Au Texas, l’application de la loi contre la censure sur les réseaux sociaux, baptisée HB 20, est suspendue par la Cour suprême jusqu’à ce qu’elle puisse être contestée devant les tribunaux.
Une loi visant les réseaux sociaux issus de la Silicon Valley, accusés de censure
Adopté en 2021, ce texte interdit aux plateformes comptant au moins 50 millions d’utilisateurs actifs mensuels de censurer des utilisateurs en fonction de leurs points de vue, ce qui signifie que des plateformes moins populaires comme Truth Social, réseau social de Donald Trump, ne sont pas ciblées par le texte. La loi qualifie les réseaux sociaux de « transporteurs publics » à l’instar des entreprises de télécommunications et de cette manière, les empêche de limiter la diffusion, d’interdire ou de démonétiser des contenus qui peuvent potentiellement être problématiques.
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Il n’est pas surprenant que cette loi émane d’un des plus importants États républicains ; depuis plusieurs années, la droite américaine se plaint en effet des grandes plateformes technologiques basées en Californie, et assurent que ces dernières censurent les conservateurs et les empêchent de s’exprimer. Comme l’explique le Wall Street Journal, la loi permet aux résidents du Texas, ou à toute personne exerçant une activité dans l’État, de poursuivre les plateformes pour des violations présumées et de demander des ordonnances judiciaires contre le retrait de contenu.
En décembre dernier, le juge Robert Pitman, du tribunal fédéral de district d’Austin, a émis une injonction préliminaire afin de bloquer l’application de la loi. « Les entreprises de médias sociaux ont le droit, en vertu du premier amendement, de modérer le contenu diffusé sur leurs plateformes », écrivait-il alors pour justifier sa décision. Toutefois, un appel a été déposé contre cette injonction et le 11 mai dernier, trois juges ont permis à la loi d’entrer en vigueur.
Les géants de la tech s’en mêlent
Deux grands groupes commerciaux de l’industrie technologique, NetChoice et la Computer & Communications Industry Association (CCIA), qui comptent notamment parmi leurs membres Meta, Twitter, Amazon ou encore Google, ont demandé en urgence à la Cour Suprême de suspendre la loi. Selon eux, cette dernière « obligerait les plateformes à diffuser toutes sortes de points de vue répréhensibles – tels que la propagande de la Russie prétendant que son invasion de l’Ukraine est justifiée, la propagande d’ISIS prétendant que l’extrémisme est justifié, les écrits néo-nazis ou du K.K.K. niant ou soutenant l’Holocauste, et encourageant les enfants à adopter des comportements risqués ou malsains comme les troubles alimentaires ».

Les réseau sociaux possédant plus de 50 millions d’utilisateurs actifs mensuels sont concernés par le texte. Photographie : Adem AY / Unsplash
Ken Paxton, procureur général du Texas, a contredit cet argument en assurant que « les plateformes peuvent décider d’éliminer la pornographie sans violer HB 20 … Les plateformes peuvent également interdire les discours de gouvernements étrangers sans enfreindre la loi HB 20. Elles ne sont donc pas tenues d’héberger la propagande russe sur l’Ukraine ».
Plus largement, les groupes industriels invoquent le Premier Amendement pour faire entendre leur voix : ils comparent leurs décisions à celles de journaux, qui ont le droit de choisir leur tournure éditoriale comme bon leur semble. « Aucune plateforme en ligne, aucun site web ou aucun journal ne devrait recevoir l’ordre des autorités gouvernementales de diffuser certains discours. C’est un principe clé de notre démocratie depuis plus de 200 ans et la Cour suprême l’a confirmé », a ainsi déclaré Matt Schruer, président de la CCIA.
Une situation qui replonge la Section 230 au cœur du débat
Si la Cour suprême a, pour le moment, donné raison aux deux organismes à cinq voix contre quatre, tout n’est pas encore joué. En effet, le juge Samuel Alito a déposé une opinion dissidente à ce sujet. Il estime que la loi texane elle-même « est nouvelle, tout comme les modèles d’entreprise des demandeurs », et il « n’est pas du tout évident de savoir comment nos précédents, qui datent d’avant l’ère de l’Internet, devraient s’appliquer aux grandes entreprises de médias sociaux », écrit Alito. Il a noté que la Cour suprême a « reconnu le droit des organisations à refuser d’accueillir le discours d’autrui » dans certains cas, mais « rejeté de telles revendications dans d’autres circonstances ».
Si tout se passe comme prévu, une plainte devrait être déposée par les géants technologiques afin de faire annuler la loi. Cependant, comme le note CNBC, ce cas peut servir de premier terrain d’essai pour la manière dont le Congrès américain envisage de réformer le bouclier juridique sur lequel les plateformes technologiques s’appuient depuis des années pour modérer leurs services. En effet, la Section 230 leur permet de gérer à leur guise le contenu qu’il y a sur leur plateforme, mais aussi bien les républicains que les démocrates veulent modifier ce texte pionnier.
Les arguments des deux camps sont toutefois différents : si les démocrates souhaitent davantage réguler le contenu haineaux et la désinformation, les républicains, eux, espèrent pouvoir empêcher les réseaux sociaux de « censurer » l’opinion des conservateurs.