Alors que les législateurs européens s’attèlent au peaufinement du Digital Markets Act, Google se lance dans une immense campagne de lobbying pour tenter de soudoyer les membres du Parlement. Visiblement, le géant du web craint pour son business.

Google est un « gatekeeper »

Présenté conjointement avec le Digital Services Act (DSA) fin 2020, le Digital Markets Act (DMA) a pour objectif de réguler de manière bien plus stricte ce que l’on appelle les « gatekeepers » du monde digital. Il s’agit des contrôleurs d’accès à Internet, les plateformes si importantes que les utilisateurs doivent presque obligatoirement passer par elles pour naviguer ou mener leurs activités sur la toile.


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Avec cette nouvelle loi qui devrait entrer en vigueur début 2023, les big tech seront soumises à une forte régulation et risqueront de très importantes amendes en cas de manquements, ces dernières pouvant s’élever jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires. Avec son moteur de recherche écrasant tout sur son passage et ses très nombreux services qui y sont reliés, Google est logiquement considérée comme un gatekeeper. La firme de Redmond craint notamment de ne plus pouvoir avoir recours à la pratique de l’auto référencement.

Elle consiste, pour Google, à faire la promotion de ses propres services à travers le Search, dans le domaine du voyage par exemple. Pour rappel, l’entreprise a écopé d’une lourde amende de 2,42 milliards d’euros en 2017 pour avoir favorisé son propre service de comparaison de prix devant ceux de ses rivaux. Une sanction récemment confirmée par le Tribunal du Luxembourg, bien que Google ait l’intention de faire appel une nouvelle fois.

Un ordinateur ouvert sur la page d'accueil de Google.

Google utilise son moteur de recherche pour mettre en avant ses propres produits. Photographie : Firmbee.com / Unsplash

Une campagne de lobbying censée défendre les petites entreprises

Ce qu’il faut retenir de cette affaire, c’est surtout que la firme n’a quasiment apporté aucun changement à ses pratiques malgré l’amende, note Ars Technica. Sentant le vent tourner avec la confirmation de cette sanction, l’arrivée du DMA ainsi qu’un texte de loi visant spécifiquement les publicités ciblées, Google a décidé d’entamer une campagne de lobbying de dernière minute en Europe.

Suite à la décision du Tribunal du Luxembourg, le PDG de Google, Sundar Pichai, a ainsi organisé une conférence virtuelle avec Margrethe Vestager, la responsable du numérique et de la concurrence de l’UE, pour discuter de cette affaire ainsi que des réglementations technologiques à venir. Par ailleurs, Kent Walker, responsable des affaires internationales d’Alphabet, la maison-mère de Google, a tenu des réunions similaires avec d’importants régulateurs européens.

La parlementaire néerlandaise Kim van Sparrentak explique que ces dernières semaines, elle a remarqué une intensification du lobbying mené par Google, qui assure que les prochaines régulations auront un impact néfaste sur les petites entreprises (comme un petit air de Facebook…). Ainsi, la femme politique assure que Google l’a invitée pour discuter de son point de vue, et l’a conviée à se joindre à un événement organisé par la société sur les avantages du marketing numérique pour les petites entreprises. En outre, l’association professionnelle Connected Commerce Council, qui compte parmi ses partenaires Google et Amazon, a envoyé une lettre à la parlementaire signée par des propriétaires de petites entreprises dans laquelle ils déclarent : « S’il vous plaît, ne rendez pas les choses plus difficiles pour mon entreprise ».

Kim van Sparrentak n’est pas la seule membre du Parlement européen à témoigner des offensives de Mountain View. Certains ont ainsi vu que leur fil Twitter être envahi de publicités de groupes de défense des technologies sur des questions qui intéressent Google ; une campagne contre la proposition d’interdiction de la publicité ciblée, diffusée sur le réseau social et dans la presse spécialisée, a par exemple été menée par IAB Europe.

« Je suis visé par une publicité presque méconnaissable destinée aux fonctionnaires de l’UE, qui promeut de fausses informations et fait uniquement référence à des études de l’IAB », témoigne Alderik Oosthoek, conseiller politique au Parlement européen. Ces nombreuses tentatives de lobbying traduisent l’inquiétude de Google, dont le modèle économique reposant notamment sur le désavantage de ses concurrents sur Search.

Le lobbying, arme redoutable des GAFA

Toutefois, il ne s’agit pas là d’un cas isolé pour la firme de Mountain View. Les GAFA sont de véritables machines à lobbying, que ce soit dans leur pays natal ou en dehors. Une étude parue en août 2021 démontrait que les géants technologiques avaient dépensé 97 millions d’euros pour faire pression sur les institutions européennes depuis début 2020. Selon le registre de transparence de l’UE, Google a investi environ 6 millions d’euros dans des activités liées au lobbying en 2020. L’entreprise dispose d’environ huit lobbyistes internes à Bruxelles, sans compter les avocats et consultants externes.

En 2020, Sundar Pichai a d’ailleurs été contraint de s’excuser auprès de Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, après que celui-ci ait mis la main sur un plan de contre-attaque de Google contre le DSA.

« Nous pensons que les Européens doivent pouvoir profiter des meilleurs services que Google peut créer. Il est clair que certaines propositions du DMA et du DSA nous touchent directement et auront un impact sur la manière dont nous innovons nos produits en Europe. Nous sommes soucieux de trouver un juste équilibre, et nous savons que nos utilisateurs et nos clients le sont aussi. Comme beaucoup d’autres, nous nous sommes engagés de manière ouverte et constructive avec les décideurs politiques tout au long du processus législatif pour faire valoir notre point de vue », déclare Google.

L’étau se resserre sur les big tech

Il n’y a pas qu’en Europe que la firme de Mountain View est dans le viseur des autorités. Sous le coup de plusieurs plaintes outre-Atlantique, Google va notamment devoir faire face à un procès de très grande ampleur pour pratiques anticoncurrentielles. Encore une fois, c’est son moteur de recherche qui est au cœur des accusations menée par les régulateurs américains.

De manière plus globale, on assiste à un durcissement de la régulation à l’encontre des géants technologiques dans le monde. Si ces derniers ont longtemps agi sans réel contrôle, ils doivent désormais répondre de leurs actes. Dans ce domaine, l’UE s’impose comme véritable pionnière en imposant des mesures plus strictes que dans les autres pays de l’Occident ; le DMA et le DSA en sont justement la preuve.

Aux États-Unis, les autorités ont également décidé de serrer la vis à leurs big tech avec, à titre d’exemple, la nomination de Lina Khan à la tête de la Federal Trade Commission (FTC), agence fédérale dont la mission est l’application du droit de la consommation et le contrôle des pratiques commerciales anticoncurrentielles telles que les monopoles déloyaux. Cette fervente opposante aux géants technologiques est crainte, à tel point que Meta et Amazon ont demandé sa récusation.