Durant la crise sanitaire, le télétravail est apparu comme le mode de fonctionnement idéal pour faire face à cette situation exceptionnelle. Ce qui n’était au départ qu’une solution temporaire s’est finalement ancrée dans les habitudes de travail : aujourd’hui, 78 % des employés préfèrent exercer depuis chez eux. Pourtant, la moitié d’entre eux n’avaient jamais expérimenté cette manière de travailler, indique un rapport édité par HubSpot en 2022.

Si l’instauration d’une politique de travail à distance présente de nombreux avantages, elle implique toutefois de repenser la collaboration et la culture d’entreprise. Gilles Bertaux, Cofondateur et CEO de Livestorm, plateforme d’engagement pour gérer ses réunions et webinars de A à Z, dévoile les secrets de la mise en place de ce mode de fonctionnement.

Travailler à distance apparaissait-il comme une évidence ? Quelles ont été les grandes étapes de sa mise en place ?

Pas au début non. Livestorm a été fondé en 2016 et nous avons commencé à mettre en place le full remote en 2018 avec l’arrivée de Laurent Schaffner, notre Head of back-end development, puisqu’il travaillait du Chili. Nous nous sommes d’abord ouverts aux métiers tech en remote car c’était simple pour embaucher sans se limiter à la ville de Paris. Nous avons réalisé qu’il y avait une concurrence féroce pour embaucher dans la capitale française. Afin de pouvoir recruter les meilleurs talents, quel que soit le lieu de résidence des candidats, nous sommes devenus l’une des premières entreprises “remote-first”.

Cela a également contribué à l’ADN international que nous avons aujourd’hui. Nous avons aussi une entité à Boston pour nous aider à nous concentrer sur notre présence aux États-Unis. Aujourd’hui, tous les postes sont proposés en télétravail complet, avec parfois une préférence pour le fuseau horaire CET. Nous comptons plus de 160 collaborateurs répartis sur 17 pays, et 70 % des équipes travaillent à distance.

Après quelques années, quels sont vos retours d’expérience sur la mise en place du 100% télétravail ?

Il nous a fallu nous adapter, et nous continuons toujours de le faire. Nous avons grandi très rapidement : passés de 30 à plus de 160 personnes en l’espace de deux ans.

Le premier retour est que malgré la distance et toutes les optimisations de notre communication au quotidien, il est impératif de se voir régulièrement. Tous les trimestres, nous encourageons nos managers à créer des micro-séminaires d’équipe sur quelques jours afin de se retrouver. Pour ce faire, chaque Stormie dispose d’un budget semestriel pour voyager et rencontrer d’autres membres de son équipe ou d’une autre.

Le deuxième retour est que la communication asynchrone est aussi importante que la communication en live. La “zoom fatigue” est réelle et il est important de créer un cadre sur ce qui doit impérativement être un appel. Pour le reste, nous essayons au maximum de fonctionner grâce à nos outils de collaboration et notamment de notre documentation interne.

Enfin, il est commun de tomber dans le piège du sur-contrôle managérial. C’est pour cela que nous faisons un usage intensif et rigoureux des OKRs pour déterminer les objectifs chiffrés de chaque équipe chaque trimestre. Dès lors, nous ne regardons plus la façon de travailler, mais le résultat final. C’est une façon pour le manager de forcer la confiance dans sa relation

Le télétravail est-il un frein à la culture d’entreprise ou peut-il, au contraire, l’améliorer ?

Je ne pense pas que cela soit un frein, mais un challenge supplémentaire, quelque chose d’encore plus important. Je pense qu’une bonne entreprise à distance est une entreprise qui a créé une culture d’entreprise appropriée autour du travail à distance.

Pour vous assurer que tout se passe bien pour tous vos employés, vous devez investir dans des outils qui vous permettent de travailler de manière asynchrone. Veillez à ce que vos communications soient regroupées dans un même espace, disponibles à tout moment et facilement consultables.

