Depuis sa création en 2017, la startup Cala se développe très rapidement. Il faut dire que son concept semble unique en France : cuisiner des pâtes à l’aide d’un robot. Plus précisément, « on développe des restaurants équipés de cuisines autonomes », explique son dirigeant Ylan Richard. S’il y a bien des employés pour charger les aliments dans le robot, ce dernier réalise toute la préparation seul, « la machine a remplacé toutes les tâches extrêmement répétitives », estime le chef d’entreprise. Cette innovation a permis à l’entreprise de réaliser deux levées de fonds depuis 2019, pour récolter près de 7 millions d’euros. Après un premier restaurant ouvert en octobre 2020, Cala espère désormais ouvrir de nouveaux points de restaurations courant 2022. Preuve s’il en faut de la bonne idée de ce concept, le timing malheureux de l’ouverture de son premier restaurant, une semaine avant le reconfinement, n’a en rien ralenti son développement.

Son succès, la jeune société le doit aussi à ses produits de qualité, frais et locaux dès que cela est possible. Une éthique venant directement du constat fait par ses fondateurs, alors qu’ils étaient encore étudiants. « On commençait à prendre conscience de l’impact de notre alimentation sur notre vie, que trouver des choses de bonne qualité pour pas trop cher, c’était assez inaccessible », commence son PDG. « On s’est rendu compte qu’une bonne partie des coûts était due à beaucoup d’étapes intermédiaires, qui passaient des ingrédients au repas prêt dans nos mains. On s’est rendu compte, nous, qu’une bonne partie de ces coûts-là, on pouvait largement les réduire avec une approche d’automatisation et de robotique, qui nous permettrait de vendre des repas de très bonne qualité pour beaucoup moins cher », ajoute-t-il. Voilà ce qui a motivé la création de Cala.

Siècle Digital : Alors tout d’abord, Cala, d’où vous est venue cette idée de lancer un restaurant de pâtes où tout est fait par un robot ?

Ylan Richard : En gros, tout a eu lieu il y a quatre ans, quatre ans et demi. Julien, un des cofondateurs de Cala, et moi, on était tous les deux étudiants à ce moment-là et on s’est confronté au problème assez simple, on commençait à prendre conscience de l’impact de notre alimentation sur notre vie, que trouver des choses de bonne qualité pour pas trop cher, c’était assez inaccessible. C’était soit trop cher, soit trop compliqué, soit il fallait prendre le temps de le faire chez soi. Et on s’est heurté à une constatation assez simple qui était : quand je prépare de la nourriture chez moi, si je regarde simplement le coût des ingrédients, pour un repas de bonne qualité, ça me coûte pas si cher que ça. C’est purement les ingrédients. Pourtant, il semblerait que dans les options de restauration qu’on avait autour de nous, autour de nos écoles, on trouvait pas ces options-là à des prix abordables. Et en fait, en creusant un peu dans les économies de la restauration, de l’agroalimentaire en général, on s’est rendu compte qu’une bonne partie des coûts, qui augmentaient beaucoup le prix de vente d’un repas, était due à beaucoup d’étapes intermédiaires, qui passaient des ingrédients, disons bruts, au repas prêt dans nos mains.

Et on s’est rendu compte, nous, avec notre background de robotique et d’automatisation, qu’une bonne partie de ces coûts-là, on pouvait largement les réduire avec une approche d’automatisation et de robotique, et qui nous permettrait de vendre des repas de très bonne qualité pour beaucoup moins cher. Ça nous paraissait assez pertinent dans l’air du temps, que de plus en plus de gens avaient envie de manger des repas de bonne qualité pour pas cher et que les options devaient arriver à exister à un moment ou un autre.

Ylan Richard, PDG de Cala

Ylan Richard est l’un des cofondateurs de Cala et son actuel PDG. Cette startup a inventé un robot qui prépare, dans un restaurant à Paris, des plats de pâtes de A à Z. Photographie : Cala.

SD : Donc vous n’aviez rien à voir, à première vue, avec le monde de la restauration avant ça ?

