Les entreprises de la Tech se rejoignent sur un point : la difficulté d’attirer et de retenir les meilleurs profils. L’enjeu est majeur et le risque de voir naître une pénurie de talents grandit. D’après une étude de Udacity réalisée en février 2022, 63 % des dirigeants français pensent que le manque de collaborateurs qualifiés a un impact majeur ou modéré sur leur activité. D’un point de vue plus large, c’est donc tout le secteur qui risque d’en pâtir.

Le temps où les candidats devaient séduire les recruteurs semble ainsi bien révolu dans ce domaine. Selon une étude de février 2021 du cabinet Harvey Nash, 40 % des responsables sondés ne parviennent pas à garder leurs employés qualifiés parce qu’ils sont débauchés par la concurrence. Aujourd’hui, c’est alors aux sociétés de tout mettre en œuvre pour se démarquer et convaincre les talents de rester.

Gilles Bertaux, Cofondateur et CEO de Livestorm, plateforme d’engagement pour gérer ses réunions, webinars et événements virtuels de A à Z, revient sur la pénurie des talents et sur les solutions pour faire face à cette problématique.

De quoi parle-t-on quand on évoque la pénurie-guerre des talents ?

Certains secteurs comme celui de la tech sont confrontés à une difficulté à recruter de nouveaux talents qualifiés. Développeurs, designers, métiers de la data, recruteurs, voire même commerciaux valent désormais de l’or à condition de pouvoir mettre la main dessus, puis de les garder. D’où l’expression guerre des talents.

Les domaines – profils pour lesquels il y a le plus de tension de recrutement ?

Je ne peux m’exprimer que sur le domaine que je connais, celui de la tech. Nous avons des difficultés à recruter des profils qualifiés, comme des développeurs et designers (entre autres).

Cette difficulté est liée à deux choses : la France présente un retard en matière de formation dans les métiers du numérique depuis plusieurs années, notamment très tôt dès l’école. Même si ce retard tend à se combler dans le secondaire grâce aux écoles/universités spécialisées (et encore), la nouvelle génération qu’on assimile souvent à une génération très “à l’aise sur les outils numériques” n’est pas beaucoup plus qualifiée que la précédente. Le problème vient probablement, d’une incompréhension systémique de l’école sur les nouveaux métiers du numériques, la réalité du marché du travail, de l’innovation en général.

Maintenant, il faut nuancer aussi ce propos : la France possède aussi un vrai pool de talents hautement qualifiés et dans des secteurs très précis comme l’intelligence artificielle. Nos universités forment de très bons doctorants par exemple, souvent imprégnés d’expérience outre-atlantique. Cette expertise se traduit par le nombre de capitaux étrangers qui viennent investir dans nos startups (que ce soit en levées de fonds ou en acquisitions).

Face à la problématique de la pénurie de talents, les entreprises ne doivent-elles pas faire grandir leurs salariés, mieux former, les accompagner dans la mutation de leur métier ?

Je pense qu’il faut déjà que de nouveaux établissements de formation spécialisés, comme HETIC, l’école 42 ou Epitech, voient le jour afin que la France puisse combler son déficit sur certains métiers du numérique. Exemple : on forme encore très peu aux métiers commerciaux pour d’autres perspectives que d’aller travailler dans un cabinet du Big4. Il y a encore trop peu de formations sur la réalité des métiers du product management ou product design. J’en veux pour preuve l’émergence de structure para éducative pour ces métiers : Humind School pour la vente en Tech, Thiga qui forme des PM depuis 2014, etc. Aujourd’hui métier de la tech ce n’est pas être développeur, c’est envisager une nouvelle façon de faire du marketing, de la vente, de la comm, du produit, voire de la finance pour correspondre aux spécificités d’un ecosystème.

Ensuite vient effectivement l’implication des entreprises pour former leurs salariés qui ont un besoin de faire évoluer leurs compétences.

Les modes de travail flexibles sont-ils aujourd’hui un enjeu majeur dans le recrutement ?

Absolument ! La COVID a eu un impact énorme sur les nouvelles aspirations des salariés. Cette période de confinement et de télétravail à long terme a naturellement généré de nouveaux questionnements sur la façon de vivre, tant d’un point de vue personnel que professionnel. Si le salaire a été pendant très longtemps un des critères majeurs, il n’est désormais plus aussi prépondérant pour les salariés.
En effet, une meilleure adéquation entre vie professionnelle et personnelle ainsi qu’une demande de plus value personnelle dans les missions proposées rejoignent aujourd’hui le critère du salaire. L’attractivité des entreprises se base maintenant sur ces nouveaux critères.

