Sondages, désinformation, communications ciblées : comment avoir confiance en l’information à laquelle nous sommes exposés au quotidien ? À la veille du 1er tour des élections présidentielles, Julia Cames, Directrice Marketing France de HubSpot, livre sa vision du pouvoir des données en politique.

Une confiance largement érodée

C’est un fait, les fausses informations circulent plus vite que les vraies. La désinformation dans notre quotidien ne fait que s’amplifier et elle apparaît, sans surprise au vu des enjeux, particulièrement intense en période électorale. Principal théâtre de cette culture de la désinformation : les plateformes de réseaux sociaux, sur lesquelles des ballets incessants de fake news et deepfakes s’enchaînent, jusqu’à frôler l’overdose.

Le scandale Cambridge Analytica en 2018 est probablement le point d’orgue de la prise de conscience de ce phénomène de désinformation, révélant l’utilisation des données personnelles de dizaines de millions d’utilisateurs Facebook à leur insu pour influencer les électeurs américains via des campagnes massives de publicité ciblée. Mais cette affaire n’est malheureusement pas isolée. Les scandales qui ont émaillé les scrutins du Brexit et les deux dernières élections américaines n’incitent pas à l’optimisme dans la perspective de l’élection présidentielle française qui commence à se jouer cette semaine. Les électeurs ont peu à peu perdu confiance dans l’information qu’ils reçoivent, peu importe sa source.

Même les sondages en prennent pour leur grade. Commandés autant par les médias que par les partis politiques, ils vont jusqu’à être considérés, parfois même par les candidats eux-mêmes, comme des instruments de propagande nuisant à la libre opinion individuelle. Dans ces conditions, sur quelle information se fier pour se forger son opinion ? Il y a bien eu l’application Elyze, qui reconnaissons-le, s’est donnée une bien noble mission que de diminuer le taux d’abstention aux élections en permettant aux utilisateurs de trouver, via un algorithme et une ergonomie à la Tinder, le candidat le plus proche de leurs propres idées et convictions. Mais, malgré toutes ses bonnes intentions, l’outil s’est révélé imparfait, les failles ont laissé place au doute, et la CNIL a pris les devants, craignant une revente de données anonymisées à des tiers.

Une nécessaire réglementation

Si quelques efforts ont été consentis de part et d’autre pour enrayer le phénomène (mise à disposition par Google de sa base de données deepfakes, promesse de suppression de tweets contenant des informations trompeuses par Twitter…), c’est bien du côté de la législation qu’il faut poursuivre pour redonner confiance aux électeurs.

Car à ce stade, les grandes plateformes sont encore accusées de laxisme dans la lutte contre les fake news, sous couvert de défense de la liberté d’expression. Elles n’ont pas de raison d’arrêter de monétiser les contenus qui sont les plus viraux tant qu’il n’y aura pas de réglementation solide. Bonne nouvelle, après avoir été voté par le Parlement en janvier dernier, le Digital Services Act est en bonne voie pour aboutir. Il vise entre autres à lutter contre la désinformation en ligne, en invitant les Gafam à financer leur supervision par la Commission européenne. Mais si cette législation résonne comme une bonne nouvelle pour l’écosystème numérique, il reste encore du travail, tant le phénomène est difficile à normaliser.

En France, plusieurs lois ont été mises en place au fil du temps pour faire face à ces menaces. Celle contre la manipulation d’information a été adoptée définitivement en 2018, essentiellement pour lutter contre les tentatives d’influence en période électorale. Des structures ont également été mises en place, comme Viginum en 2021, dont la mission consiste à détecter les opérations d’ingérence numérique étrangères aux fins de manipulation de l’information sur les réseaux sociaux.

CRM et politique

Les réseaux sociaux ne sont heureusement pas le seul terrain de communication sur lequel se joue une campagne électorale. Encore faut-il savoir où trouver les potentiels électeurs afin d’exercer son pouvoir d’influence, convaincre…

Les partis politiques étudient sans cesse de nouveaux scénarios pour faire grossir leurs bases de données, entre croissance organique de leur propre carnet d’adresses, utilisation de listes électorales et location ou acquisition de données auprès de brokers pour récupérer le consentement (opt-in politique). Tout ceci est bien sûr très encadré, par le RGPD, entre autres.

Au-delà de la donnée, il y a le ciblage. Car les données coûtent cher, et aucun parti n’a les moyens d’atteindre chaque Français individuellement. Même hors campagnes électorales, élus et partis ont bien compris l’importance d’être en contact permanent avec les citoyens et d’utiliser des outils numériques capables d’adresser des communications multicanales instantanées.

Traditionnellement utilisés dans les entreprises, les logiciels de CRM (gestion de la relation client) ont ainsi commencé à pénétrer les sphères politiques depuis une dizaine d’années. Couplés aux bases de données, ils permettent aujourd’hui, sans forcément être coûteux, de collecter des données et des dons, de consulter les citoyens, de centraliser l’ensemble des informations en un seul endroit ou encore d’avoir une meilleure gestion du RGPD. Et bien sûr de communiquer par email ou SMS de façon territoriale et ciblée, faisant gagner aux partis de précieux points sur le terrain de l’influence.

Une bonne stratégie de données ne peut sans doute pas faire gagner une élection seule, mais elle y contribue désormais largement. Au-delà des idées et des jeux de pouvoir, ce sont bien les données, et plus précisément la transparence ou l’honnêteté avec lesquelles elles sont exploitées, qui en font des outils de la démocratie.