Dans la soirée du 24 mars, un peu avant 23h, l’Europe a fait savoir qu’elle avait trouvé un accord provisoire sur l’encadrement des marchés numériques à travers le Digital Markets Act (DMA). « Cet accord inaugure une nouvelle ère en matière de règlementation des technologies dans le monde, » explique Andreas Schwab, rapporteur du texte. S’il doit encore être adopté par le Parlement et le Conseil, il s’agira d’une ‘simple’ dernière petite marche pour une régulation historique adoptée hier soir par le trilogue (Parlement, Conseil, et Commission).

Gestation express pour le Digital Markets Act

Historique, d’abord parce que ses contours ont été tracés et validés en seulement 15 mois, quand l’Europe avait mis 4 ans pour adopter le RGPD. Le 15 décembre 2020, Margrethe Vestager et Thierry Breton avaient conjointement présenté le Digital Markets Act. Ils avaient alors émis le souhait de le voir adopté « aussitôt que possible ». Nous estimions alors que le processus prendrait 2 ans tant le DMA a des répercussions sur les marchés numériques… Le voilà provisoirement finalisé avec 10 mois d’avance, sans pour autant sortir d’un accord prématuré.

Historique, car le Digital Markets Act vient réguler un monde numérique inégal. L’Internet que nous utilisons aujourd’hui s’est développé sans cadre ni règles de bonnes conduites. Il aura fallu de nombreuses années pour que l’Europe protège les données personnelles de ses résidents, plus encore pour permettre à ses entreprises de prospérer justement. « Aujourd’hui, les règles changent pour un meilleur partage de la valeur et plus d’innovation ! » s’est enthousiasmé hier soir Cédric O, Secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques.


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Qu’impose le DMA ?

Le DMA va s’appliquer à des sociétés considérées dans le texte comme des « gatekeepers » ou « contrôleurs d’accès ».

Plusieurs critères permettent de les identifier, et ils sont d’abord d’ordre financier. Ils doivent avoir un chiffre d’affaires annuel de 7,5 milliards d’euros, ou une capitalisation boursière d’au moins 75 milliards d’euros. Un point qui a justement été mis à jour, puisqu’il était question de 6,5 milliards d’euros de CA et 65 milliards d’euros de capitalisation. Au-delà des aspects financiers, ils doivent compter au moins 45 millions d’utilisateurs par mois dans l’Union Européenne, et 10 000 utilisateurs professionnels par an.

À ces contrôleurs d’accès, l’Europe va imposer plus d’ouvertures. Ainsi, des services comme Messenger ou iMessage devront permettre une interopérabilité avec d’autres applications de messageries. Concernant les réseaux sociaux et l’adoption d’une approche similaire, le Parlement européen préfère prendre plus de temps, et annonce que « de telles dispositions seront évaluées à l’avenir ».

Autre point important, cette dernière version du Digital Markets Act intègre une restriction sur l’association de données personnelles provenant de plusieurs sources à des fins de ciblage publicitaire. Cette pratique sera interdite sans le consentement explicite d’un internaute. Ce point est notamment décliné dans le Digital Services Act, « nous avons trouvé un accord pour traiter ces points dans le DSA, » a rappelé Cédric O en conférence de presse.

D’autres éléments anticoncurrentiels importants vont notamment encadrer la pratique d’autoréférencement (Google privilégiant ses propres services dans les résultats de recherche), donner le libre choix du navigateur, du moteur de recherche, et de l’assistant virtuel sur tout appareil, limiter le regroupement de services, empêcher la préinstallation de certaines applications, …

Côté sanctions, les contrôleurs d’accès ne se pliant par aux règles du Digital Markets Act s’exposent à des amendes allant jusqu’à 10% de leur chiffre d’affaires annuel mondial. Cette sanction pourra aller jusqu’à 20% en cas de récidives.

« Le Parlement européen a permis de garantir que la législation produise immédiatement des résultats tangibles : les consommateurs auront le choix d’utiliser les principaux services des grandes entreprises technologiques tels que les moteurs de recherche ou les messageries, et ce, sans perdre le contrôle sur les données personnelles. En outre, la législation évite toute forme de réglementation excessive pour les petites entreprises. Les développeurs d’applications bénéficieront de nouvelles opportunités, les PME auront un meilleur accès aux données pertinentes pour les entreprises et le marché de la publicité en ligne deviendra plus équitable, » développe Andreas Schwab dans un communiqué.

À présent, au Parlement et au Conseil européen d’adopter le Digital Markets Act. Une étape dont les résultats seront influencés par des campagnes de lobbying déjà en place, auxquelles Thierry Breton a fait référence comme « vents contraires ». Néanmoins, le DMA semble déjà faire l’unanimité tant ses règles sont fondamentales pour le développement du numérique en Europe.