Yasser Elabd, ancien directeur pour les marchés émergents de Microsoft, a publié le 25 mars un témoignage sur la plateforme Lioness, spécialisée dans la diffusion de lanceurs d’alertes, pour dénoncer la corruption à laquelle se livrerait son ancienne entreprise. Le lendemain Microsoft a affirmé avoir déjà enquêté sur les accusations de leur ex-employé.

Microsoft aurait poussé Yasser Elabd vers la sortie

Entré chez Microsoft en 1998, les événements ont commencé à mal tourné pour Yasser Elabd en 2016. Cette année-là il explique avoir signalé un versement de 40 000 dollars en Afrique. La transaction est annulée, mais il est convoqué par l’un de ses responsables. Ce dernier aurait tenu des propos pour le moins équivoques, « Je ne veux pas que tu sois un bloqueur. Si l’une des filiales au Moyen-Orient ou en Afrique fait quelque chose, vous devez tourner la tête et laisser les choses en l’état. Si quelque chose arrive, ce sont elles qui en paieront le prix, pas vous ».

Par la suite, Yasser Elabd affirme avoir été mis de côté de certains marchés. Il a rapporté par mail certains agissements de sa direction directement à Satya Nadella, PDG de Microsoft, sans succès. En 2018, l’entreprise lui a imposé un plan d’amélioration des performances qu’il rejette. Il est licencié en août de la même année.

Yasser Elabd estime avoir été poussé vers la sortie pour avoir dénoncé une pratique généralisée des pots-de-vin en Afrique et au Moyen-Orient. Auprès de The Verge, il estime que 200 millions de dollars ont été utilisés à des fins de corruptions, en majorité au Ghana, Nigeria, Zimbabwe, Qatar, et Arabie saoudite. Le Forum économique mondial a évalué que 1 000 milliards de dollars disparaissaient chaque année en pots-de-vin dans le monde.

Une corruption généralisée

Après son licenciement Yasser Elabd dit avoir continué à chroniquer les affaires de corruption au sein de l’entreprise, notamment via d’anciens collègues et des audits internes. De multiples demandes de fonds pour investissement suspectent en Afrique, 13 millions de dollars remis à un sous-traitant du ministère de l’intérieur saoudien jamais arrivés à destination, 9,5 millions de dollars annuels payés par le ministère de l’éducation du Qatar pour des licences Offices et Windows jamais installées puisque les ordinateurs n’existaient pas…

Cet argent était soit utilisé pour s’assurer des marchés locaux, en rétribuant des dirigeants, soit des accords fictifs pour s’enrichir sur fonds publics. Sous-traitant, politiciens locaux et même employés de Microsoft auraient profité de ces largesses. Yasser Elabd juge que la moitié des vendeurs et managers ont participé à des affaires louches dans les régions où il a travaillé.

Si certains se sont bel et bien fait virer par Microsoft et des paiements ont été bloqués, les dirigeants de l’entreprise auraient sciemment fermé les yeux sur la généralisation de ces pratiques, accuse Yasser Elabd. Il s’est scandalisé auprès que « Tous les dirigeants en sont conscients, et ils promeuvent les mauvaises personnes. Si vous faites ce qu’il faut, ils ne vous promouvront pas ».

La SEC a classé l’affaire tirée des révélations de Yasser Elabd

Yasser Elabd a déballé ces affaires à la Securities and Exchange Commission (SEC) en juin 2019. Aux États-Unis le Foreign Corrupt Practices Act interdit à des entreprises ou citoyens américains n’avait pas le droit de corrompre des gouvernements étrangers. La SEC a informé l’ancien employé que l’affaire allait être classée début mars 2022, par manque de moyen pour enquêter. La SEC privilégie les cas récurrents de corruptions où les entreprises ignorent sciemment les alertes qui lui sont transmises. Une décision qui a motivé la publication des affaires dont il a eu connaissance.

Becky Lenaburg, vice-présidente de Microsoft et conseillère générale adjointe pour la conformité et l’éthique, a réagi à ces accusations le lendemain de la publication du témoignage, le samedi 26 mars. Elle a écrit aux médias américains que Microsoft s’engage « à faire des affaires de manière responsable et nous encourageons toujours les gens à signaler tout ce qu’ils voient qui pourrait violer la loi, nos politiques ou nos normes éthiques ».

La cadre dirigeante affirme également « Nous pensons avoir déjà enquêté sur ces allégations, qui datent de plusieurs années, et y avoir répondu. Nous avons coopéré avec les agences gouvernementales pour résoudre toutes les préoccupations ». Il se trouve, en effet, que Microsoft a déjà été épinglé par la SEC et le département de la Justice américain pour des affaires de corruption.

En 2019, l’entreprise a réglé 25 millions de dollars aux autorités américaines dans deux affaires distinctes. Brad Smith, président de l’entreprise avait, à l’époque, dénoncé dans un courrier au salarié un comportement « inacceptable ». Il avait annoncé que des mesures seraient prises pour signaler plus efficacement les mauvaises pratiques. Il reste peut-être encore quelques efforts à faire.