Bilal Hassani et Sundy Jules, Louise alias MyBetterSelf, Cyprien, Marion Seclin, Victor Bonnefoy de In The Panda ou encore Kyan Khojandi… Si ces noms évoquent des vidéos YouTube aux effets visuels millimétrés, des posts Instagram léchés et parfois des placements de produits, ils ont un autre point commun : celui d’avoir lancé leur podcast, souvent soutenu par de grands noms de l’écosystème, comme Spotify ou Acast. Depuis quelques années, influenceurs, Youtubeurs ou plus largement créateurs de contenus déferlent sur le monde du podcast avec un relatif succès, emmenant avec eux une communauté davantage habituée à l’écran de smartphone qu’au casque audio.

Si on entend beaucoup parler du format podcast ces dernières années, c’est en réalité un format assez vieux, comme le rappelle Manuel Diaz, président d’EMAKINA/INFLUX, une agence digitale spécialisée dans la gestion de créateurs influents : « on peut remonter aux premières conférences de Steve Jobs ! Apple a rendu les Keynote populaires avec les formats audios ». Si le format stagne pendant un certain nombre d’années, les successions d’innovations permettant d’écouter du son partout, tout le temps, de l’iPod aux enceintes connectées, changent la donne. À la différence de la bonne vieille radio, les auditeurs peuvent consommer un contenu qu’ils ont choisi, partout, quand ils le souhaitent, en étant rarement interrompus par de la publicité intempestive. « Si on zoome, on se rend compte que depuis le temps que le podcast existe, il serait temps qu’il perce », analyse Manuel Diaz.

Et cette percée a déjà commencé dans les oreilles des Français : selon Médiamétrie, en septembre 2021, près de 136 millions de podcasts français ont été écoutés ou téléchargés dans le monde. Une progression de plus de 40% en un an, qui fait du secteur l’un des plus prometteurs du marché médiatique… tout en ayant du mal à trouver son modèle économique. Pour Céline Lim et Yann Thébault, respectivement responsable communication et directeur général France et Allemagne d’Acast, une plateforme d’hébergement, de monétisation et de soutien à la croissance des podcasts, « il y a de plus en plus d’intérêt pour le format podcast, qui s’inscrit dans une stratégie de communication et comme terrain d’expression nouveau, plus libre ». Dans son catalogue, Acast affiche des grands noms de YouTube, comme Kyan Khojandi (377K abonnés sur YouTube), Marion Seclin (250K abonnés) ou encore Victor Bonnefoy de In The Panda (317K abonnés).

Les plateformes qui produisent et/ou diffusent ces podcasts natifs y voient même un phénomène de société, dopé par une mobilité des appareils d’écoutes (des smartphones aux écouteurs sans fils) et une production prolifique. « Ça permet de faire quelque chose en même temps, de sortir de l’écran… C’est un changement des pratiques » confirme Yann Thébault. Pour les créateurs déjà présents sur YouTube ou Instagram, le podcast représente alors un territoire à conquérir et explorer.

« C’est un format où on parle plus directement à sa communauté, où on s’autorise à douter, à réfléchir »

Benjamin Brillaud, connu pour sa chaîne Nota Bene aux presque 2 millions d’abonnées, sur laquelle il parle d’histoire, a lui aussi rejoint Acast en 2021, pour lancer Nota Bene, le podcast de l’Histoire. Selon lui, l’arrivée des créateurs de contenus vers le format podcast n’est pas un mouvement massif, mais visible grâce à certains noms prestigieux. « En tant que créateur, auteur, réalisateur… C’est toujours plaisant d’explorer de nouvelles pistes » affirme-t-il. C’est d’ailleurs la première raison qui les pousse à investir le podcast natif. Traiter de nouveaux sujets plus en profondeur, prendre le temps, sortir des codes de la vidéo… Et surtout développer une relation plus intime et sincère avec leur communauté.

« Les créateurs qui vont vers les podcasts, en lançant le leur ou en participant à d’autres profitent de ce temps long dont ils n’ont pas l’habitude, ils peuvent raconter leurs histoires dans le détail. Et l’audience aime ce temps long, d’intimité » détaille Manuel Diaz. Il a lancé avec son agence EMAKINA/INFLUX le podcast #TechOut, où avec les Youtubeurs Romain Lanéry et Léo Duff, ils discutent entreprenariat, création et sujets de société. « On a de supers scores d’audience, on reçoit plein de questions… C’est un format où on arrive à parler plus directement à sa communauté, où on s’autorise à douter, à réfléchir » ajoute-t-il.

De gauche à droite : Romain Lanéry, Manuel Diaz, Léo Duff

De gauche à droite : Romain Lanéry, Manuel Diaz, Léo Duff. Ils animent ensemble un podcast baptisé ‎TechOut. Photographie : EMAKINA/INFLUX.

Pour Benjamin Brillaud, de la chaîne Nota Bene, le projet de podcast naît début 2021, après être « arrivé à un stade où je me suis senti assez mûr pour emmener les gens avec moi seulement avec la puissance de l’audio », explique le créateur. Pas question pour lui de se lancer sans filet, et pour quelques épisodes : il souhaitait faire les choses « bien », d’autant que l’exercice du micro est un peu différent de celui de la vidéo. « On n’a pas le support visuel, on doit pouvoir aménager les scripts qu’on va écrire. Sur le podcast, l’objectif est d’aller chercher d’autres publics, qui ne sont pas sur la vidéo ou sur le livre » analyse-t-il. Après avoir reçu un mail d’Acast, le créateur commence à collaborer avec la plateforme, pour des raisons logistiques tout d’abord (gestion centralisée des campagnes publicitaires, statistiques, etc) mais aussi d’accompagnement. Car pour les plateformes, avoir de grands noms de YouTube ou d’Instagram dans son catalogue est un avantage non négociable.

