11 heures du soir, intérieur nuit : à la lumière de votre smartphone, vous parcourez les résultats Google de plusieurs sites médicaux, cherchant à savoir si la douleur que vous ressentez est le signe d’une grippe ou d’une tumeur au cerveau. Vous n’êtes pas seuls.

Selon l’étude Digital Report 2022 menée par l’agence internationale We Are Social et la plateforme Hootsuite, 26% des internautes, tous âges et pays confondus, chercheraient leurs symptômes en ligne chaque semaine. Un chiffre qui monte à un peu plus de 30% chez les femmes entre 25 et 44 ans.

Pourcentage d'internautes qui recherchent leurs symptômes en ligne chaque semaine

Pourcentage d’internautes qui recherchent leurs symptômes en ligne chaque semaine. Source : Digital Report / We Are Social.

Si la France se situe assez loin dans le classement des pays qui cherchent le plus leurs symptômes en ligne chaque semaine (à peine 14% à l’échelle du pays), le phénomène est régulièrement observé par les professionnels de santé. « En 30 ans, j’ai vu passer la société du Larousse à Internet. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il y a plus de facilité » indique le Dr Jean-Christophe Nogrette, médecin généraliste et secrétaire général adjoint du Syndicat des médecins généralistes. Selon lui, ce qui est récent, c’est le phénomène d’escalade permis par internet : un mal de tête qui se transforme en tumeur en quelques clics. En 2019, la start-up 360 Medics, plate-forme médicale collaborative à destination des professionnels de santé, a mené un sondage auprès de 300 soignants, montrant que 83% d’entre eux ont déjà reçu en consultation des patients ayant fait eux-mêmes leur diagnostic.

Pour certains patients déjà sensibles à l’hypocondrie, les recherches en ligne virent à la cybercondrie, terme valise qui pointe la tendance à rechercher toute information sur un symptôme, jusqu’à se laisser emporter par une vague d’informations qui pointeraient l’existence supposée de maladies imaginaires graves. « En cabinet, les gens viennent nous voir avec ce que j’appelle “Mon ami Google”, qui est en fait l’ami de personne. Avec l’auto-diagnostic, les patients achètent parfois des médicaments et font n’importe quoi, sans diagnostic apposé par un professionnel » déplore Corinne Le Sauder, médecin généraliste et présidente de la Fédération des médecins de France. Un phénomène qui touche encore davantage les médecines spécialisées, de la pédiatrie à la gynécologie, en passant par la dermatologie. Selon Corinne Le Sauder, cette cybercondrie n’est que l’illustration de l’anxiété généralisée de notre société.

Une hypocondrie facilitée par un désir d’immédiateté

À l’heure d’internet, rechercher et trouver une information relève d’un jeu d’enfant. Un désir d’immédiateté qui dessert la médecine, pour Corinne Le Sauder : « les gens veulent savoir tout très vite, et veulent se projeter dans l’avenir. Pour les hypocondriaques, c’est plus simple de faire une recherche internet que d’appeler un médecin ». D’autant que les outils technologiques nous ont rendus plus autonomes face à un grand nombre de problématiques, privilégiant le gain de temps et la prolifération d’informations.

La récente crise sanitaire n’a pas amélioré la situation : Corinne Le Sauder parle même d’une situation « déplorable », où « tout le monde s’est pensé expert ». « Le Covid a majoré notre envie d’aller voir nos symptômes. Les gens ont toujours peur, il y a eu les problèmes des masques, puis des vaccins… » énumère-t-elle. Jean-Christophe Nogrette a lui vu l’explosion de recherches d’informations scientifiques sur des sujets très précis, comme la vaccination. « Certaines personnes n’ont pas le bagage scientifique pour lire toute cette information » ajoute-t-il.

Un autre facteur de nos hypocondries numériques se situe dans le développement et la démocratisation de la télémédecine : selon le rapport de We Are Social et Hootsuite, Doctolib est le 20ème site web le plus visité en France en 2021, et la 5ème application la plus téléchargée en 2021, bien devant Snapchat ou Facebook. Les rendez-vous en visio peuvent être utiles pour de petits bobos, mais pour Corinne Le Sauder, cela met face les patients à des soignants « qui ne connaissent pas les traitements ni les antécédents, qui ne peuvent pas faire d’examen ».

Aperçu des bureaux de Doctolib.

Photographie : Doctolib

L’émergence de la télémédecine fait écho à une crise du système de santé en France, selon Corinne Le Sauder, qui dénonce un « transfert de compétences » de professionnels de santé débordés et de moins en moins nombreux. « Les gens pensent qu’avec internet, ils sont des petits docteurs. On le voit avec certaines médecines alternatives. Tout le monde peut tout savoir, mû par la peur » analyse-t-elle. En 2020, dans une étude publiée dans le Medical journal of Australia, des chercheurs de l’Edith Cowan University en Australie se sont penchés sur les diagnostics proposés en ligne, sur différents sites médicaux : seulement 36% d’entre eux s’avéraient être justes. Des résultats qui montrent l’importance de la relation entre patients et médecins. « Cette confiance est indispensable, c’est le rôle du médecin de rassurer » insiste Corinne Le Sauder.