Vous devez également penser aux collaborateurs qui travaillent dans des fuseaux horaires différents. Ils peuvent se sentir désengagés s’ils travaillent dans des fuseaux horaires différents de ceux de leur responsable ou des autres membres de l’équipe. Il est donc important de veiller à leur offrir un espace virtuel pour partager des informations. Assurez-vous aussi d’avoir des dirigeants forts qui comprennent la situation à distance et évitez la micro-gestion.

Je conseille par ailleurs de garder la chaîne de commandement petite et légère : une bonne gestion consiste à ce que votre équipe ait une relation durable et saine avec son responsable. Pour ce faire, ils ont besoin de temps pour gérer et travailler rapidement sur les décisions. D’où la taille. Le télétravail est synonyme d’agilité et le fait de travailler sur de plus petites « nacelles » y contribue.

Nous avons repensé le processus d’onboarding afin qu’il soit le même pour tous les employés, qu’ils commencent en personne ou à distance, et quel que soit leur fuseau horaire. Nous assurons le même suivi pour tous les employés avec les 1:1 mensuels et nos réunions sont, dans la mesure du possible, organisées à des heures où tout le monde peut se connecter.

Il est toujours préférable d’écrire pour éviter les messages déformés : documentez tout, gardez une trace de vos découvertes, gardez une trace de vos projets. Plus vous écrivez, moins vous soulevez de questions ou de problèmes de communication. Gardez les choses bien organisées dans un espace de documentation et faites remonter ces écrits chaque fois que le sujet émerge. Gardez un bon équilibre entre asynchrone et synchrone : nous sommes souvent tentés d’accumuler les réunions en direct alors qu’une vidéo préenregistrée, un document collaboratif ou un fil de discussion suffirait.

Fournir une installation complète de travail à domicile pour s’assurer qu’ils travaillent dans les meilleures conditions possibles. Par exemple, chez Livestorm, nous fournissons à tous nos employés un MacBook et tous les accessoires nécessaires tels qu’une souris, un clavier, un second écran, un support pour ordinateur portable, des écouteurs et quelques goodies aux couleurs de Livestorm. En plus de ces accessoires, un budget de 1000 € est disponible pour chaque employé afin d’acheter un nouveau bureau, une chaise de bureau ou ce dont ils ont besoin pour avoir une installation adéquate pour bien travailler à domicile. Pour les employés qui souhaitent travailler depuis un espace de coworking, Livestorm alloue également un budget de 300 € par mois.

Quelles sont les bonnes pratiques et rituels à mettre en place pour conserver un lien à distance ?

Le fait de travailler à distance vous éloignera certainement de ce collègue d’une autre équipe que vous aviez l’habitude de croiser à la machine à café chaque matin. Donc le travail à distance peut créer des silos entre les équipes, surtout celles qui ne travaillent pas ensemble. D’où l’importance de mettre en place une réelle culture autour du travail à distance avant de décider de passer à un travail à distance complet. Cela étant dit, il faut malgré tout s’assurer que vous créez un espace et du temps pour que les employés puissent se réunir de manière aléatoire, que ce soit pour un café virtuel ou des jeux virtuels.

Il est en effet important de créer des rituels pour briser les silos : trouvez des moments où votre « pod » peut rencontrer le reste de l’équipe ou même des personnes d’autres équipes. Chaque équipe devrait avoir au moins un rituel à l’échelle de l’équipe (p. ex. lancement hebdomadaire, petits-déjeuners virtuels) et un rituel à l’échelle de l’entreprise (p. ex. réunion hebdomadaire).

Également, chaque personne chez Livestorm dispose d’un budget par semestre pour aller rencontrer d’autres collaborateurs peu importe où ils se trouvent. Beaucoup de Stormies l’utilisent et cela leur permet de renforcer les liens entre collaborateurs.

Nous avons aussi mis en place Donut pour faciliter les rencontres et les échanges, et c’est très apprécié chez Livestorm.

Quel rôle jouent les outils technologiques pour favoriser le travail à distance ?

Comme je le disais précédemment, Donut est un outil très intéressant pour favoriser les rencontres entre collaborateurs, notamment ceux qui ne sont pas amenés à travailler ensemble.

