Alors que l’urgence climatique pousse les grandes nations à revoir leurs stratégies en matière d’émissions carbone, une nouvelle bataille fait rage autour des ressources censées remplacer le pétrole. Parmi elles, le cobalt, un minerai essentiel à la production de batteries, au cœur de la course pour l’électrification de l’industrie automobile. Pour l’heure, cette compétition est largement dominée par la Chine. L’Empire du Milieu a profité de l’espace ouvert par des années de politiques américaines favorisant les véhicules thermiques. Aujourd’hui, les priorités de Washington ont changé, trop tard ?

Le New York Times a enquêté sur la lutte entre la Chine et les États-Unis sur les terres de la République démocratique du Congo pour mettre la main sur la plus grosse part des ressources mondiales de Cobalt. Au détriment des locaux, bien sûr.

Cobalt : le nouvel or noir

L’une des principales applications du cobalt à l’heure actuelle est la fabrication de batteries rechargeables de toutes sortes. Le cobalt améliore les performances des batteries présentes dans les smartphones, les objets connectés ou les ordinateurs portables, et joue un rôle important dans les véhicules électriques. Cette ressource étant finie, et les besoins des industries technologiques explosant, la Worldwide Power Company prévoit une pénurie d’ici 2030, voire 2025 d’après des prévisionnistes plus alarmistes.

À titre d’exemple, une voiture Tesla à grande autonomie nécessite environ 10 kilos de cobalt, soit plus de 400 fois la quantité contenue dans un téléphone portable. Des constructeurs, tels que Ford, s’efforcent de limiter les besoins en cobalt nouvellement extrait en se tournant vers le recyclage et, ou en diminuant la part du précieux minerai au profit d’autres métaux. Une stratégie qui a ses limites, pour le moment il n’est pas possible de le remplacer totalement.

La Chine, bien consciente des enjeux, a profité de l’absence de concurrents pour s’accaparer une grosse part de la production au détriment des États-Unis, trop occupés à favoriser les véhicules à moteur thermique. Ces derniers, misant désormais sur la vente de véhicules électriques dans le cadre de leur nouvelle politique environnementale, souhaitent reprendre le contrôle sur la production de cobalt. La domination du grand rival chinois sur ce minerai risquerait de tirer les prix vers le haut et d’évincer la production de véhicules électriques américains au profit de la sienne.

Le New York Times s’est penché sur les dessous de cette bataille qui nous emmène dans la région du Kisanfu, une partie boisée du sud-est de la République démocratique du Congo, recélant l’une des plus grandes et des plus pures réserves inexploitées de cobalt de la planète. Ce pays africain assure à lui seul plus de 70% de la production de Cobalt dans le monde.

Chine contre États-Unis

L’enquête du journal américain s’est appuyée sur un millier de documents diplomatiques auxquels il faut ajouter des plus d’une centaine d’entretiens de personnes réparties sur trois continents.

Il en ressort une date charnière, 2016. Freeport-McMoRan, une entreprise minière américaine, a vendu deux réserves massives de cobalt au conglomérat chinois China Molybdenum cette année-là. Cette accélération de la présence chinoise dans les mines congolaises coïncide avec le lancement, en 2015, de la stratégie « Made in China 2025 ». Un plan ambitieux, décrivant en détail les objectifs de la Chine pour devenir une « superpuissance manufacturière » dans dix domaines, dont les batteries pour voitures électriques.

Les entreprises minières chinoises se sont dès lors lancées dans une frénésie d’achats dans la région, verrouillant une grande partie de la chaîne d’approvisionnement mondiale en cobalt. Selon le New York Times, 15 des 19 mines productrices de cobalt de la République démocratique du Congo appartiennent désormais à des sociétés chinoises. Elles ont reçu au moins 12 milliards de dollars de prêts et de financements d’institutions soutenues par l’État. Les cinq plus grandes entreprises chinoises au Congo, qui appartiennent en grande partie à l’État, ont reçu au moins 124 milliards de dollars en crédits pour leurs opérations internationales.

Les États-Unis sont restés à la traîne. Lors de son mandat, Donald Trump a supprimé les normes environnementales imposées aux constructeurs automobiles, donnant à la Chine une marge de manœuvre plus large encore. L’arrivée de Joe Biden au pouvoir a rimé avec de nouvelles ambitions en faveur de l’environnement aux États-Unis. La nouvelle administration américaine négocie actuellement durement avec le Congrès pour faire passer le projet de loi « Build Back Better », un programme de 1750 milliards de dollars de dépenses censé permettre le triomphe de l’Amérique à la fois face au changement climatique et à la concurrence de la Chine.

