Alors que le célèbre navigateur Internet Explorer (IE) a rendu son dernier souffle le 15 juin, la Corée du Sud aurait du mal à se passer de certains de ses services. Tout comme son voisin le Japon, de nombreux sites web d’entreprises et d’agences gouvernementales n’ont pas transitionné à temps vers un nouveau navigateur.

Les sites sud-coréens ont du mal à se mettre à jour

Les sud-coréens ont du mal à tourner la page d’Internet Explorer. Google Chrome ne permet pas d’effectuer des paiements en ligne en tant que client de l’une des plus grandes banques étrangères du pays. Le site web du Ministère de la Culture et des Arts n’autorise pas les demandes de financement d’artistes sur Safari et il n’est pas possible d’enregistrer une structure d’accueil pour enfants auprès du site du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale en utilisant Mozilla. Pour parvenir à réaliser ces actions, il est nécessaire d’utiliser le navigateur de Microsoft sorti il y a de ça 27 ans.

Si la majorité des habitants du pays est passée à d’autres navigateurs web plus modernes, plusieurs sites requièrent Internet Explorer pour fonctionner. C’est notamment le cas de sites bancaires ou gouvernementaux utilisant certaines de ses fonctions.

En mai dernier, la branche sud-coréenne de la banque britannique Standard Chartered a commencé à avertir ses clients des changements à venir. Elle expliquait alors qu’ils devaient passer Edge, le nouveau navigateur de Microsoft, pour accéder à sa plateforme bancaire en ligne « Straight2Bank ».

C’est à cette période que Naver, l’une des plus grosses entreprises Internet de Corée du Sud, a mis en avant une fonction de son navigateur web Whale, « l’Internet Explorer Mode ». Kim Hyo, responsable des équipes travaillant sur Whale pour Naver, a indiqué au New York Times que cette fonctionnalité apparue en 2006 aurait dû disparaître avec Internet Explorer.

Corée du Sud et Internet Explorer : une longue histoire d’amour

La Corée du Sud entretient une relation particulière avec Internet Explorer. Dans les années 90, le pays devient l’un des précurseurs d’Internet en s’en servant pour procéder à des opérations bancaires ou faire du shopping. En 1999, pour renforcer la sécurité des internautes, le gouvernement sud-coréen met en place une loi exigeant l’émission de certificats numériques chiffrés pour tout document nécessitant auparavant une signature.

Le gouvernement a autorisé cinq entreprises à concevoir des plug-ins, des extensions du navigateur, permettant de vérifier l’identité des personnes utilisant Internet. Parmi eux, ActiveX, un plug-in créé par Microsoft et ne fonctionnant que sur Internet Explorer. L’entreprise fondée par Bill Gates étant le leader du marché informatique à cette période, notamment grâce à son système d’exploitation Windows, ActiveX sera largement adopté par les sud-coréens.

James Kim, directeur de la branche sud-coréenne chez Microsoft de 2009 à 2015, explique au Times que Microsoft « n’avait pas vraiment de concurrent à ce moment-là ». Il souligne que même si Microsoft n’a pas essayé de mettre des bâtons dans les roues de ses concurrents, de nombreuses choses ne fonctionnaient pas sans Internet Explorer, le rendant indispensable. Entre 2004 et 2009, le navigateur détient 99 % des parts du marché en Corée du Sud.

Kim Keechang, un professeur de droit à l’Université de Corée à Séoul précise que le monopole d’Internet Explorer était si important que les habitants de la péninsule « étaient incapables de citer le nom d’un autre navigateur internet ».

Il faut attendre 2009 et une cyberattaque pour que les choses commencent à changer. Des pirates informatiques parviennent à exploiter ActiveX pour diffuser de nombreux logiciels malveillants aux utilisateurs du plug-in. L’opinion publique change et les sud-coréens se plaignent de l’inconvénient d’utiliser ActiveX pour leurs achats en ligne. Un an plus tard, le gouvernement supprime la loi de 1999 et contraint les sites gouvernementaux à être compatibles avec au moins trois navigateurs. En 2012, Google Chrome se popularise et devient le navigateur le plus utilisé en Corée du Sud. En 2022, c’est 54 % de la population sud-coréenne qui utilise Google Chrome.

Si les internautes se souviennent principalement d’Internet Explorer au travers de blagues et de memes sur sa vitesse d’exécution et de chargement, certains ont cherché à lui rendre un dernier hommage. C’est le cas de Jung Ki-young, un développeur de logiciels sud-coréen, qui a érigé une pierre tombale en l’honneur du navigateur, avec comme épitaphe « Il était le meilleur pour télécharger d’autres navigateurs ». Pour lui, « l’utilisation d’Internet Explorer était compliquée et frustrante mais elle était parfois utile. Je ne voulais pas juste le désinstaller en lui disant “je n’ai plus besoin de toi” ».