iraniens ont pu continuer à utiliser les services de l’entreprise après que Donald Trump ait mis en place un nouvel embargo en 2018.

Une structure complexe

Fondée en 2017 par Changpeng Zhao, un homme d’affaires sino-canadien, Binance devient en 2018 la plus grande plateforme de cryptomonnaies au monde. Avec 1 678 actifs numériques disponibles à l’échange, elle se positionne loin devant ses concurrents. À titre de comparaison, FTX, son concurrent situé aux Bahamas classé second d’après Coinmarketcap, n’en supporte que 420.

La particularité de cette société basée aux Îles Caïmans est qu’elle se compose en plusieurs entités. Sa branche principale, Binance.com, n’est pas autorisée aux États-Unis. À la place, les américains ont accès à Binance.us, une filiale de la plateforme d’échange qui reste sous le contrôle de Changpeng Zhao, le président-directeur général. D’après des avocats interrogés par Reuters, cette structure protège Binance des sanctions après que Donald Trump ait réinstauré l’interdiction aux entreprises américaines de traiter avec l’Iran. Pour rappel, en 2015, Téhéran avait réduit son programme nucléaire afin de bénéficier d’un allégement de certaines sanctions, notamment commerciales.

Ainsi, les traders iraniens auraient profité de la bourse principale de Binance, qui n’est pas une entreprise américaine, pour effectuer leurs transactions. La société du milliardaire, surnommé « CZ » dans le monde de la cryptomonnaie, s’expose néanmoins à quelques mesures disciplinaires secondaires. Elles contribuent à empêcher les entreprises étrangères de traiter avec des pays sanctionnés. Ces dernières peuvent nuire à la réputation de Binance et lui bloquer son accès au marché financier américain.

Binance faisait dans la demi-mesure

Binance est devenu extrêmement populaire en Iran. Interrogé par Reuters, un trader de Téhéran du nom de Asal Alizade a indiqué que « il existait quelques alternatives, mais aucune n’était aussi intéressante que Binance. Aucune vérification d’identité n’était nécessaire donc nous l’avons tous utilisé ». Jusqu’en septembre dernier, les iraniens pouvaient créer un compte Binance à l’aide d’une simple adresse mail. Aucun document supplémentaire ne leur était demandé pour prouver leur identité.

Les employés de l’entreprise de Changpeng Zhao étaient au courant que leur plateforme grossissait à vue d’œil en Iran. Ils étaient également parfaitement au fait que cela pouvait poser problème pour les autorités américaines. Des salariés de longue date blaguaient à propos de l’engouement autour de Binance auprès des utilisateurs iraniens d’Instagram, les surnommant les « IRAN BOYS ». En 2019, Binance rangeait l’Iran parmi les « 5 pays lourdement sanctionnés » aux côtés de Cuba, de la Syrie, de la Corée du Nord et de la Crimée. Un an plus tard, il intégrait une liste de pays bannis étiquetée « strictement non ».

Pour autant, l’entreprise n’a pas rendu ses services indisponibles en Iran. La société encourage notamment l’utilisation de VPN afin de contourner les interdictions territoriales. Mehdi Qaderi, agent de développement commercial, a expliqué à Reuters qu’il s’était servi d’un VPN pour échanger 4 000 dollars de cryptomonnaies au cours de l’année 2021. Il ajoute que « tous les iraniens se servaient [de Binance] ». En juillet 2021, la plateforme publiait un guide du débutant afin d’apprendre à se servir d’un VPN.

Il faut attendre le mois de novembre dernier pour que Binance suspende définitivement ses services en Iran, après avoir informé ses utilisateurs iraniens de liquider au plus vite leurs actifs. Un porte-parole de l’entreprise a déclaré à Gizmodo que « [Binance] a mis en place un programme de conformité et de réglementation reconnue à l’échelle mondiale. […] Ce programme de sanctions, à la pointe de l’industrie, est entièrement conforme à toutes les sanctions financières internationales, y compris le blocage de l’accès à la plateforme pour les utilisateurs situés en Iran, en Corée du Nord et dans d’autres pays sanctionnés ».

Chagri Poyraz, responsable des sanctions chez Binance, affirme que l’accès à ces pays a été interrompu « parce que nous croyons au respect des lois internationales sur les sanctions ». Pour le moment aucune sanction judiciaire n’a été prise à l’égard de la plateforme dont la branche américaine continue de grandir.