Monitorer sa santé, mais à quel prix ?

L’émergence des appareils connectés, des montres aux balances, est le signe de cet engouement pour la monitorisation de notre santé. Toujours selon le Digital Report 2022 de We Are Social, plus de 20% des français portent une montre ou un bracelet connecté. Pour Vincent Vercamer, responsable des affaires publiques et de l’accès au marché, chef de projet “Mon espace Santé” et de Lise Carrillo, UX Researcher chez Withings, « la pression grandissante de la société pour avoir un mode de vie sain peut expliquer l’engouement du grand public à s’équiper de ces appareils. Aujourd’hui on ne peut plus faire semblant de ne pas connaître les comportements à risques et leurs conséquences ». S’équiper d’appareils aidant à comprendre sa santé permettrait aux utilisateurs d’être dans une démarche vers un mode de vie plus sain.

« L’utilisateur est autonome, il peut avoir des résultats en temps réel sans systématiquement prendre un rendez-vous avec un médecin ou un laboratoire pour obtenir des informations objectives sur son état de santé grâce à l’utilisation de ces dispositifs » indiquent Vincent Vercamer et Lise Carrillo. Cependant, pour eux, les objets connectés ne sont que le reflet d’angoisses préexistantes chez certains utilisateurs. « Pour des personnalités plus anxieuses, les objets connectés peuvent participer à une tendance, déjà existante, à surveiller de très près leur santé. C’est pourquoi chez Withings nous sommes très attentifs à ne pas favoriser ce type de comportement en travaillant sur le discours qui accompagne la restitution des mesures » indiquent-ils.

La multiplication des sites médicaux plus ou moins crédibles rend complexe la recherche d’informations fiables quant à notre santé. Ainsi, chercher un symptôme peut permettre d’aller du tout au rien. Corinne Le Sauder recommande ainsi que ces sites précisent qu’ils ne sont pas médecins, et de davantage se fier à la hiérarchisation des symptômes. Dans cette optique, l’équipe de la marque d’objets connectés de santé Withings assure : « Ce n’est pas tant la quantité de données qui compte le plus, mais la façon dont elles sont reçues par l’utilisateur ». Vincent Vercamer et Lise Carrillo expliquent ainsi que la présentation des données de leurs appareils est essentielle, pour ne pas noyer l’utilisateur sous des données brutes mais de « lui donner des outils compréhensibles et à partir desquels il peut prendre des décisions bénéfiques pour sa santé ».

Le savoir… c’est le pouvoir

Pourtant, chercher ses symptômes sur internet est-il si mauvais ? Selon une étude publiée en mars 2021 dans la revue médicale JAMA Network et menée par des chercheurs de l’Université de Harvard, chercher ses symptômes en ligne ne serait pas si dangereux… voire utile. L’étude montre ainsi une amélioration (faible) dans l’exactitude du diagnostic après avoir recherché ses symptômes sur internet, en passant de 49,8% avant à 54% après. Pour des personnes ayant eu de mauvaises expériences avec des soignants, chercher ses symptômes en ligne permettrait de se rassurer et d’anticiper les rendez-vous.

D’autant que les différentes données de santé peuvent permettre de faire corrélations, et de pousser les patients à aller consulter un médecin. « Le numérique fournit des moyens inédits d’accès à l’information, à des outils et à des professionnels de santé, ce qui permet à chacun d’être beaucoup plus actif dans la gestion de sa santé, et pour de nombreux utilisateurs cela se traduit par un sentiment de sérénité, de confiance et d’évolution vers un meilleur mode de vie » développe l’équipe de Withings. L’entreprise d’objets connectés prend ainsi l’exemple du sommeil, une donnée difficile à analyser, et pourtant l’une des plus fréquemment consultée : selon Withings, un utilisateur sur deux va consulter ses données de sommeil plus d’une fois par semaine.

Pour Jean-Christophe Nogrette, ce désir de comprendre ses symptômes est parfaitement légitime. « Soit ils font une analyse correcte et le diagnostic est vraisemblable, soit ils partent dans élucubrations, et moi je dois les ramener sur terre » explique-t-il, avant de rappeler que c’est un phénomène « relativement limité » chez ses patients. « Plus les gens s’approprient un sujet, même mal, plus ils progressent en connaissance générale » ajoute le médecin. Progresser la connaissance générale des soignés faciliterait son travail d’explication de certaines maladies. « Le numérique présente aussi un revers de médaille, qui va bien au-delà du domaine de la santé, en donnant de la visibilité quotidienne sur des éléments qui, avant, étaient gérés par des professionnels » rappellent Vincent Vercamer et Lise Carrillo de Withings. Une manière de mieux se connaître… si nos recherches sont suivies de rendez-vous avec des professionnels de la santé.