Du côté des plateformes, la promesse d’un contenu attractif et d’une communauté

Pour les grandes plateformes qui hébergent et/ou produisent des podcasts, ces grands noms aux plusieurs centaines de milliers voire millions d’abonnés sont une base d’audience toute trouvée. Pour Yann Thébault d’Acast, ces créateurs de contenus « bénéficient déjà d’une audience existante, à la différence d’autres créateurs, et mettent moins de temps à décoller ». Le risque d’investir dans ces productions est donc moindre, d’autant plus que les Youtubeurs et autres influenceurs ont souvent un contenu éditorial et une identité propre, et sont donc plus à même de travailler avec des marques.

Mais le podcast, contrairement à d’autres contenus en ligne, s’ancre peu dans la viralité. Pour Claire Hazan, directrice podcast chez Spotify pour la France et le Bénélux, l’assure : le succès des podcasts se fait sur la durée. « Il faut que les créateurs aient envie de travailler sur de l’audio, qu’ils comprennent le format. L’objectif n’est pas de répliquer ce qui se passe sur YouTube » détaille-t-elle. En septembre dernier, Spotify a lancé une grande campagne pour promouvoir ses podcasts originaux : Tony Parker, Bilal Hassani ou encore Lauren Bastide font désormais partie des projets soutenus par la plateforme. « On veut être le lieu de destination de l’audio, à la fois de la musique, des podcasts, des lives ou des livres audio. Ce qui nous tient à cœur, c’est la diversité des voix et des talents » explique Claire Hazan.

D’autant que les podcasts souffrent encore d’une image très parisiano-centrée, réservés aux classes supérieures qui ont passé la trentaine. À travers des créateurs venus de YouTube, les plateformes tentent de drainer une audience plus jeune. « Le podcast est un format en plein développement. On a un focus sur la Génération Z, qui consomme du contenu plutôt vidéo, on regarde comment proposer des formats audios qui leur parlent. Chez les 15-24 ans, un tiers écoutent un podcast en replay ou natif par mois » nous explique Claire Hazan. Ainsi, pour le podcast La Fabuleuse, autour des Youtubeurs Bilal Hassani, Sundy Jules, Sparkdise, Sulivan Gwed et Wesley Krid, Spotify offre une fonctionnalité vidéo, pour accompagner dans ce nouvel usage sonore.

Le podcast, une alternative aux partenariats et placements de produits ?

Pourtant, comme l’explique Manuel Diaz, « l’enjeu actuel du podcast est de trouver son modèle économique ». Dans un secteur nouveau et en pleine expansion, la monétisation reste anecdotique comparé à des plateformes comme YouTube. Acast, qui intervient sur toute la chaîne de valeur d’un podcast, a été parmi les premiers à proposer une insertion dynamique publicitaire, rendant plus efficace la monétisation. « Notre taux de remplissage est bon, c’est plus facile d’aller voir des marques, d’avoir des campagnes créatives et des activations plus poussées » analyse Yann Thébault. En 2021, Acast a enregistré +92% de nouveaux annonceurs.

Pour Manuel Diaz, en lançant #TechOut, l’objectif n’était pas de monétiser. « Et puis on est venus à nous assez naturellement, parce qu’on a fait exister une ligne éditoriale et un ton », explique-t-il. Pour les marques aussi, s’associer à un podcast porté par des noms connus du public leur assure une meilleure visibilité et plus d’impact. « De plus en plus, c’est une option que je présente à des partenaires, c’est l’assurance que le podcast soit viable, que je puisse payer tout le monde correctement » déroule Benjamin Brillaud de Nota Bene. La monétisation permet, comme sur YouTube ou sur Instagram, de financer des projets, de payer ses équipes et d’assurer une viabilité au projet.

Surtout que les modèles sont encore divers entre les plateformes qui ne font qu’héberger les podcasts ou ceux qui produisent. « Il y a ceux qui ne font que diffuser sur nos plateformes, et qui vont par exemple proposer des contenus bonus sur abonnement, et là on leur fournit des outils. Pour des projets déjà existants, on paye un droit de diffusion exclusif, et pour les projets Spotify Originals, là on réfléchit ensemble et on fait la production ensemble » explique Claire Hazan. L’entreprise suédoise souhaite ainsi développer ses outils à disposition des créateurs indépendants, notamment vis-à-vis de la monétisation.

Malgré l’essor du format podcast, sa résonance reste réduite. « Ça reste une petite part de marché par rapport à YouTube. Avec le podcast, on est environ à 200 000 écoutes par mois, alors que YouTube c’est 5 à 6 millions de vues par mois » témoigne le créateur de Nota Bene. Mais pour créateurs et plateformes, le format est amené à se démocratiser et à grandir. « Rien que l’année dernière, on a multiplié par trois le nombre de projets » se réjouit Claire Hazan. Au risque de saturer le marché ? « Il y a encore de la place, chacun a son identité et sa manière de traiter du contenu. De par les différents formats, ils ne vont pas se marcher dessus ! » assure l’équipe d’Acast. Le futur de l’influence et des contenus se jouera peut-être dans quelques années… dans nos oreilles.