YR : Pas du tout, non. Julien et moi, on a fait des études d’ingénieur assez classiques. On n’a pas terminé, mais en tout cas, on était dans un cursus ingénieur. Nicolas, le troisième associé, pareil, pas d’études d’ingénieur, il était plutôt du côté graphique, marketing et opérationnel. Donc aucun de nous trois n’était vraiment expérimenté dans la restauration. On était tous les trois assez foody. On essayait d’aller au restaurant de temps en temps. On était assez fan de se faire des choses un peu cool de temps en temps. Mais c’est vrai que c’était pas du tout un background qu’on avait, en tout cas pas du côté professionnel.

SD : Et quand vous avez commencé à envisager cette idée d’un restaurant sans étape intermédiaire, avec un robot, quand vous avez commencé à en parler autour de vous, quel était le regard des autres quand vous en parliez de cette idée ?

YR : La plupart des gens étaient assez sceptiques. La première, c’est parce qu’on était très, très jeune. On l’est toujours, mais on était encore plus jeune à l’époque. Julien avait 20 ans, j’en avais 19. Donc les gens disaient : « Oui, très bien, va faire ton truc ». De l’autre côté, il y a des gens qui étaient sceptiques plus généralement du concept, en disant : « Oui, est-ce que les gens ont vraiment envie de manger quelque chose préparé par un robot, est-ce que la qualité va être là ? Est-ce que ça va être bon ? ». Nous, c’est les points sur lesquels on comprenait les réticences. Mais on n’avait aucun doute.

C’est-à-dire que dans notre compréhension du côté technologique, on savait qu’on pourrait calquer exactement le niveau de qualité que n’importe quel restaurant pourrait faire avec notre approche et que du coup, la qualité du produit final était uniquement une question de volonté. Est-ce qu’on voulait vendre quelque chose de très bonne qualité ou pas ? Et comme c’était une conviction dès le début, c’était assez simple de se dire qu’on y arriverait. Donc ça, c’était à une époque où c’était encore très théorique. Donc les gens étaient un peu sceptiques, mais ils sont en mode « allez-y, on vous encourage à essayer ».

SD : Donc pas beaucoup de barrières par rapport à d’autres personnes ?

YR : Non, pas des masses. On a eu un petit peu de feedback sur les sujets « Impacts sur les emplois de ce type d’automatisation », qui est une question assez complexe. Mais on a eu une ou deux remarques dans cet ordre-là, mais c’était vraiment… Je pense que les gens ont assez rapidement compris. Je pense que beaucoup de gens, les gens qui font de la restauration, ils comprennent que c’est des métiers sur lesquels personne n’arrive à recruter. Et que, du coup, c’est pas comme si on était vraiment là à déplacer des emplois. Au contraire, on allait combler des emplois qui n’existent pas actuellement, parce que de moins en moins de gens ont envie de travailler dans ces domaines-là. Parce que c’est des métiers qui sont très durs, parfois un peu dangereux.

SD : Vous avez un peu anticipé une des prochaines questions, justement sur un peu l’automatisation. On entend souvent que les machines remplacent dans trop de métiers les humains, que les machines prennent le travail des humains, que ça participe au chômage de masse qu’on connaît depuis quelques années. Vous, qu’est-ce que vous pensez de ce genre de réflexion ?

YR : Je comprends le concept en théorie. J’ai jamais vraiment cru à ce concept-là. J’ai plus le chiffre exact, mais je crois que 70 ou 80 pour cent des métiers que les gens font aujourd’hui existaient pas il y a 30 ans. Cet argument de « l’automatisation va remplacer le travail de tout le monde » a été fait au fil des décennies en continu, et c’est jamais vraiment arrivé. Parce qu’en fait, au fur à mesure que la technologie avance, la productivité de chaque personne devient largement supérieure. Parce qu’à un moment, tu avais quelqu’un qui devait faire des calculs à la main sur papier. Et puis à un moment, on a créé l’ordinateur. Du coup, cette même personne qui faisait le calcul s’est mis à faire des centaines de milliers de calculs. Simplement, notre besoin en calcul a augmenté à peu près proportionnellement. Donc la marche a toujours été : on automatise les métiers les plus simples et les plus répétitifs, et ceux qui apportent assez peu de valeur et surtout ceux qui apportent assez peu d’épanouissement pour les gens qui le font.

