Personne n’est indétrônable et ça Cisco l’a malheureusement appris à ses dépens. Autrefois figure de proue des valeurs technologiques américaines, Cisco, qui bien que générant encore des milliards de dollars (44 milliards de chiffre d’affaires en 2021), a perdu de sa superbe depuis une bonne vingtaine d’années. Souhaitant suivre l’exemple de Microsoft, la société se mue depuis quelques années en entreprise spécialisée dans le cloud, un secteur qui ne cesse de gonfler chaque année, notamment depuis la pandémie.

Cisco et le crash des années 2000

Au début de l’an 2000, rien ne semblait arrêter l’entreprise spécialisée dans les logiciels et équipements de réseau, devenant le temps d’un instant la société la plus chère du monde avec une capitalisation boursière de 555 milliards de dollars. Alors que tous les indicateurs étaient au vert et que les investisseurs se ruaient sur les actions Cisco, le géant (au même titre que Microsoft, Yahoo ou AOL) s’est cassé les dents lors de la bulle internet. Le krach de nombreuses sociétés technologiques largement surévaluées par les marchés a entraîné une baisse des investissements dans les télécommunications, que la société n’avait pas prévue. Ainsi, après avoir racheté à l’époque plus de 80 startups (certaines au prix fort), Cisco est contrainte en 2001 de provisionner une charge, pour dépréciation d’actifs, de 2,2 milliards de dollars. S’en est suivi au cours des deux années suivantes un effondrement de près de 80 % du titre, soit une perte de capitalisation boursière totale de 431 milliards de dollars.

Depuis, la société a réussi à remonter la pente, mais à une vitesse un peu lente. Alors qu’Amazon, Google, ou Microsoft ont réussi à tirer pleinement profit de l’accélération de la numérisation des entreprises, Cisco a encore du mal à suivre les tendances. Toutefois, il convient de nuancer le propos. Cisco est loin d’être un échec et continue de générer d’importants bénéfices. Mais les investisseurs craignent que ses activités ne la conduisent petit à vers l’obsolescence dans un secteur qui va vite, très vite.

Une mue nécessaire pour la société

Bien consciente qu’elle est loin d’être à l’abri d’un second camouflet, Cisco souhaite se réinventer et pour cela elle compte bien prendre pour modèle Microsoft. La société plus connue du plus grand nombre pour son système d’exploitation a su se réinventer sous l’impulsion de Satya Nadella l’actuel PDG du groupe, passant d’une entreprise beaucoup trop dépendante de ses logiciels historiques (Windows et Office) à une véritable société spécialisée dans le cloud. Avec sa suite Office désormais disponible en ligne, Sharepoint pour le stockage de documents, Azure pour l’hébergement ou encore le Game Pass pour les jeux vidéo, Microsoft a créé une véritable panoplie de produits lui permettant de générer la moitié de son chiffre d’affaires sur le dernier trimestre se terminant fin septembre grâce au cloud (20,7 milliards de revenus liés au cloud sur ses 45,3 milliards sur le trimestre). Microsoft est désormais la seule entreprise américaine, à l’exception d’Apple, dont la valeur boursière dépasse les 2 000 milliards de dollars.

Chuck Robbins l’actuel PDG de Cisco a reconnu il y a plusieurs années qu’elle n’avait pas su saisir l’occasion de construire l’infrastructure initiale du cloud computing et a réagi en révisant sa stratégie. Il est pourtant étrange de constater que bien que les solutions cloud aient le vent en poupe, une société comme Cisco spécialisée dans la vente de matériel de télécommunications soit peu en capacité de profiter de l’explosion de la demande. Son manque de flexibilité, avec des équipements coûteux et non personnalisables lui font perdre de sa superbe auprès des géants Microsoft, Google ou Amazon.

Toutefois, Chuck Robbins débarqué en 2015, a su effectuer des changements significatifs au cours de son mandat. « Nous pensons que nous allons faire passer une plus grande partie de nos revenus à un modèle basé sur les logiciels et les abonnements et accélérer notre changement dans l’ensemble de notre portefeuille, » avait-il déclaré en 2016. Cisco a ainsi procédé à une série d’acquisitions qui en ont fait l’une des dix premières entreprises de logiciels au monde en termes de revenus. Les logiciels et les services ont dépassé le matériel et représentent désormais plus de la moitié de ses revenus.

Oui mais…

Cependant, rien n’est encore gagné pour la société qui présente encore quelques lacunes. Sa présence historique et son absence de notoriété auprès du grand public ne l’aident pas forcément. Alors que la pandémie a accéléré la transition des entreprises vers le numérique, son offre n’apparaît pas forcément des plus appropriées pour les petites et moyennes entreprises. Zoom Video a ainsi dépassé Webex en notoriété pour la vidéoconférence. Et les petites entreprises d’aujourd’hui sont peut-être celles de demain. Cisco a beau affirmer que son service Webex reste le choix préféré des entreprises clientes, elle ne communique pas de chiffres permettant une comparaison directe. Sa gamme de produits est également difficilement lisible. En plus de sa gamme traditionnelle de matériel, Cisco vend des logiciels de conférence, des solutions de sécurité et de gestion de réseau, des puces, des routeurs Wi-Fi… Et la société continue de s’éparpiller. Elle a ainsi racheté une trentaine de sociétés sur les quatre dernières années rappelant curieusement sa frénésie d’achat du début des années 2000… Le client lambda peut vite se retrouver perdu et être tenté de se tourner vers des entreprises proposant des offres bien plus claires. D’autant que les milliards ne font pas tout, il n’est pas évident pour une même entreprise de combattre sur autant de fronts à la fois.

La société qui se relève doucement a néanmoins compris certaines de ses erreurs et semble bien armée pour la suite. Mais le monde du cloud évolue sans cesse et il lui faudra bien un moment anticiper et innover plutôt que de racheter des sociétés lui permettant de combler ses lacunes. Auquel cas elle risque une fois de plus de se prendre les pieds dans le tapis.