Suite à une décision de la Cour suprême, Telegram a été suspendue au Brésil pendant deux jours afin de lutter contre la désinformation. Selon le dirigeant du service de messagerie, cette situation rocambolesque s’est produite car ce dernier n’a pas vérifié ses e-mails correctement… Explications.

Une décision directement contre le président

Ce vendredi 18 mars, le juge Alexandre de Moraes a pris la décision de bloquer Telegram au Brésil car l’application n’a pas donné suite à des ordres qu’il lui avait fait parvenir. Il lui avait en effet été demandé de supprimer les comptes d’un partisan éminent du président Jair Bolsonaro, celui-ci faisant l’objet d’une enquête pour avoir diffusé des informations erronées et menacé des juges de la Cour suprême. L’autorité brésilienne de régulation des télécommunications, Anatel, a été sommée de faire appliquer la suspension du service dans les 24 heures, tandis que cinq jours ont été donnés à Apple et Google pour retirer Telegram de leurs magasins d’applications respectifs.

Selon la Cour suprême, toutes les entreprises ne se mettant pas en conformité dans ce délai risquent de se voir infliger une amende de 20 000 dollars par jour. En outre, les personnes prises en flagrant délit d’utilisation d’un VPN ou d’un autre moyen pour accéder à Telegram alors que celui-ci a été bloqué écoperont également une amende de 20 000 dollars.

Alexandre de Moraes est un fervent opposant à Jair Bolsonaro, il supervise notamment plusieurs enquêtes à l’encontre du président et émet régulièrement des ordonnances judiciaires le visant, ainsi que ses alliés et sa stratégie politique. De son côté, Bolsonaro a déclaré par le passé qu’il ne se plierait pas aux décisions du juge. Telegram est une application de choix pour l’extrême droite brésilienne, le président Bolsonaro a d’ailleurs encouragé ses supporteurs à télécharger l’application, qui a une politique bien moins stricte sur le contenu qui est partagé que d’autres messageries.

Selon le juge, bannir Telegram au Brésil permettra de lutter contre la désinformation alors que les élections présidentielles approchent à grands pas. Les Brésiliens retourneront aux urnes en octobre prochain.

Le drapeau du Brésil.

Alors que les élections se tiendront en octobre prochain au Brésil, la Cour suprême veut tout faire pour lutter contre la désinformation. Photographie : Matheus Câmara da Silva / Unsplash

Telegram, app privilégiée par l’extrême droite brésilienne

Comme l’explique le New York Times, la popularité de Telegram parmi la droite brésilienne en a fait l’une des applis de messagerie à la croissance la plus rapide du pays. Depuis 2014, Telegram a été téléchargée près de 85 millions de fois au Brésil, dont 29 % de ces installations l’an dernier selon Sensor Tower, une entreprise de données sur les applications. En comparaison, WhatsApp, l’app dominante au Brésil, a été téléchargée 677 millions de fois dans le pays. Jair Bolsonaro possède 1,1 million d’abonnés sur le service de messagerie. Pour rappel, WhatsApp était en 2019 une véritable arme de désinformation au Brésil, elle a depuis adopté de nombreuses mesures pour lutter contre la propagation de fausses informations.

Les partisans du président brésilien ont rapidement réagi. Carla Zambelli, membre du Congrès et supportrice de longue date du dirigeant, a déclaré que Telegram était « le seul outil actuel dans lequel nous avons la liberté d’expression », et a qualifié le juge Moraes de « tyran ». De son côté, Bolsonaro a qualifié cette décision d’« inadmissible », tandis qu’Anderson Torres, le ministre de la justice et de la sécurité publique, a affirmé que cette « décision monocratique » porte préjudice à des millions de Brésiliens.

Telegram s’excuse et obéit

Finalement, le ban n’a duré que deux jours. Dans une déclaration publiée peu après la décision du juge, le PDG de Telegram, Pavel Durov, explique qu’il s’agit en fait d’un qui pro quo :

« Il semble que nous ayons eu un problème avec des courriels circulant entre nos adresses d’entreprise telegram.org et la Cour suprême du Brésil. À la suite de ce problème de communication, la Cour a décidé d’interdire Telegram pour manque de réactivité.

Au nom de notre équipe, je présente mes excuses à la Cour suprême du Brésil pour notre négligence. Nous aurions certainement pu faire un meilleur travail.

Nous nous sommes conformés à une décision de justice antérieure, fin février, et avons répondu en suggérant d’envoyer les futures demandes de retrait à une adresse électronique dédiée. Malheureusement, notre réponse a dû être perdue, car la Cour a utilisé l’ancienne adresse électronique générale pour tenter de nous joindre. Par conséquent, nous avons manqué la décision qu’elle a prise début mars et qui contenait une demande de retrait. Heureusement, nous l’avons retrouvée et traitée, et avons remis un nouveau rapport à la Cour aujourd’hui ».

Ainsi, Telegram a pris différentes mesures afin de satisfaire la Cour brésilienne. L’application a en effet supprimé les informations classifiées partagées par le compte du président et banni les comptes du partisan incriminé par le juge Moraes. Le service a en outre annoncé qu’il commencerait à promouvoir les informations vérifiées au Brésil et à marquer les faux messages comme inexacts, tout en demandant à ses employés de surveiller les 100 chaînes les plus populaires du pays, qui représentent 95 % des vues des messages publics. Résultat, l’interdiction de Telegram a finalement été levée ce dimanche 20 mars par Alexandre de Moraes. Au final, elle n’est pas entrée en vigueur puisqu’Apple et Google avaient cinq jours pour l’appliquer.

La décision du juge de bannir Telegram peut néanmoins soulever des questions dans une démocratie comme le Brésil. Habituellement, ce sont des pays plus totalitaires à l’instar de la Chine ou la Russie, qui a récemment bloqué Twitter et Facebook, qui ont recours à ce genre de pratiques.