Du coup, petit à petit, des nouveaux métiers arrivent. En France, il suffirait de regarder les chiffres, mais il y a des dizaines et des dizaines de branches, notamment dans l’ingénierie, qui recrutent énormément. Du coup, il y a tout un sujet de l’autre côté du cycle, où il faut arriver à former les gens, à mieux former les gens, mieux accompagner les gens dans les transitions quand ils passent d’un emploi à un autre. Mais structurellement, la restauration, c’est pas un métier qui arrive à recruter efficacement. Il y a des centaines et des centaines de milliers de postes à pourvoir. Simplement, c’est des métiers qui sont pas très bien payés, parce que les restaurateurs viennent finalement assez peu d’argent. C’est des métiers qui sont pas très, très désirés, parce que le métier en lui-même est très dur. Et simplement, nous, on vient apporter une solution pour nous, parce que nous, c’est nos propres restaurants. Et on pense que c’est dans cette direction-là que va l’industrie, mais c’est vraiment pas au détriment des employés. Par contre, c’est clairement pour le côté positif des clients.

SD : Pour revenir un peu plus sur le concept en lui-même, comment vous définiriez celui de Cala ?

YR : Cala, ce qu’on fait, c’est quand on développe et on opère des restaurants équipés de cuisines autonomes. La logique est assez simple. On a une technologie, une technologie de robotique, qu’on a développé en interne avec nos équipes d’ingénieurs. L’idée est assez simple. On prend un petit peu toutes les étapes qu’on ferait si on se faisait un plat chez nous. Donc un plat à base de pâtes avec des sauces, différents toppings, différents condiments. On prend tous ces éléments-là, on regarde comment on les fait nous a la main. Ensuite, on développe une petite machine, un petit automate, pour reproduire cette action-là qu’on faisait à la main, avec un robot. On met tout ça dans une grande boîte, on compacte toutes les différentes étapes au même endroit. Ensuite, ces robots-là, on vient les déposer dans des points de vente, en l’occurrence notre premier point de vente à Jussieu, dans le 5ème arrondissement de Paris. On le dépose là-bas et on ouvre un stand, on ouvre un point de vente, où les clients peuvent soit passer commande sur place, soit passer commande via la plateforme de livraison.

Très bientôt, ils pourront aussi passer commande via une application mobile. Du coup, au moment où une commande est reçue, le robot se met à préparer le repas. On a des équipiers sur place qui eux aussi, font de la finition sur les repas. Et ensuite mise en sac et on donne au client son repas avec sa boisson, son dessert en fonction de ce qu’il a commandé.

SD : Et donc, il y a bien malgré tout des employés. La machine ne remplace pas totalement les humains.

YR : Exactement. Et même plus que ça, je dirais que la machine a remplacé toutes les tâches extrêmement répétitives. C’est-à-dire vraiment, sortir des pâtes de l’eau dans tout le long de la journée, c’est pas très, très intéressant. Par contre, la partie un peu plus relationnelle client, pouvoir échanger quelques mots avec les clients à chaque fois pour poser des questions sur ce qui plaît, ce qui plaît moins. Pouvoir pallier aux imprévus. Imaginons il y a une livraison qui n’est pas à temps, comment on réagit ? Qu’est-ce qu’on fait ? Ce genre de choses, c’est cette partie-là du métier de la restauration qui est la plus appréciée. Et la partie purement répétitive, elle l’est beaucoup moins. Du coup, même pour nos équipiers, c’est beaucoup plus intéressant comme travail que bosser dans une cuisine classique. Parce qu’ils sont amenés à faire moins de choses répétitives et plus de choses intéressantes et créatives.

SD : Par rapport à la cible que vous visez, vous y avez déjà un peu répondu, je suppose que c’est les étudiants ? Votre restaurant à Paris est en face d’une fac.

YR : Ouais, c’est ça. Comme je disais tout à l’heure, la genèse du projet est venue d’un moment où nous, on était étudiants et qu’on n’arrivait pas à avoir de la nourriture de bonne qualité. En fait, quand on a un budget assez flexible, c’est possible de trouver des options de bonne qualité. Simplement, ça coûte relativement cher. Et du coup, pour nous, la frange de la population qui a été le plus lésé par ces restaurants qui arrivent à vendre de la nourriture de bonne qualité, c’était la population étudiante, parce que c’est ceux qui ont le moins de budget pour manger. Et du coup, pour nous, c’est ceux qui, entre guillemets, méritent le plus cette qualité. Et en plus de ça, c’est ceux qui, on l’a vu dans les discussions avec différentes personnes, sont le plus réceptifs à ces concepts d’automatisation pour apporter de la qualité dans leurs produits. Et du coup, pour nous, ça faisait simplement sens d’aller vers les étudiants assez naturellement. Et donc, on a ouvert un premier point de vente en face de la fac, un peu en test, en se disant : « Est-ce qu’on a raison, que c’est les étudiants à qui ça va plaire le plus ? ». Le plus, c’est difficile à dire.

