Selon une enquête de Reuters publiée le 6 juin 2022, la plateforme Binance spécialisée dans l’échange de cryptomonnaies, serait coupable et complice de blanchiment d’argent. En parallèle à ces révélations, de multiples investigations ont été lancées, notamment par la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme américain régulant et contrôlant les marchés financiers.

Comment fonctionne la plateforme d’échanges de cryptomonnaies Binance ?

Binance est une plateforme spécialisée dans les cryptomonnaies, permettant aux particuliers, organismes et entreprises, d’acheter, vendre et stocker plus de 300 références de cryptomonnaies. Fondée en 2017 par Changpeng Zhao, la plateforme est progressivement devenue l’une des plus influentes dans le monde de l’échange de cryptomonnaies, tout comme ses rivales Coinbase ou FTX. La plateforme compte près de 120 millions d’utilisateurs autour du globe.

Afin de mieux comprendre le fonctionnement d’une plateforme comme Binance, il faut distinguer trois cas d’utilisation :

  • Un utilisateur de Binance peut injecter une devise (comme de l’euro, des dollars américains, des yens, qu’on appelle monnaie fiduciaire) dans son portefeuille pour ensuite acheter les cryptos de son choix. C’est l’une de ses fonctionnalités, celle d’être une plateforme d’achat. L’utilisateur reçoit la quantité de cryptomonnaie qui correspond à la somme qu’il a fournie à la plateforme en monnaie fiduciaire. En parallèle, la plateforme prend une commission.
  • Un utilisateur de Binance possédant déjà des actifs peut passer d’une cryptomonnaie à une autre. C’est la seconde fonctionnalité de Binance, celle d’être une plateforme d’échange.
  • Enfin, certaines plateformes d’échanges permettent à leurs utilisateurs de réaliser des paiements (comme il est possible de le faire à l’aide d’une carte bancaire ou avec des monnaies fiduciaires en liquide) grâce aux actifs qu’ils possèdent. Ainsi, l’ensemble des actifs que possède l’utilisateur constitue son portefeuille.
Binance, interface

Binance se présente sous cette forme. Au centre de l’image, on retrouve le cours de la cryptomonnaie choisi par l’utilisateur, en l’occurrence dans ce cas, le Bitcoin. Au-dessus, dans une bannière, on retrouve le cours actuel de plusieurs actifs (dont l’Ether), et dans la colonne à droite de l’écran, il est possible de réaliser plusieurs actions comme échanger ses actifs contre une autre cryptomonnaie ou contre une monnaie fiduciaire. Image: Binance.

Reuters accuse Binance d’avoir blanchi plus de 2 milliards d’euros

Retour en septembre 2020. Lazarus, un groupe de hackers nord-coréen réussit à exploiter une faille dans un échange de cryptos et vole des actifs pour une valeur de 5,4 millions de dollars. Cette attaque avait pour but d’apporter un financement supplémentaire au programme d’armement nucléaire de la Corée du Nord.

Quelques heures plus tard, les hackeurs ouvrent au moins 25 comptes, anonymes, sur la plateforme Binance, leur permettant de convertir les fonds volés en monnaie fiduciaire tout en masquant la provenance de ce trésor. En quelques minutes, ils réussissent à récupérer cet argent et à disparaître, comme si de rien n’était. À noter que ce fait d’armes, exceptionnel pour l’époque, semble minime à côté de la nouvelle attaque réalisée par ce même groupe de hackeurs en 2022, lorsqu’ils ont réussi à voler l’équivalent de 500 millions d’euros en ethers.

Cet exemple est l’un parmi tant d’autres s’étant produit sur Binance entre 2017 et 2021 selon l’enquête de Reuters. Au cours de cette période, Binance aurait été une plateforme ayant permis de blanchir 2,35 milliards de dollars suite à des actions criminelles (comme des piratages à grande échelle, des ventes illégales de médicaments ou des fraudes à l’investissement).

En 2020, la société Chainalysis, cabinet d’étude spécialisé dans la blockchain, a été engagée par des agences gouvernementales américaines afin de suivre ces flux illégaux. Le rapport aurait conclu que Binance aurait reçu des fonds douteux correspondant à un total de 770 millions de dollars uniquement en 2019. Un chiffre bien plus important que toute autre plateforme d’échange d’actifs.

