Le Sénat américain suit la voie ouverte par la Chambre des représentants en matière de législation antitrust contre les géants du numérique. Les élus démocrates et républicains ont su mettre de côté leurs divergences face à des entreprises qui n’hésitent pas à mettre la main au portefeuille pour faire entendre leurs points de vue.

Sénateurs démocrates et républicains main dans la main pour les lois antitrust

La sénatrice démocrate Amy Klobuchar, en pointe sur les questions de concurrence, s’est félicitée de l’atmosphère actuelle, rapporte le Wall Street Journal, « j’ai l’impression que nous avons enfin atteint un point de basculement qui nous permettra d’avancer sérieusement ».

L’élu soutient actuellement une proposition de loi appelée American Innovation and Choice Online Act (pdf) avec onze autres sénateurs, six républicains, six démocrates. Le texte vise à favoriser l’interopérabilité des plateformes, interdire aux plus importantes d’autoréférencer leurs produits ou d’utiliser les données récupérées pour se donner un avantage concurrentiel. Google et Amazon sont les premiers concernés ici.

Deux autres textes sont à l’étude, l’un a pour but d’imposer aux grandes entreprises technologiques de prouver pour chaque nouvelle acquisition qu’elle ne menace pas la situation de concurrence. Un autre vise à encadrer la situation des boutiques d’applications.

Cynthia Lummis, sénatrice républicaine, et marraine de ce dernier texte illustrent l’évolution des mentalités qui prévaut parmi les sénateurs. Elle a expliqué au Wall Street Journal « Je suis une partisane de la liberté des marchés, mais les marchés ne peuvent pas fonctionner librement si une poignée d’entreprises peuvent contrôler tous les points d’accès ».

Le Sénat suit la route de la Chambre des représentants. En juin 2021, la commission judiciaire de la Chambre a adopté plusieurs lois antitrust, malgré des débats houleux face aux désaccords des députés californiens. Mauvais point, la proposition est en suspens depuis et le Congrès a du mal à concrétiser le passage de ces textes dans la loi.

Le chef de la majorité démocrate de la Chambre des représentants, Steny Hoyer, avait prévenu, beaucoup de discussions vont être nécessaires avant l’aboutissement de nouvelles lois antitrust, et la Chambre sera attentive à la route prise par le Sénat.

Les GAFAM se défendent à coups de billets verts

Le Congrès américain doit faire face au lobbying intense des grandes entreprises du numérique. Selon OpenSecrets, Amazon a dépensé 15,3 millions de dollars pour faire pression sur les élus, elle se classe en tête des dépenses de lobbying. Andy Jassy en personne a critiqué ces projets antitrust en septembre. Le champion du e-commerce est allé plus loin. Les entreprises tierces utilisant sa marketplace ont reçu un courrier pour les mettre en garde sur l’impact négatif pour elle d’une éventuelle législation contre l’autoréférencement.

Facebook, deuxième entreprise la plus dépensière en lobbying, avec 14,7 millions de dollars, n’a pas commenté. Google, plus sage avec seulement 9 millions dilapidés à Washington D.C. joue les équilibristes. D’un côté, l’entreprise reconnaît le besoin de renforcer législation sur la vie privée ou les pratiques concurrentielles, de l’autre elle brocarde les propositions en discussion.

Mark Isakowitz, vice-président de Google chargé des affaires gouvernementales et de la politique publique, a déclaré, en octobre, « Le Congrès devrait examiner attentivement les conséquences involontaires pour les Américains et les petites entreprises de la rupture d’une gamme de produits populaires que les gens utilisent tous les jours ». Apple est à peu près sur la même ligne.

Ces préoccupations sont généralement balayées par les sénateurs, qui les jugent exagérées. Les GAFAM cherchent à retarder le plus possible l’adoption de textes qu’ils estiment, à juste titre, défavorable pour eux. La lenteur des processus législatifs démontre que leurs dépenses de lobbying ne sont pas vaines. L’issue d’un ou plusieurs textes renforçant les lois américaines sur la concurrence semble en revanche inéluctable tant le sujet fédère dans l’opinion comme sur les bancs du Congrès.