En tout cas, le fait est que ça leur plait vraiment beaucoup. Le restaurant fonctionne très, très bien depuis le lancement en pleine pandémie. Et donc là-dessus, on est vraiment très contents. Et les prochains seront aussi en face d’universités ou d’écoles.

SD : Justement, malgré la pandémie, vous avez réussi à ouvrir dans les temps, comme vous aviez prévu ?

YR : On devait ouvrir en avril 2020. Comme tout le monde le sait, c’était un peu compliqué. On a fini par repousser l’ouverture à fin octobre 2020. Donc on a ouvert fin octobre 2020, uniquement livraison. Étant donné que c’était pendant la période où les restaurants à emporter étaient fermés, où c’est très contraint. Du coup, on a décidé simplement de vendre en livraison. Sur les plateformes de livraisons Deliveroo et Uber Eats. Et assez rapidement, on a été propulsés assez haut dans les classements sur ces plateformes-là. Top 1 pour cent des restaurants en termes de notes, en termes d’acquisitions, en termes de commande répétée. Donc là-dessus, on était hyper contents. Et le plus intéressant pour nous à ce stade, c’était que personne ne sait vraiment qu’on avait un robot dans la cuisine. Le robot est très visible quand on rentre dans le restaurant. Littéralement, il est presque devant. Par contre, le fait est qu’en livraison, les gens ne le savaient pas.

Du coup, ça nous a permis de faire une espèce de blind test en se disant : « Est-ce que les gens apprécient la qualité du repas pour ce qu’elle est, indépendamment du fait qu’il y ait un robot qui participe à la préparation ? ». Et ces résultats ont montré qu’en effet, les gens étaient là pour le repas purement et la qualité du produit avait l’air de vraiment plaire. C’était hyper intéressant pour nous de se rendre compte de ça dès le début. Et donc plus récemment, à la rentrée en septembre, on a pu enfin lancer les repas à emporter pour les étudiants. Maintenant que la fac a en partie réouverte. Et pareil, assez rapidement, sur la fac, on est devenu un des restaurants qui fonctionnent le mieux dans la zone auprès des étudiants. Parce que les tarifs sont très abordables, parce que les repas sont très bons, parce que l’équipe est sympa. En tout cas, c’est les retours qu’on a. Du coup, ça a l’air de bien plaire.

SD : En termes de tarifs, justement, est-ce que vous avez une idée du tarif moyen, peut-être, que payent les étudiants ?

YR : Ouais. Le repas est à 6 €. Et la plupart des étudiants prennent le repas à 6 €. Il y a des options où on peut rajouter quelques suppléments, si on en a vraiment envie de se faire plaisir un certain jour. Mais à 6 €, on a déjà un repas qui est très, très cool, avec quasiment que des produits frais, quasiment que des produits sourcés localement, que des produits de très, très bonne qualité. Et ensuite, par dessus, on est sur un peu plus premium, qu’on vend surtout en livraison, parce que la clientèle qu’on a livraison est un peu plus âgée et un peu plus de moyens, et souvent, veulent un truc un peu plus élaboré quand il décide de commander. Mais vraiment, sur les étudiants, le prix de base, c’est 6 € et on vend presque que des repas à 6 € pour les étudiants.

SD : Et tout ce qui est ingrédients, etc., c’est sourcé, c’est pour beaucoup local, j’ai cru comprendre, et frais ?

YR : Ouais, c’est ça. Quasiment tout est frais. En sourcé localement, grosso merdo, on source quasiment tout en France, à l’exception de, pour certains éléments, des choses en Italie, notamment pour les pâtes, qui sont un peu le coeur du repas. On achète des pâtes de très, très bonne qualité en Italie, parce que c’est un point sur lequel l’Italie, ça va, c’est pas trop loin. Du coup, on peut se permettre d’aller chercher un peu plus loin, mais sinon, on a beaucoup de choses qu’on essaie de sourcer en France. Idéalement, on a quelques éléments qu’on essaie de sourcer en région parisienne, carrément, pour vraiment se dire qu’on va au plus proche. Et c’est un travail sur lequel vraiment, continuellement, on s’améliore.

