Des scientifiques de l’Institut QuTech de l’université de Delft aux Pays-Bas ont réalisé une avancée significative dans le domaine de l’informatique quantique. Ils sont parvenus à téléporter des informations de manière quantique, ouvrant la voie à un futur Internet quantique.

L’informatique quantique, potentiel infini

Tout d’abord, il faut bien comprendre que l’informatique quantique est complètement différente de l’informatique classique, puisqu’elle utilise les propriétés du monde quantique, c’est-à-dire de l’infiniment petit. En effet, les particules élémentaires ne se comportent pas du tout de la même manière que ce que nous expérimentons dans notre vie quotidienne, d’où l’intérêt des chercheurs pour leurs propriétés dans le domaine de l’informatique. Par exemple, elles peuvent exister dans différents états simultanément.

Il suffit d’ailleurs de comparer les qubits et les bits pour se rendre compte du potentiel de cette technologie. Les bits sont traités par les ordinateurs classiques pour stocker l’information et ne peuvent exister qu’en 0 ou 1. Le qubit, analogue du bit en informatique quantique, peut quant à lui exister en étant 1 et 0 simultanément, ce qui permet à un ordinateur quantique d’effectuer des calculs, par exemple, bien plus complexes que ses homologues traditionnels.

Pour l’heure, le domaine de l’informatique quantique n’en est qu’à ses balbutiements ; mais chaque avancée est importante car elle nous rapproche d’un monde de possibilités infinies. À terme, mais il est impossible de savoir quand, les ordinateurs quantiques devraient être capables d’effectuer en quelques minutes des tâches qui prendraient des milliers d’années aux superordinateurs qui existent actuellement.

Un réseau quantique à trois nœuds

Les chercheurs néerlandais ayant participé à l’étude abordée aujourd’hui et publiée dans la revue Nature, ont mis au point en 2021 le premier réseau quantique à trois nœuds, et c’est ce même réseau qui a été utilisé pour l’expérience. Il faut savoir que l’information quantique peut être transportée par fibre optique, mais les photons se perdent sur de longues distances, et par conséquent, l’information qu’ils contiennent disparaît également. La téléportation quantique de l’information semble donc être une solution idéale, encore faut-il réussir à la mettre en œuvre.

Le réseau à trois nœuds de QuTech n’est pas entièrement relié. Placés dans un laboratoire distinct, à plusieurs mètres de distance les uns des autres, chacun des trois nœuds baptisés Alice, Bob et Charlie contient un qubit d’informations fabriqué à partir de centres de vacance d’azote, qui sont des défauts dans le réseau d’atomes de carbone du diamant. Un seul des nœuds, Bob, contient un qubit de mémoire conçu à partir d’un atome de carbone adjacent. Bob est relié à Alice et à Charlie, mais ces deux derniers ne sont pas reliés entre eux, comme l’explique la vidéo ci-dessous :

L’intrication quantique, essentielle pour la téléportation d’informations

La première étape de la téléportation d’informations quantiques d’un émetteur (Alice) à un récepteur (Charlie) consiste à établir une intrication entre leurs qubits respectifs. L’intrication quantique est un phénomène dans lequel deux particules forment un système lié, et présentent des états quantiques dépendant l’un de l’autre quelle que soit la distance qui les sépare.

Ainsi, les deux cessent d’être des particules individuelles avec des états définis qui leur sont propres et deviennent un système avec une seule fonction d’onde. Pour y parvenir, Alice établit une intrication avec Bob, et toute mesure qui se produit chez elle est reproduite instantanément chez lui. C’est ensuite au tour de Bob de mettre en place une intrication avec Charlie. Résultat : Bob permet à Alice et Charlie d’établir une intrication entre eux-mêmes s’ils ne sont pas reliés.

« Après avoir préparé une intrication entre Alice et Charlie, l’état à téléporter est créé puis exécuté. Il se passe alors quelque chose qui n’est possible que dans le monde quantique : à la suite de la mesure, l’information disparaît du côté de Charlie et apparaît immédiatement du côté d’Alice », explique Ronald Hanson, physicien chez QuTech et auteur principal de l’étude.

Autrement dit, l’information a été téléportée d’un nœud à un autre, sans traverser ni espace, ni fibre ; de cette manière, elle ne peut pas être perdue en route comme c’est le cas avec la fibre optique, et elle est très sécurisée, un élément essentiel pour construire un réseau fonctionnel.

Schéma d'intrication quantique entre les trois nœuds.

Ce schéma détaille comment Alice, l’émetteur de l’information et Charlie, son récepteur, parviennent à l’intrication quantique grâce à Bob. Schéma : Nature

Une petite avancée qui a de grandes implications

Ce n’est pas la première fois que des chercheurs parviennent à la téléportation quantique. Il y a cinq ans, des chercheurs de l’université chinoise des sciences et des technologies sont parvenus à téléporter des photons depuis la Terre vers le satellite Micius, en orbite à une altitude de 1 400 kilomètres. En revanche, la téléportation quantique d’informations réalisée par les scientifiques néerlandais est une première, et elle est bien plus complexe. Elle peut en effet nous laisser entrevoir à quoi ressemblerait un réseau Internet quantique.

« Outre la qualité de l’expérience, la démonstration d’une configuration de communication quantique sophistiquée avec trois nœuds et des algorithmes de communication très élaborés, jette les bases de son extension à des configurations évolutives de distribution d’intrication et de communication quantique qui sont très prometteuses », déclare García Ripoll, chercheur à l’Institut de physique fondamentale du Conseil national de la recherche espagnol (CSIC) et cofondateur d’Inspiration-Q, au quotidien El País.

Désormais, les scientifiques veulent augmenter le nombre de qubits de mémoire, ce qui permettra d’exécuter des protocoles plus complexes, mais également d’utiliser la technologie en dehors d’un laboratoire. Bien sûr, cette avancée n’est qu’un premier (petit) pas vers le déploiement d’un vaste réseau quantique, qui ne devrait pas voir le jour avant dix ans au moins, mais elle n’est pas, non plus, à prendre à la légère.

Si l’Internet quantique est encore loin, les experts se préparent déjà aux possibles dangers qu’il représente. Par exemple, la National Institute of Standards and Technology (NIST), située aux États-Unis, travaille déjà au chiffrement à résistance quantique afin d’éviter les futures cyberattaques quantiques.