Les analystes et les experts mettent déjà en garde contre le risque d’une pénurie de batteries pour véhicules électriques, capable de perturber les chaînes d’approvisionnement, à l’image de la crise des semi-conducteurs. Aux États-Unis, les constructeurs de véhicules électriques comme Tesla et les marques traditionnelles comme General Motors et Ford se préparent à augmenter considérablement leur demande de cobalt et de lithium dans les années à venir. General Motors a, par exemple, affiché son intention de supprimer complètement les véhicules à essence et diesel conventionnels d’ici 2035. Cela pourrait mettre à rude épreuve des réserves déjà fragiles.

D’après l’agence nationale de l’énergie, l’approvisionnement à partir des mines existantes ne pourra peut-être couvrir que la moitié des besoins en lithium et en cobalt d’ici 2030. À l’occasion de la visite d’une usine General Motors, Joe Biden a exprimé sa volonté d’accélérer le rythme dans la course aux minéraux engagée avec la Chine, « nous avons risqué de perdre notre avantage en tant que nation, et la Chine et le reste du monde sont en train de nous rattraper. Et bien, nous sommes sur le point de renverser la vapeur d’une manière très, très importante ».

Un graphique présentant la hausse de la demande en Cobalt dans le monde.

Une étude d’UBS publiée en septembre 2021 montre que le marché du cobalt risque de connaître un déficit croissant de l’offre dès cette année sans nouvelles exploitations de mines. Source : UBS.

L’Europe quant à elle, a pris un retard considérable dans ce domaine alors même qu’elle vise une interdiction de mise à la vente ventes de nouvelles voitures à essence ou diesel dès 2035. Un rapport remis il y a quelques jours au gouvernement français indique que l’Europe ne serait capable de produire, d’ici 2030, que 30% de ses besoins en minerais stratégiques pour les batteries électriques. « L’Union européenne est clairement en retard sur la Chine qui a pris 20 ans d’avance sur le contrôle de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en minéraux et métaux stratégiques afin de sortir de la dépendance aux énergies fossiles », a fait savoir l’industriel Philippe Varin, ex-PDG de PSA, auteur de ce rapport.

Et à la fin c’est le Congo qui trinque

La frénésie pour le cobalt a attiré un nombre important d’industriels opportunistes en République démocratique du Congo, en partie au détriment de sa population. Il faut déjà prendre en compte les désastres humains : populations déplacées, sécurité des employeurs drastiquement revus à la baisse, maladies liées aux rejets de métaux dans l’air, exploitation des enfants… Auxquels s’ajoutent les risques écologiques liés à l’extraction minière comme la pollution des eaux et des sols. Finalement, la vente de ressources stratégiques a-t-elle véritablement profité au pays africain ?

Le Congo n’est pas un cas isolé. D’après le China Africa Research Initiative, les banques chinoises auraient engagé plus de 153 milliards de dollars de prêts aux gouvernements et aux entreprises d’État africains entre 2000 et 2019 pour le développement de leurs infrastructures. En contrepartie, la Chine obtient un grand nombre de concessions minières sur le continent. Une relation qui a tendance à s’étioler à cause des risques sécuritaires, environnementaux et humains liés au projet chinois, sans parler des problèmes de corruption. Des manifestations ont été organisées contre des projets financés en Angola, au Ghana, au Kenya ou encore en Gambie.

Profitant de ce contexte défavorable pour Pékin, les États-Unis s’immiscent désormais dans les affaires africaines. Dans le cadre de leur programme de lutte contre la corruption, Washington finance l’examen des contrats miniers chinois en Afrique. Le gouvernement congolais est en passe de conclure un vaste examen de ses contrats miniers grâce aux dollars américains. Ils vérifient si les entreprises chinoises remplissent ou non leurs obligations contractuelles et respectent les engagements pris par la Chine dès 2008.

L’accord était simple : en échange de la construction d’infrastructures comme des routes ou des hôpitaux pour un montant de 6 milliards de dollars, le Congo promettait l’accès à 10 millions de tonnes de cuivre et à plus de 600 000 tonnes de cobalt. La Chine ne semble pourtant pas avoir respecté sa part du marché. En août, le président congolais, Felix Tshisekedi, a nommé une commission chargée d’enquêter sur les allégations selon lesquelles China Molybdenum pourrait avoir escroqué les autorités congolaises de milliards de dollars de redevances. L’entreprise risque d’être expulsée de la République démocratique du Congo.

Vu le retard pris par les États-Unis, ces manœuvres ne suffiront probablement pas à rattraper la Chine. Les pays développés risquent encore de devoir se tourner vers l’Empire du Milieu s’ils souhaitent décarboner leur économie. L’offre ne pouvant pas suivre l’explosion de la demande à l’heure actuelle, la pénurie de semi-conducteurs frappant de plein fouet l’industrie automobile pourrait être rapidement suivie par une pénurie de cobalt. À moins qu’un nouveau substitut soit trouvé d’ici là…