Il y a encore des choses en termes de sourcing sur lesquelles on n’est pas 100 pour cent satisfait. Parce que c’est encore un peu trop loin ou on n’est pas tout à fait satisfait de la qualité. Et du coup, quasiment toutes les semaines, il y a des nouvelles références qui viennent remplacer des anciennes. On teste des nouveaux desserts, des nouveaux plats, des nouvelles boissons. On essaie de beaucoup expérimenter sur ce qui plaît et sur ce qui fonctionne bien, et sur ce qui nous satisfait en termes de qualité.

SD : Et pour en venir maintenant à l’innovation, qui fait la force de votre restaurant, de votre startup : le robot. Vous avez un peu dit comment il fonctionne. Il y a d’ailleurs des vidéos qui sont disponibles sur votre chaîne YouTube pour voir un peu plus précisément et en images comment ça fonctionne. Est-ce que vous utilisez une intelligence artificielle pour ce robot ou uniquement des systèmes d’automatisation ?

YR : Sur l’exécution du repas purement, on n’utilise pas l’intelligence artificielle. C’est uniquement des petits automates. C’est plus proche de ce qu’on pourrait trouver dans certaines industries d’automatisation, de l’automobile, des choses comme ça. L’approche un peu séquencée de se dire on découpe la préparation du repas en plein petites étapes et ensuite, on automatise chaque petite étape indépendamment. Et par contre, on développe des choses avec intelligence artificielle, notamment sur des sujets de prédiction de demandes, pour éviter d’avoir des pertes et des invendus, sur des sujets de « est-ce qu’il faut mettre les pâtes à cuire dans l’eau pour être sûr que quand le client arrive, les pâtes sont quasiment cuites ? ». Ce genre de choses, c’est quelque chose qu’on commence à mettre en place et qu’on va développer dans les années à venir. Mais vraiment sur la préparation du repas, non, c’est beaucoup plus simple.

le robot de Cala

Le robot de Cala, qui cuisine entièrement les pâtes, repose uniquement sur de l’automatisation et ne nécessite aucune intelligence artificielle. Photographie : Cala.

SD :Pour le construire, ce robot, comment ça s’est passé ? Est-ce que ça a été compliqué ? Combien ça vous a coûté ? Parce que j’imagine que ça doit avoir un certain coût quand même.

YR : Comment ça s’est passé ? On a fait trois versions. On est en train actuellement de développer la quatrième version de ce robot-là. La première dans la chambre étudiante de Julien, un associé. La deuxième dans le salon d’une petite maison qu’on louait à Vitry-sur-Seine, au sud de Paris. La troisième, enfin dans un local un petit peu plus professionnel. Et la nouvelle dans nos nouveaux bureaux. Donc, ça a été à chaque fois une nouvelle version, dans un nouveau cadre, avec de nouvelles personnes. Donc la version qui est actuellement à Jussieu, c’est la première qu’on a développée avec d’autres personnes que juste les fondateurs. Donc, c’est un peu une grosse étape un peu différente pour nous de commencer à travailler d’autres gens et de commencer à intégrer des expertises qu’on n’a pas du tout dans ce qu’on fait. Parce que finalement, Julien et moi, on est ingénieurs, en tout cas, on n’a pas de diplôme, et du coup, on travaille avec des gens qui sont un peu plus carrés que nous. C’est assez efficace.

