Frances Haugen a échangé pendant près de trois heures avec les députés français de la Commission des affaires économiques et la Commission des lois ce mercredi 10 novembre. La lanceuse d’alerte est revenue sur ses révélations sur le comportement de Facebook, la nécessité de légiférer, notamment via le Digital Services Act (DSA) et la nécessité de protéger les lanceurs d’alertes.


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Les nombreuses questions des députés à Frances Haugen

Dans son propos liminaire, l’ex-employé de Facebook a repris peu ou prou son discours devant le Parlement européen : la propension du réseau social à privilégier le profit à la sécurité des utilisateurs, le manque de transparence d’une entreprise juge et partie, la nécessité d’une réforme venant des États pour réguler la plateforme.

Frances Haugen a répondu ensuite à une partie des nombreuses questions de la vingtaine de députés ayant pris la parole. Un afflux dont elle s’est amusée à la fin de son audition, « je n’ai jamais eu à prendre autant de notes pour un exposé ! » a-t-elle proclamé dans un sourire.

Le potentiel du DSA a été de nouveau salué par Frances Haugen pour lequel elle voit un « potentiel énorme ». La veille, lors des questions au gouvernement, le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique, Cédric O a promis aux députés à propos du DSA et DMA, « nous les porterons et nous les ferons aboutir dans le cadre de la présidence française [la France assurera à partir de janvier et pour six mois la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne] ».

L’intérêt du texte est le droit de regard qu’il impose sur les contenus, les algorithmes de Facebook. La plateforme ne sera plus « seule arbitre » sur sa modération. Dans le cas où le DSA manquerait d’ambition, Frances Haugen a affirmé que « si une poignée d’États collaborent et s’unissent, ils seront capables d’agir ».

La lanceuse d’alerte s’est ensuite exprimée sur plusieurs points. Sur la modération des contenus, elle a garanti aux députés « il n’y a pas assez de modérateurs francophones ». Elle a pointé du doigt le système des groupes sur le réseau social, « Facebook choisit deux, trois ou cinq contenus parmi les 5 000 publiés sur les groupes. Or, la colère engendre plus de réactions ; ils sont privilégiés dans ce choix ».

Sans répondre à la question d’un élu sur l’éventuel rôle de diversion du changement de nom en Meta, Frances Haugen a fait entendre son inquiétude sur un projet de Facebook « très préoccupant ». Elle a posé la question des « capteurs, micro, caméra » nécessaire pour le métavers, en particulier dans le cadre du travail ou télétravail, où ils pourraient être imposés au salarié.

Frances Haugen en train de s'exprimer à l'Assemblée nationale

Frances Haugen était entendue par la Commission des affaires économiques et la Commission des lois. Crédit : Assemblée nationale

Quelle protection pour les lanceurs d’alerte ?

Les parlementaires français ont longuement interrogé Frances Haugen sur son statut de lanceuse d’alerte et pour cause, l’Assemblée nationale travaille sur une proposition de loi sur cette question. Sans surprise, Frances Haugen encourage « la protection des employés et anciens employés ». Elle précise qu’à Facebook, ceux qui tentaient de protester en interne subissaient un sort peu enviable, « ils étaient tout simplement virés, leurs accès retirés et ce qu’ils ont écrit sont effacés ».

Elle a pointé du doigt la rémunération des lanceurs d’alerte, elle-même admet avoir trouvé la liberté de dénoncer Facebook grâce à ses moyens personnels. Selon elle il convient de se pencher sur les personnes qui n’osent pas réagir « par manque d’argent » ou par manque de facilitateurs, « une chose qui arrête beaucoup de lanceurs d’alerte, c’est qu’ils ne savent pas quelles sont les prochaines étapes. Ils ne savent pas qui contacter ! ».

Facebook a répondu indirectement à Frances Haugen, sans la citer nommément, selon la stratégie désormais classique de l’entreprise. Dans une tribune publiée dans Le Monde la veille de l’audition la vice-présidente de Meta en charge des contenus, Monika Bickert reprend les lignes de défense du réseau social.

Facebook ne veut pas « prendre seul tant de décisions complexes »

Elle a expliqué que laisser des contenus nuisibles était « un non-sens économique » pour Facebook. Ils feraient fuir tant les utilisateurs que les annonceurs. Monika Bickert martèle « dire que nous concevons ces algorithmes pour promouvoir les contenus sensationnalistes ou qui engendrent un sentiment de colère est parfaitement faux ».

Elle a dévoilé les dépenses de Facebook pour « protéger les utilisateurs », environ 4,3 milliards d’euros en 2021 et « 40 000 personnes qui travaillent à cette mission essentielle ». Elle affirme, sans que cela puisse être confirmé, que « nous détectons aujourd’hui plus de 97 % des contenus haineux que nous supprimons avant même que quelqu’un nous les signale ». Ces derniers représenteraient moins de 0,05% des contenus.

Dans sa tribune, la vice-présidente de Meta appelle sans ambiguïté à un rôle de l’État dans la régulation des plateformes, « il est parfaitement légitime qu’il soit attendu d’entreprises comme Meta qu’elles rendent des comptes sur la manière dont elles traitent des problématiques comme la modération des contenus ou le rôle des algorithmes ».

Une phrase qui ressemble à un soutien implicite au DSA bien que le texte ne le mentionne pas. Le comportement de Facebook au cours des discussions parlementaires européennes attestera de la sincérité de ces propos. De son côté, Frances Haugen va achever son tour de France en répétant l’exercice devant les sénateurs dans la foulée puis en s’entretenant avec Cédric O le 11 novembre.