L’ensemble de ces accusations sont tirées de faits qui se seraient produits avant 2021, année durant laquelle Binance a renforcé ses règles de transparence et de sécurité. Apparemment, avant cette date, la société n’avait aucune idée précise de qui investissait sur sa plateforme et à quel moment.

La réponse de Binance face aux accusations de blanchiment d’argent

Après avoir été tenu au courant de l’ensemble des éléments de l’enquête réalisée par Reuters, Binance s’est défendu de toute tentative de malversation. L’entreprise a publié un communiqué dans lequel la plateforme considère que l’enquête s’appuie sur des données de faible valeur qui n’ont pas été correctement vérifiées.

« Ni notre secteur, ni Binance ne sont parfaits, mais nous avons connu une croissance fulgurante au cours des trois dernières années. La crypto est une innovation complètement nouvelle. Et tout comme de nombreux régulateurs et décideurs, nous sommes encore en train de réfléchir à ce que devrait être un cadre réglementaire approprié » précise la firme dans son communiqué.

Afin d’apporter un argument supplémentaire, la plateforme fait référence à un autre rapport de Chainalysis affirmant que 0,15% des transactions effectuées avec des cryptomonnaies étaient en lien avec des activités illégales, un chiffre en baisse depuis 2019. Il ne concorderait pas avec les conclusions faites par Reuters, selon l’entreprise.

Pour Binance, « la crypto est incroyablement transparente, infiniment plus que l’économie monétaire traditionnelle, et cela est bien documenté ». Elle interpelle indirectement les journalistes responsables de l’enquête en leur posant la question suivante : « Dites-nous réellement où se situe le vrai problème en matière de blanchiment d’argent ? ».

Plusieurs agences américaines avaient déjà Binance dans leur viseur

Hormis Reuters, plusieurs autorités compétentes aux États-Unis se sont intéressées aux agissements de Binance.

La Commodity Futures Trading Commission, l’organe fédéral américain chargé de la régulation des marchés des produits dérivés, avait déjà ouvert une enquête en septembre 2021. L’objectif était de déterminer si des employés de la plateforme avaient commis des délits d’initiés et manipulé les marchés grâce à des informations privilégiées. Binance a également été par le ministère de la Justice américaine et l’Internal Revenue Service (IRS) pour blanchiment d’argent.

En février 2022, la SEC a accusé le PDG de Binance, Changpeng Zhao, de partager des informations confidentielles avec deux entreprises américaines : Merit Peak Ltd et Sigma Chain. Ces deux firmes sont des “teneurs de marchés” (ou market makers) : elles procèdent à des transactions journalières sur Binance, ce qui limite la volatilité des prix. Ainsi, le régulateur des marchés financiers américains souhaite vérifier la nature des liens pouvant potentiellement exister entre Binance et ces deux entreprises pour savoir si elles ne tirent pas d’avantages de cette « relation ».

Plus récemment, la SEC est une nouvelle fois passée à l’attaque. Elle s’intéresse à la légalité de la cryptomonnaie créée par Binance, le binancecoin (BNB). Celle-ci a été lancée il y a cinq ans à l’aide d’une Initial Coin Offering (ICO), une forme d’introduction en Bourse dans le secteur des cryptomonnaies qui se réalise sous la vente de tokens (ou jetons).

La SEC souhaite savoir si ce jeton était licite en 2017. Selon elle, il se peut que cette ICO n’ait pas respecté certains points d’une loi sur les valeurs mobilières, et que Binance n’aurait pas enregistré cet actif auprès des autorités américaines avant d’avoir vendu ce jeton. Suite à l’ouverture de cette nouvelle enquête, le cours du BNB a chuté de 11 % moins de 24 heures, passant sous la barre des 280 dollars, l’un de ses niveaux de support clé (une des valeurs seuil garantissant ou non de potentiels bénéfices).

À l’heure actuelle, hormis ces actions en justice, aucune autre n’est envisagée pour un possible blanchiment d’argent. Toutefois, ces affaires et ces accusations montrent que plus que jamais, l’étau se resserre sur la transparence et la sécurité des transactions en cryptos. Que ce soit du côté des acteurs spécialisés dans les cryptomonnaies ou des régulateurs régissant sur ce secteur, la question de la fin des transactions frauduleuses se pose. L’Union européenne a annoncé en avril 2022 vouloir mettre fin à l’anonymat des transactions tandis que la Maison Blanche est en phase de réflexion quant à ce sujet.