Donc en termes de coût, spécifiquement le coût du robot, c’est un peu difficile à déterminer. Parce qu’il y a tout un tas de coûts annexes, des choses qu’on teste et qu’on garde pas. Donc, c’est difficile d’évaluer exactement le coût du robot. En tout cas, du coût de développement. À date, on a élevé 7,5 millions €, quelque chose comme ça. Et avec cet argent-là, on espère pouvoir ouvrir cinq ou six points de vente dans la région parisienne. Donc on a encore de la marge devant nous. Et le robot, purement, oui, on n’a pas de chiffres exacts sur son coût actuellement. Mais le fait est que c’est déjà moins cher qu’une cuisine professionnelle. C’est-à-dire tu vas dans un lieu qui est qui est vide, si tu lances une cuisine professionnelle, ça coûtera plus cher que d’installer un de nos robots. Donc c’est déjà avantageux côté restaurant. Et ça va l’être encore plus au fur et à mesure qu’on commence à produire plusieurs robots en plus grandes quantités, et que, du coup, on bénéficie d’un petit peu d’économies d’échelle.

les fondateurs de Cala

La startup Cala a été fondée par trois étudiants en 2017 : (de gauche à droite) Julian Drago, Nicolas Barboni et Ylan Richard. Photographie : Cala.

SD : La première levée, il me semble, est intervenue en 2019. Elle était de combien ?

YR : On a levé un million d’euros en 2019. Auprès de majoritairement les entrepreneurs français. Avec pour objectif de développer cette première version du robot qui puisse servir des clients. Donc celle qui est actuellement dans le point de vente à Jussieu. Et ça nous a aussi permis de commencer à recruter des gens, commencer à intégrer l’expertise qu’on n’avait pas, commencer à élargir un peu l’équipe et de pouvoir avancer plus rapidement. Donc celle-là a eu lieu en août 2019. Et une plus récente qui a eu lieu en mai de cette année. Et là, l’objectif a été, pareil, de continuer à recruter, de staffer sur pas uniquement l’ingénierie, donc du marketing, des opérations, de l’expansion, commencer à développer une nouvelle version du robot qui soit industrialisable, qu’on puisse répliquer en plusieurs exemplaires et ouvrir cinq ou six points de vente en région parisienne pour commencer à montrer qu’on est capable d’avoir cinq points de vente en même temps et qui fonctionnent tout aussi bien les uns que les autres.

Dans une levée de fonds, généralement, ce qu’il se passe, c’est qu’on rencontre plusieurs centaines de personnes et à la fin, il y en a peut-être 10 ou 15 qui finissent par investir. Donc dans les faits; sur les 200 à 250 personnes auxquelles j’ai parlé, il y en a pour nous dix ou quinze qui ont investi. Donc la majorité ont dit non, mais ça fait un peu partie du jeu. C’est-à-dire pour différentes raisons, que ce soit l’équipe qui les convainc pas, que ce soit le projet qui les convainc pas, que soit le projet qu’ils trouvent compliqué. Tout un tas de raisons. Et par contre, à chaque fois, c’est trouver ceux qui ont compris ce que tu essayais de faire et qui sont d’accord avec la vision du monde que t’as et comment toi tu penses que l’on monde va évoluer. C’est aussi la façon dont ils pensent que le monde va évoluer. Et c’est avec ces personnes-là, finalement, que tu t’entends bien et avec lesquelles tu as envie de lever de l’argent.

Le process a été quand même assez rapide. C’est-à-dire qu’on a parlé à beaucoup de gens, mais en très, très peu de temps. Parce que de notre levée précédente, on était assez bien connectés. Le projet qu’on avait, surtout avec le COVID, a assez rapidement attiré pas mal d’engouement. Parce qu’on a tous compris, de plus en plus à quel point c’était compliqué d’être restaurateur. Du coup, l’automatisation, ce domaine-là, ça a tout de suite fait résonner beaucoup de choses dans la tête de beaucoup de personnes, de se dire : « Peut-être que ça pourrait être intéressant de pouvoir déployer ce genre d’approche ». Assez rapidement, le process a été bouclé et on est très satisfaits des gens avec qui on a fini par lever. Mais en effet, c’est un process qui est toujours un peu… On y va sans trop savoir à quoi s’attendre.

SD : Et à partir de quand ça a commencé réellement à fonctionner, Cala ? C’est-à-dire à partir de quand, par exemple, vous avez pu en tirer des revenus pour vous ? À partir de quand avez-vous commencé à être rentable ? Peut-être après toutes ces levées de fonds, ou dès la première ?