Les meilleurs talents attendent-ils de plus en plus les entreprises sur la culture des idées, la diversité au sein du management et la modernité dans les valeurs et la culture ?

En plus de la flexibilité qui, à mon sens, doit s’inscrire dans une véritable culture d’entreprise, le management est un autre point très important. Il est nécessaire d’avoir des managers expérimentés et agiles, flexibles eux-mêmes, pour diriger des équipes dans un contexte remote. Il faut des managers qui comprennent la situation de travail à distance, ne font pas de microgestion, et qui sont capables d’ouvrir la voie d’une manière très simple et claire afin d’instaurer un climat de confiance au sein de leurs équipes.

La culture d’entreprise est essentielle pour maintenir une cohésion. Pour s’assurer que tout se passe bien pour les collaborateurs, il est important d’investir dans des outils qui permettent de travailler de manière asynchrone et de veiller à ce que les communications soient regroupées dans un même espace, disponibles à tout moment et facilement consultables.

L’engagement des salariés est aussi un élément à intégrer dans la culture d’entreprise. En effet, certains collaborateurs qui travaillent à distance peuvent se sentir désengagés, par exemple s’ils travaillent dans des fuseaux horaires différents de ceux de leur responsable ou des autres membres de l’équipe. Il est donc important de veiller à leur offrir un espace virtuel pour partager des informations.

Quid des valeurs RSE en matière de marque employeur ? (égalité F/H, inclusion, sustainability…)

Les valeurs RSE d’une entreprise font partie intégrante de la culture d’une entreprise.

La quête de sens au quotidien est devenue un facteur important de décision à l’heure de choisir un emploi et une société. La RSE répond donc à ça.

Maintenant il faut envisager le sens au-delà de ce que propose déjà la simple définition de la RSE. Il y a l’environnement, le sociétal, la diversité mais il y a beaucoup de nuances au sein de ces notions. Prenons le sociétal, on peut y ranger des sujets comme l’égalité des chances, l’accès à l’éducation, l’accès au marché du travail, l’accès simplement à l’information.

Or, il se peut que vous pensiez que votre produit ou business ne réponde pas à ces sujets. C’est sûrement vrai d’ailleurs. Intrinsèquement, un CRM ne répond pas à une problématique d’inclusion (par exemple). Toutefois, il est intéressant de piocher dans ces notions plus haut comme des outils et se poser la question de a) qu’est ce qui me parle en tant que fondateur de par mon vécu, et b) comment mes équipes peuvent y contribuer.

Dans le cadre de Livestorm, c’est assez évident que l’accès à l’information est un sujet (cf la Covid), l’accès à l’éducation aussi (puisque nous travaillons avec des universités), ainsi que l’environnement (un call plutôt qu’un voyage en 737). Mais notre ADN remote-first pose aussi la question de l’inclusion et de la différence. Travailler avec quelqu’un à 3 000 km avec une culture et un point de vue très différents du nôtre est un sujet d’ouverture sur le monde.

Un autre sujet qui nous tient à cœur et sur lequel on est pour le coup mauvais élève, ou en tout cas pas aussi bons qu’on aimerait : notre important besoin de recrutement cette année nous a amené à constater la difficulté de recruter des profils féminins dans notre domaine.
85% des start-ups fondées françaises créées ces dernières années sont exclusivement constituées d’hommes. Seulement 10% des start-ups françaises qui lèvent des fonds sont constituées d’équipes mixtes.

Ce constat se confirme d’ailleurs chez Livestorm : 12% des candidatures déposées chez Livestorm sont des femmes pour un poste dans la tech, alors que la parité est respectée sur les autres types de postes. Nous avons d’ailleurs réalisé une étude pour comprendre les raisons de ce constat. Elle révèle un véritable problème lié à une fausse perception des métiers de ce secteur. Pourtant, la flexibilité et les salaires sont deux motifs attractifs particulièrement reconnus et privilégiés par les femmes.

Selon moi, ce problème de diversité contribue au problème de la pénurie des talents.