C’est depuis Washington que la « Déclaration sur l’avenir de l’Internet » a été annoncée le 28 avril. Non contraignant, le texte (pdf) a été signé par une soixantaine de pays, parmi lesquels les États membres de l’Union européenne, des pays démocratiques et d’autres. Il ambitionne de rappeler les principes fondamentaux d’Internet et de les promouvoir dans le futur. Aussi, et peut-être surtout, il sert à pointer du doigt des États autoritaires non nommés… (La Chine et la Russie).

Une « déclaration » à la fois inédite et très classique sur Internet

Comme toutes grandes déclarations internationales, celle sur l’avenir de l’Internet débute sur une proclamation très solennelle, « Nous sommes unis par la conviction que les technologies numériques peuvent promouvoir la connectivité, la démocratie, la paix, l’État de droit, le développement durable et la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Les signataires s’engagent à soutenir « activement un futur pour l’Internet qui soit ouvert, libre, global, interopérable, fiable et sécurisé ».

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne a déclaré à lors la présentation du texte, « Aujourd’hui, pour la première fois, des pays du monde entier, attachés aux mêmes principes, définissent une vision commune de l’avenir de l’Internet, afin d’assurer que les valeurs que nous défendons hors ligne seront également protégées en ligne ».

Si c’est une première à l’échelle internationale, le texte reprend en réalité des valeurs assez classiques autour d’Internet depuis sa naissance, favoriser son accès, soutenir son caractère décentralisé et multipartisme, maintenir la neutralité du Net, soutenir la circulation de l’information, l’innovation…

Un enfer diplomatique ?

Le texte ajoute des considérations plus modernes telles que la confidentialité des données des utilisateurs, la cybersécurité… Plus largement, d’un point de vue sociétal, l’impact écologique du numérique est mentionné, ainsi que la lutte contre les discriminations en ligne, notamment sur l’identité de genre.

Ce dernier point a été peu apprécié par la Hongrie, lors des discussions diplomatiques pour approuver le texte au sein de l’UE, le 19 avril, selon Euractiv. De façon générale tous les États ne cochent pas de la même manière les engagements du texte, du fait de lois locales et de son caractère non contraignant.

C’est loin d’être la seule difficulté ayant émaillé le processus diplomatique préparatoire de la déclaration. Initialement, une « Alliance pour l’avenir de l’Internet » devait voir le jour à l’occasion du Sommet de la démocratie organisé par l’administration Biden, en décembre.

Des réticences, venues principalement des partisans d’un Internet libre ont regardé l’initiative avec distance, rapporte Le Monde. Elle a surtout été perçue comme un texte visant Pékin. Laissé en sommeil, le projet renaît de ses cendres à la faveur de l’invasion de l’Ukraine, pays signataire, par la Russie.

Quelques amendements ont été également consentis pour atténuer la sensation. Le terme « Alliance », trop connoté, a été éjecté. L’engagement sur le choix d’un « fournisseur de confiance » pour son infrastructure numérique a aussi, par exemple, été modifié : la référence à Huawei n’avait rien de subtil.

Non-signataires, la Russie et la Chine sont pourtant omniprésents

Il n’empêche, ce texte reste émaillé de critiques à peine voilés à la Chine et la Russie. Tout d’abord une critique globale, « l’accès à l’Internet ouvert est limité par certains gouvernements autoritaires ». Nombre d’allusions sont ensuite plus précises.

Les « États qui sponsorisent ou coordonnent des comportements malicieux […] incluant la diffusion de fausses informations et de cybercrimes » ? Une spécialité russe selon les Occidentaux. Les pays qui « ont érigé des firewalls » ? Ici la dédicace est destinée à la Chine. Le pays a érigé une « grande muraille numérique » autour de son Internet, ou dit autrement, le Grand firewall. La plaidoirie omniprésente en faveur d’un Internet ouvert, mondial et interopérable est liée à la crainte américaine, ces dernières années, de voir arriver un « splinternet », une séparation d’Internet en plusieurs entités fermées les unes ou autres.

Dans son communiqué la Commission européenne, contrairement à la Maison-Blanche, cite nommément la Russie, connue pour avoir un projet d’Internet indépendant, RuNet. Elle mentionne également l’Ukraine, signataire du texte et exposé au « risque de perturbation grave de l’Internet, notamment par des fermetures totales ou partielles ».

Plusieurs grands pays, hors Russie et Chine, n’ont pas paraphé la déclaration. La plus grande démocratie du monde, l’Inde en fait partie, avec l’Afrique du Sud, le Brésil ou encore la Corée du Sud. D’autres gouvernements pourront rejoindre les signataires initiaux.

La Commission européenne a annoncé que des discussions seront organisées à l’été 2022, d’ici là des ateliers auront lieu. Les signataires comptent sur les entreprises, les ONG, la société civile et les chercheurs pour s’emparer de leur déclaration commune et de la mettre en œuvre à leur échelle. Un vœu pieux.