YR : Non, on n’a jamais été rentable. On l’est pas encore. Ce qu’il y a c’est juste qu’on est une équipe quasiment de 30 personnes, avec un restaurant à Paris. Donc c’est compliqué. Surtout avec une quinzaine d’ingénieurs. On s’intéresse moins à la rentabilité de l’entreprise, mais plutôt la rentabilité des points de vente en eux-mêmes. Et ça, on l’a atteint depuis un moment déjà. Donc les points de vente gagnent de l’argent. Et du coup, l’idée, c’est qu’en jouant sur le volume et en ayant beaucoup de points de vente, on peut payer pour tout le reste. On a commencé vraiment à vendre en octobre 2020. C’est à peu près en janvier 2020 qu’on avait atteint un bon rythme de croisière en termes de ventes. En tout cas un rythme suffisant pour être profitable sur le point de vente. Et ensuite, petit à petit, ça a continué à croître.

Là où on a pu commencer à payer des gens et du coup, vraiment avoir suffisamment de capital pour pouvoir travailler comme on aimerait, aussi rapidement qu’on aimerait, ça a été avec la première levée de fonds. Et ensuite, spécifiquement sur la partie revenus de l’entreprise, ça a été plutôt en janvier 2021 qu’on a pu commencer à tourner.

SD : Est-ce que vous avez une idée du coût actuel de l’ensemble ? C’est-à-dire des employés, du loyer, avec les ingrédients, le robot ? Parce que j’imagine que ça nécessite peut-être moins de place aussi, donc une surface moins importante. Surtout à Paris, je pense que c’est très important comme question.

YR : Ouais, clairement. Là où on gagne le plus avec le robot, en termes d’économie, c’est beaucoup plus sur la partie surface au sol, que vous disiez à l’instant, et sur la partie « comment est-ce qu’on fait pour réduire le coût du loyer ? ». Parce que le client s’en fiche un peu qu’on soit dans une énorme cuisine ou une toute petite cuisine. Lui, ce qui l’intéresse, c’est le repas à la fin. Et du coup, ça nous a permis de rendre extrêmement compacte notre cuisine. Le robot fait 4 m² au sol et il peut produire jusqu’à 400 repas par heure. Face à une cuisine un peu plus traditionnelle qui devrait faire 400 repas par heure, on est sur des 70-80 m² assez rapidement. Donc ça fait une énorme différence, surtout au prix du m² parisien. Et de l’autre côté aussi un petit peu sur la partie staff, donc avoir un peu moins de personnes cuisine. Mais ça, vraiment, c’est très, très marginal par rapport à ce qu’on gagne sur la partie surface au sol.

Un plat de pâtes Cala

Cala propose des plats de pâtes personnalisables, avec des produits frais. Image : Cala.

SD : Là, comme ça, à première vue, ça semble un peu le modèle idéal pour les restaurants, le modèle vraiment du futur en termes de modèle économique pur et dur.

YR : Je pense que la plupart des restaurateurs un peu plus traditionnels avec lesquels on parle, surtout des gens qui travaillent dans des chaînes. Nous, on se voit vraiment pas en concurrence face aux restaurants un peu plus traditionnels, où on s’assoit tranquille, on est servi, ce genre de chose. Parce que c’est une expérience complètement différente et on y va pas spécifiquement. On y va pour la qualité de la nourriture, mais aussi pour toute l’expérience qui va autour. Nous, on voit plutôt comme l’option lunch un peu rapide ou dîner un peu rapide, où on veut un truc de bonne qualité. On a pas envie de lésiner là-dessus, mais on a pas forcément envie de se déplacer ou de s’asseoir sur place ou d’être servi.

Dans ce cadre-là, quand je parle à des gens qui travaillent dans des chaînes, la plupart ont conscience que c’est la direction dans laquelle va l’industrie. C’est-à-dire la partie automatisation, réduction du besoin en surface au sol, réduction en complexité et opérationnel. Complexité de gestion aussi, puisque le robot apporte pas mal d’éléments de suivi de comment se passe le service, de gestion des stocks, des choses comme ça, qui sont totalement intégrés et automatisés. Donc je pense que tout le monde dans cette industrie a conscience que c’est là que ça va. Et ensuite, il y a tout un tas de modèles différents.

