À l’origine de l’univers virtuel de Facebook ? Un document d’une cinquantaine de pages intitulé « The Metaverse » de juin 2018. Ce texte, récupéré par CNBC, est l’œuvre de Jason Rubin, alors cadre d’Oculus et bien conscient des difficultés pour populariser un casque de réalité virtuelle.

« Briser l’indifférence des consommateurs à l’égard de la réalité virtuelle »

Le texte sorti quelques mois après le film sur un métavers, Ready Player One, met en scène Priya. Priya dépense sa monnaie virtuelle (des Diem ?) au bowling, dans les boutiques, passe devant une publicité Coca-Cola et le pavillon de Facebook, « le plus grand bâtiment, presque semblable à une église dans sa domination de la place » dépeint le récit. Elle finit par se marier avec un ogre vert croisé au hasard de ses pérégrinations virtuelles. Priya doit passer le moins de temps possible dans ce qui est nommé le « metaverse », la vie réelle.

deux avatars de Facebook dans le Metaverse

Prya ? Image : Meta.

Derrière cette vision plus ou moins attrayante, un objectif très terre à terre : développer et dominer le marché de la réalité virtuelle. Oculus a été racheté par Facebook en 2014 pour 2 milliards de dollars, et le projet a déjà englouti des centaines de millions d’investissements, pourtant il ne réunit quatre ans plus tard que 250 000 joueurs actifs mensuellement.

Dès la première page, Jason Rubin estime nécessaire « de briser l’indifférence des consommateurs à l’égard de la réalité virtuelle ». Pour lui l’utilisateur moyen attend une expérience réalité virtuelle « toute cuite », ce qui correspondrait au métavers.

Les destinataires du document sont choisis stratégiquement : Marc Andreessen, membre du conseil d’administration de Facebook depuis 2008, a déjà investi dans Oculus et Roblox. Le second est Andrew Bosworth, responsable de la division hardware de Facebook, futur directeur de la technologie. À leurs côtés, Hugo Barra, Vice-président de Facebook chargé de la réalité virtuelle.

Rendre le métavers de Facebook hégémonique

Jason Rubin fait miroité aux responsables contactés un avenir éclatant pour le métavers : 100 millions d’appareils vendus en 10 ans, plus de revenus avec 100 millions d’utilisateurs qu’avec un milliard IRL (in real Life) et dans 20 ans un média aussi hégémonique que la télévision des années 90.

Un tel succès a une condition sine qua non, « Nous devons être les premiers à agir, et faire les choses en grand, ou nous risquons de n’être qu’un challenger » écrit Jason Rubin qui ajoute, « Construisons le métavers pour les empêcher [les concurrents] d’être dans le secteur de la réalité virtuelle d’une manière significative ».

À l’époque, le contexte est favorable pour acquérir une position hégémonique dans le secteur. Apple est à la traîne, Google ne s’en sort pas avec Daydream, abandonné en 2020, HTC a des problèmes avec ses fournisseurs et Valve peine à suivre en termes d’investissement.

En 2021, Jason Rubin a mis de l’eau dans son vin

Dans ce qui ressemble à un remake 2.0 du célèbre discours de Winston Churchill, du sang, du labeur, des larmes et de la sueur, Jason Rubin assène « Si le métavers que nous voulons construire ne nous fait pas peur, alors ce n’est pas le métavers que nous devons construire ». Il estime que Facebook en faisant cavalier seul peut atteindre son objectif en quatre ans seulement.

Devenu entre-temps vice-président chargé des contenus pour le métavers, Jason Rubin a expliqué à CNBC être revenu sur ses positions de 2018. Comme l’a affirmé Mark Zuckerberg lors de sa présentation du Facebook Connect, l’interopérabilité et l’ouverture du métavers sont devenues des points importants de la vision de l’entreprise. Facebook n’aspirerait plus à posséder et contrôler seul le système.

Mark Zuckerberg dans Horizon Home

Quelques divergences notables existent entre le projet de 2018 et la présentation de Mark Zuckerberg. Image : Meta.

Le délai a aussi évolué, de quatre ans, il est passé à cinq voire dix ans lors de la présentation du fondateur du réseau social, renommé pour l’occasion Meta. Une autre divergence avec 2018, lorsque Jason Rubin préconisait une politique du fait accompli, de présenter un métavers déjà aboutit.

Aux mauvaises langues enclines à y voir derrière cette présentation précoce une volonté de diversion de Facebook face aux affaires, Jason Rubin répond que c’est une conséquence de l’ouverture du métavers. Les entreprises tierces, prêtes à participer à cette aventure doivent être tenues au courant des travaux de Facebook. Le vice-président de l’entreprise ajoute, « vous ne pouvez pas le garder sous le coude aussi longtemps ».