La Commission européenne a publié le 9 décembre une proposition de directive pour instaurer une présomption de salariat pour les travailleurs indépendants liés aux plateformes numériques. Un peu plus tard dans la journée, Emmanuel Macron a présenté à la presse ses priorités pour la présidence française du Conseil européen, sans mentionner ladite directive.


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La fin de l’ubérisation ?

En Espagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Belgique, les procédures judiciaires contre Uber et Deliveroo se multiplient sur la question des conditions de travail et le statut des chauffeurs et livreurs. La Commission européenne a décidé d’entrer formellement dans la bataille en frappant un grand coup, comme l’avait promis Ursula von der Leyen, lors de sa nomination à la présidence en 2019.

La proposition de directive vise à requalifier les indépendants travaillant pour des plateformes numériques en salarié. C’est-à-dire donner aux travailleurs les prestations sociales auxquelles ils peuvent prétendre tels qu’un salaire minimum, des congés payés, des cotisations pour le chômage, l’assurance maladie, ou la retraite.

Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive pour l’Europe du numérique, a expliqué « Notre proposition de directive aidera les faux indépendants travaillant pour des plateformes à déterminer correctement leur statut professionnel et à jouir de tous les droits sociaux qui en découlent ».

Mais au fond, quelle différence y a-t-il entre le vrai et le faux indépendant ?

La notion de « faux indépendant » vise à différencier les personnes avec un lien de subordination à une plateforme et ceux qui n’en ont pas. En Europe, 28 millions d’indépendants passent par des plateformes numériques, ils seront 43 millions en 2025.

Dans le lot, la majorité comprend de « vrais indépendants ». C’est le cas, par exemple, avec la plateforme Malt. Elle met en relation des freelances de différents domaines, Data Scientist, développeur, motion designer… avec des employeurs potentiels.

Pour reconnaître les « faux indépendants », environ 5,5 millions selon les estimations de la Commission, la directive dresse une liste de critères à destination des plateformes. Si plus de deux sont cochées, juridiquement la personne travaillant pour elle est considérée comme un salarié.

Parmi ces critères : une rémunération fixée par la plateforme, des heures de travail imposées, dicter la façon de se comporter avec les clients, l’interdiction de travailler avec un tiers, une supervision électronique de la tâche.

Uber, Deliveroo, Bolt, ou d’autres sont clairement dans le viseur de la proposition de directive. En cas de contestation, cela ne sera plus aux travailleurs de prouver sa condition d’employé, mais à la plateforme de prouver qu’il ne l’est pas.

Nicolas Schmit, commissaire à l’emploi et aux droits sociaux, a déclaré « Nous devons tirer le meilleur parti du potentiel de création d’emplois des plateformes numériques. Toutefois, il nous faut également veiller à ce qu’il s’agisse d’emplois de qualité n’encourageant pas la précarité ».

La directive européenne vise également à sécuriser les conditions de travail des indépendants. Les plateformes devront garantir un suivi humain de ces conditions et ne plus seulement s’appuyer sur des algorithmes. Des obligations de transparence vis-à-vis des autorités nationales sont également prévues. Pour les plateformes, la Commission assure qu’elles ont à y gagner, en évitant les dispendieux procès où elles sont actuellement empêtrées.

Emmanuel Macron va-t-il mettre des bâtons dans les roues de la Commission ?

Le Monde rapporte que Move EU, représentant les acteurs de la mobilité sur le Vieux Continent affirme que selon une étude Bolt, Uber et FreeNow seraient obligés de se séparer de 56% de leurs chauffeurs avec cette directive, 136 000 personnes. Du côté de la livraison, Deliveroo Platforms Europe, annonce 75 000 postes de livreurs en moins. Des conclusions qui arrangent bien les membres de ces deux organisations.

Emmanuel Macron pourrait bien être un meilleur allié pour les plateformes que ces chiffres. Lors de son discours sur la présidence française du Conseil européen, qui débutera le 1er janvier 2022, le président de la République a mentionné dans ses priorités la souveraineté numérique, avec le DMA et DSA, d’autres thèmes, mais pas la directive pourtant publiée le même jour.

Pour la newsletter Paris Playbook de Politico, pas de mystère : le gouvernement Macron s’est toujours montré hostile à la mesure. Le média rapporte que Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, a déclaré mi-septembre à propos de celle-ci, « Ce n’est pas raisonnable économiquement ». La France préfère prôner la revalorisation des droits des indépendants via le dialogue social. Un point que la Commission européenne n’estime en rien incompatible avec la directive.

Problème, une fois la proposition publiée par la Commission, c’est au Parlement et au Conseil, qui réunit les chefs d’États et de gouvernement de l’Union européenne, de discuter la directive pour lui donner sa forme finale. En tant que président du Conseil, la France et donc Emmanuel Macron est en charge d’y faire avancer les dossiers. La directive de la Commission pourrait ne pas apparaître à l’ordre du jour dudit Conseil durant les six mois de mandat ou être retricoté sous l’égide de l’hexagone. Le président français, en pleine campagne électorale pour un second mandat, pourrait à l’inverse se servir de la directive comme une démonstration de sa fibre sociale, plutôt discrète jusqu’à présent.