C’est la cryptomonnaie la plus populaire et la plus valorisée du monde, et pourtant ! Entre 2009, année de la naissance du Bitcoin et février 2011, lorsque sa valeur a atteint celle du dollar, le succès du système a reposé sur la simple bonne volonté de ses premiers mineurs. C’est l’une des révélations d’une récente étude (pdf) de chercheurs américains d’universités texanes, dirigés par Alyssa Blackburn, scientifique des données. Selon eux, le Bitcoin, n’est ni si décentralisé, ni vraiment anonyme.

64 agents ont fait le succès du Bitcoin

L’article n’a pas encore été publié dans une revue scientifique à comité de lecture, mais confirme des travaux précédents et a obtenu un large soutien parmi les universitaires spécialistes de nouvelles technologies. Ses autrices et auteurs se sont penchés sur la naissance du Bitcoin.

Satoshi Nakamoto, le nom utilisé par l’inventeur supposé du Bitcoin, avait pour ambition, avec sa cryptomonnaie, de se passer des institutions financières traditionnelles, centralisées. Il souhaitait remplacer la confiance, base de fonctionnement du système en place, par la preuve cryptographique à l’aide des mathématiques et d’un réseau informatique, la blockchain.

Alyssa Blackburn explique qu’il n’y est pas forcément parvenu. Elle a découvert, avec son équipe, que lors des deux premières années d’existences du Bitcoin, la cryptomonnaie a réussi à fonctionner avec seulement 64 agents, mineurs. Elle constate que cela « ne correspond pas à l’esprit de la cryptomonnaie décentralisée et sans confiance ».

Pour trouver ce chiffre, les scientifiques ont croisé des fuites, des caractéristiques du logiciel Bitcoin, des échanges sur des forums, blog spécialisé, ainsi que des stratégies d’enquêtes plus sophistiquées. L’équipe a ciblé les mineurs, au cœur du système, puisqu’ils résolvent les algorithmes qui vérifient les transactions de Bitcoin en échange de quelques jetons.

Grâce aux données, 324Go archivés dans la Blockchain, les chercheurs ont, par exemple, suivi « l’extranonce ». Des 0 et 1 présents dans chaque chaîne de code qui permettaient de suivre l’activité de minage d’un ordinateur. Cette faille à l’anonymat a pu être tolérée par Satoshi Nakamoto pour surveiller l’activité de sa cryptomonnaie. Elle a disparu peu de temps avant sa disparition, en décembre 2010.

Alyssa Blackburn a expliqué ne pas avoir cherché à identifier « l’agent n°1 », le mystérieux créateur du Bitcoin. Son équipe a en revanche donné deux noms parmi les 64 agents centraux de la cryptomonnaie : Michael Mancil Brown, « Dr. Evil », condamné pour fraude en 2012 aux États-Unis et Ross Ulbricht, « DreadPirateRoberts », créateur de Silk Road, l’un des plus importants marchés du Darknet, jusqu’à son arrestation en 2013.

Une carte de la blockchain Bitcoin

Une carte de la blockchain bitcoin construite par Alyssa Blackburn et le Aiden Lieberman en utilisant les fuites de données. Source : Cooperation among an anonymous group protected Bitcoin during failures of decentralization.

Un système inégalitaire, sauvé par l’altruisme de ses agents

C’est en identifiant les agents que les scientifiques ont pu analyser les revenus dégagés par ces derniers. Ils ont constaté, durant leur période d’observation, qu’il y avait, par moments, très peu de mineurs actifs et une forte concentration de pouvoir et de richesse. À plusieurs reprises un seul agent a représenté plus de 50% de la puissance de calcul de la cryptomonnaie.

Cette situation peut être particulièrement problématique. Les agents disposants de plus de la moitié de la puissance de calcul du Bitcoin auraient pu tromper le système. Ils avaient l’opportunité de dépenser plusieurs fois un même jeton pour plusieurs transactions. C’est l’un des autres constats majeurs de l’étude, si le Bitcoin ne s’est pas effondré à cause de ce type de manipulation, c’est uniquement grâce au bon vouloir de ses agents.

Erez Lieberman Aiden, spécialisé dans les mathématiques appliquées et co-signataire de l’article, pointe que « même dans les occasions où le pool minier est devenu centralisé, les mineurs dominants ont refusé de l’attaquer. C’est une image très différente du modèle idéalisé que les gens ont pour expliquer pourquoi ces cryptomonnaies sont sécurisées ».

Il conclut que « Bien que le bitcoin ait été conçu pour s’appuyer sur un réseau décentralisé et sans confiance d’agents anonymes, son succès précoce a plutôt reposé sur la coopération entre un petit groupe de fondateurs altruistes ».

Un constat qui n’est pas nouveau. Sarah Meiklejohn, cryptographe à l’University College London, a confié au New York Times, « Nous savions tous que l’exploitation minière était assez centralisée », en renchérissant « Il n’y a pas tant de mineurs que ça. C’est vrai même aujourd’hui, bien sûr, et c’était encore plus vrai au début ». En 2018 une étude de l’université de Cornell avait déjà montré que de façon générale la décentralisation du web3, basée sur la blockchain, est plus idéologique que réelle.