Nous utilisons également d’autres outils pour simplifier la collaboration à distance :

  • Notion, pour tout ce qui est communication asynchrone ;
  • Figma, comme outil de design collaboratif ;
  • Slack, comme messagerie interne ;
  • Café, qui permet à chacun de s’inscrire lorsqu’ils veulent se rendre au bureau, de voir qui sera présent, mais également d’être sûr que nous ne sommes pas trop nombreux ;
  • Miro, pour dresser une carte des collaborateurs via un organigramme collaboratif ou simplement pour schématiser des process ou projets ;
  • Linear, pour la gestion des tickets ingénieurs, IT, voire marketing.

Le travail à distance nécessite l’utilisation de différents outils pour améliorer la collaboration et ne pas perdre le lien, mais cela peut aussi avoir un impact sur la productivité si vous êtes constamment dérangé par des notifications d’emails ou de messageries internes. Je conseille donc d’éteindre ou de désactiver les notifications afin de pouvoir se concentrer sans être distrait.

Au bout d’une heure, qui est normalement le moment où vous devez de toute façon prendre cinq minutes pour faire une pause et s’aérer l’esprit, vous pouvez alors les réactiver pour consulter vos messages et répondre à vos collègues.

Quels sont les avantages d’une politique 100% télétravail sur le long terme ?

Nous sommes une entreprise flexible qui permet d’offrir à nos collaborateurs d’adopter ce qu’ils souhaitent : venir à leur guise au bureau à Paris ou à Boston s’ils sont basés aux US, travailler à 100% depuis chez eux, ou bien bénéficier d’un espace de coworking. Cette stratégie nous a permis d’engager les meilleurs talents, partout dans le monde, et de ne pas se restreindre à une ville ou un seul pays.

Malgré le fait que nous soyons passés de 30 à plus de 160 personnes en deux ans, nous n’avons pas eu à changer de locaux, nous en avons juste ouvert un aux États-Unis, à Boston, pour pouvoir nous développer. Les bureaux sont flexibles et les gens qui souhaitent travailler au bureau s’inscrivent sur l’application Café. Si trop de gens s’inscrivent, nous mettons à leur disposition un espace de coworking pour compléter. Pour l’entreprise, c’est très positif de pouvoir se concentrer sur le recrutement sur un terrain de jeu beaucoup plus grand au lieu de devoir se préoccuper de la capacité que son bureau.

L’aspect financier entre donc en jeu, mais s’il s’agit uniquement de travailler à distance sans payer de frais, le gain financier sera compensé par des impacts négatifs sur de nombreux autres aspects.
Offrir de la flexibilité aux employés ne fonctionne que si on leur donne toutes les clés pour avoir un environnement de travail aussi complet que celui du bureau, au-delà des aspects positifs du travail à distance lui-même en termes d’organisation personnelle.

Cela implique de prendre en charge certains coûts, comme ceux liés à la connexion internet ou à l’équipement, mais aussi de leur offrir la possibilité de bénéficier d’un espace de coworking s’ils souhaitent disposer d’un environnement de travail distinct de leur domicile.

Il faut également penser à une organisation dans laquelle les équipes ont la possibilité de se réunir physiquement de manière régulière, en disposant de locaux accessibles, ou en proposant un budget de déplacement.

Enfin, d’un point de vue de recruteur, être prêt à accueillir ce type de profil de télétravailleur est aussi un avantage pour étendre ses horizons et accéder à un pool de candidats plus large.

Et au-delà de ces coûts, il faut aussi repenser la façon de travailler et proposer de nouveaux outils pour faciliter la communication et la collaboration.

Sans ces éléments, l’entreprise peut faire des économies financières, mais cela aura des répercussions directes sur son organisation et ses équipes. Ne pas offrir aux employés les meilleures conditions de travail, que ce soit au bureau ou à distance, ne leur permettra pas de s’épanouir pleinement professionnellement et d’avancer ensemble et avec l’entreprise.