Notre approche d’opérer nos propres ventes en est une, est un des modèles qui est possible. Mais on pourrait par exemple imaginer nous vendre des robots à n’importe quel restaurant. Ce serait aussi une autre option qui pourrait être intéressante. Donc il y a encore un peu un sujet de quelles sont les approches qui vont le mieux fonctionner. Un des avantages de la restauration, c’est que c’est un milieu qui est très, très fragmenté, avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de chaînes de restaurants, beaucoup, beaucoup de restaurants, beaucoup d’entreprises qui vivent dans cet écosystème-là. Du coup, ce qui est à peu près sûr, c’est qu’à la fin, beaucoup de modèles différents vont finir par fonctionner et beaucoup de modèles différents vont tirer leur épingle du jeu. Donc, là-dessus, c’est plutôt très intéressant de voir qu’en fait, quasiment toutes les approches qui commencent à se développer, on est à peu près convaincu qu’elles vont fonctionner dans certains endroits.

SD : Vous avez de la concurrence déjà dans ce domaine, j’ai vu qu’une autre startup française, Pazzi, a levé 10 millions d’euros. C’est une proposition similaire, mais pour le coup, c’est pour faire des pizzas. Toujours avec un robot. Est-ce que vous avez une concurrence sur le marché français qui est importante ?

YR : Sur le marché français, non. Sur le marché international, non plus. C’est encore très, très naissant et on est probablement dans ceux qui sommes les plus avancés le plus tôt. Et en effet, il y a Pazzi. Typiquement, face à Pazzi, on n’est pas vraiment en concurrence, parce que le type d’emplacement dans lequel eux ont envie de s’implanter sont un peu différents. Notamment, par exemple, ils ont un point de vente à Rambuteau, dans un quartier avec beaucoup de passage, à côté du Centre Georges Pompidou à Paris, un gros musée. Donc assez différent en termes d’endroits dans lequel on veut se placer, par rapport à nous, devant des écoles ou des facs.

En plus, c’est de la pizza, nous, c’est des pâtes. En tant que client, tu as pas forcément envie de manger de la pizza au même moment que tu as envie de manger des pâtes. C’est des cas de figure différents. Et un peu dans ce que je disais juste avant sur le côté très fragmenté, personne va manger des pizzas 14 fois par semaine. Personne va manger des pâtes 14 fois par semaine. C’est un écosystème qui est plutôt un cercle vertueux où les gens sont de plus en plus à l’aise avec le fait que ce soit un robot qui prépare le repas. Ils comprennent de plus en plus que c’est pas parce que c’est un robot que la qualité est mauvaise, bien au contraire. Et du coup, c’est presque positif qu’il y est de plus en plus d’acteurs dans ce milieu-là, parce que ça rend tous les consommateurs beaucoup plus à l’aise avec cette idée.

SD : Vous comptez vous exporter ou exporter votre concept ? C’est-à-dire peut-être ouvrir d’autres restaurants ailleurs en France ou même en Europe, ou bien plutôt améliorer votre robot et vendre des versions à d’autres établissements ?

YR : On prévoit pas de vendre des versions à d’autres établissements. C’est-à-dire que le sujet, ça va quand même être d’ouvrir nos propres points de vente. Donc ça, c’est quelque chose qui va vraiment pas bouger. Et pour l’année 2022, l’objectif, ça va être d’ouvrir quelques points de vente de plus, deux ou trois points de vente de plus, et de se concentrer sur ceux-là, se concentrer sur le robot, s’assurer que tout fonctionne bien sur le robot, que tous les petits problèmes qu’on aurait envie de vouloir régler, on puisse les régler, que tout est vraiment bien rodé. Pareil au niveau des points de vente, c’est qu’on arrive assez rapidement à ouvrir un point de vente, assez rapidement à attirer des clients, que le point de vente devient rentable assez rapidement. Et une fois qu’on a ça, toutes et tous ces éléments-là bien en main, c’est là qu’on commencera à s’intéresser à la suite vraiment. Et en effet, les options pour la suite, c’est soit se déployer un peu plus largement en France, dans d’autres villes en France, soit à l’étranger. On n’a pas encore tout à fait décidé quelle est la direction qui nous plait le plus.

SD : Est-ce qu’il y a une autre levée de fonds qui est prévue bientôt ?

YR : C’est prévu. Ce sera en 2022. Pour l’instant, on n’a pas trop de sujets de levée de fonds et on n’a pas de besoin de capital, parce qu’on a eu une levée assez récente. Et en plus, on a vraiment beaucoup de pain sur la planche. Mais probablement que courant milieu – fin d’année, on commencera à se reposer la question de si on retourne lever ou pas.