Une intelligence artificielle (IA) doit-elle être reconnue comme la créatrice de ses inventions ? C’est oui pour Alexandra George, spécialiste de la propriété intellectuelle et Toby Walsh, professeur en IA, tous les deux en poste à l’université de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. Dans un article publié le 24 mai dans Nature, ils expliquent leur position.

Les IA sont déjà là

Les auteurs partent de plusieurs constats. D’abord que « Les tribunaux du monde entier sont actuellement aux prises avec ce problème, car des demandes de brevet désignant un système d’IA comme inventeur ont été déposées dans plus de 100 pays ». Ils notent également que des IA ont participé au développement de médicaments, vaccin, découverte de matériaux, technologie spatiale ou conception de navires.

Stephan Thaler, une sorte de militant des droits des IA, mène depuis plusieurs années une guérilla juridique pour reconnaître à ses algorithmes la paternité de leurs inventions. L’une de ses IA, DABUS (Device for Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience) a créé un récipient et un feu clignotant. Une autre, Creativity Machine est à l’origine d’une œuvre d’art.

Les autorités en charge de l’enregistrement des brevets ont rejeté ces demandes de reconnaissances au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Union européenne (UE), en Corée du Sud, Australie… Seule l’Allemagne a accepté de breveter ces innovations à condition de désigner Thaler comme celui qui a incité DABUS à les créer.

Selon ces deux spécialistes de l’IA et de la protection intellectuelle, les gouvernements doivent revoir les normes en matière de brevet. Ces dernières reposent sur deux textes rédigés avant l’apparition des algorithmes, la Convention de Paris de 1883 pour la protection de la propriété industrielle et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) de 1994.

Pour les chercheurs, ces textes vieillissants sont mal adaptés à l’existence des IA pour deux raisons. Tout d’abord, ils estiment que si les tribunaux refusent de reconnaître les créations des IA, les entreprises qui les possèdent seront moins incitées à les développer et donc nuiront à l’innovation.

Dans un second temps, la reconnaissance de « l’activité inventive », préalable à l’obtention d’un brevet, impose que la nouveauté ne soit pas évidente aux yeux d’une personne compétente dans le domaine. Avec des IA engorgées des connaissances d’un secteur où elles fonctionneront, le caractère évident ou non de l’invention sera impossible à déterminer.

Les pistes de solution à ces problèmes de propriété intellectuelle

Pour remédier à ces difficultés Alexandra George et Toby Walsh proposent trois étapes de travail pour parvenir à une législation appropriée. D’abord une consultation des parties prenantes, à l’image d’initiatives déjà menées par l’UE et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, dépendant des Nations Unies. Ils pensent qu’il s’agit d’un « bon début, que les systèmes de brevets de toutes les juridictions devraient imiter ».

Pour ce qui est de la loi elle-même ils considèrent qu’en « bricolant les protections juridiques existantes, on risque de laisser des zones d’ombre ». Il suggère plutôt la mise en œuvre d’une nouvelle législation englobant les grandes catégories de la propriété intellectuelle : les droits d’auteurs, les dessins industriels, les marques et les brevets.

La dernière étape logique est celle d’un traité international pour harmoniser ces nouvelles législations, dotées d’un tribunal international d’arbitrage à l’image de la future Cour unifiée des brevets en Europe.

La chercheuse et le chercheur reconnaissent que ces textes ne seront « pas faciles » à faire émerger, mais ils jugent que « ne pas les créer sera pire ». Pour eux « L’IA modifie la manière dont la science est pratiquée et dont les inventions sont réalisées. Nous avons besoin d’un droit de la propriété intellectuelle adapté aux besoins, afin qu’il serve le bien public ».