« Nous sommes profondément préoccupés par le fait que des outils intrusifs hautement sophistiqués sont utilisés pour surveiller, intimider et réduire au silence les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et les opposants politiques », indique un groupe d’experts de l’ONU dans un communiqué publié le 12 août 2021. Cette déclaration s’inscrit dans le cadre d’un appel d’experts de l’ONU à un moratoire sur « la vente et le transfert de technologies de surveillance » à la suite de l’affaire de cyber-espionnage Pegasus.

Les experts de l’ONU demandent davantage de transparence sur l’affaire Pegasus

Cette affaire, révélée par le travail d’un consortium de 17 médias en collaboration avec Amnesty International, met la lumière sur l’utilisation du logiciel de l’entreprise israélienne NSO à des fins d’espionnage par des dizaines d’États. La surveillance établie par Pegasus a visé des hommes politiques, des militants ou encore des journalistes. Le groupe de travail de l’ONU estime qu’en l’absence d’une réglementation « solide » sur l’utilisation des technologies de surveillance, la vente et le transfert de ces dernières devraient être suspendus.

Début août, le groupe NSO a bloqué à certains de ses clients l’accès à son logiciel et a ouvert une enquête interne. Néanmoins, les experts de l’ONU demandent davantage de preuves avant d’innocenter le groupe NSO. « Compte tenu de l’audace et du mépris extraordinaire pour les droits de l’homme dont témoigne cette surveillance à grande échelle, si l’on veut que le déni de collusion du groupe NSO ait la moindre crédibilité, l’entreprise doit révéler si elle a ou non mené une véritable enquête préalable sur les droits de l’homme », souligne le communiqué de l’ONU. Le groupe a déclaré « qu’il ne répondra plus aux demandes des médias sur cette question et qu’il ne jouera pas le jeu de cette campagne vicieuse et calomnieuse ».

Le groupe d’experts demande également à l’État d’Israël de rendre publiques les mesures prises pour « examiner les transactions d’exportation de NSO à la lumière de ses propres obligations en matière de droits humains ». Ce qui semble être en référence à l’enquête ouverte contre l’entreprise par Israël le 28 juillet 2021. Sur les droits humains, Israël est classé en orange par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (OHCHR) en termes de ratification aux traités internationaux, avec neuf traités ratifiés sur les 18 existants.

Des faits déjà pointés

Comme en témoigne l’enquête ouverte en 2020 par le FBI sur une éventuelle utilisation de Pegasus à des fins de piratage, le groupe NSO a déjà été scruté au sujet de la surveillance. Ce n’est également pas la première fois qu’un rapport de l’ONU s’intéresse à l’impact de la surveillance sur les droits humains. Les experts relèvent qu’à la parution d’un rapport publié en 2019 « la communauté internationale n’avait pas prêté attention ».

« Le présent rapport détaille, cas après cas, l’utilisation par les gouvernements de logiciels de surveillance développés, commercialisés et soutenus par des entreprises privées. Il a été démontré que la surveillance d’individus spécifiques – souvent des journalistes, des militants, des figures de l’opposition, des critiques et d’autres personnes exerçant leur droit à la liberté d’expression – a conduit à des détentions arbitraires, parfois à de la torture et éventuellement à des exécutions sommaires », indiquait déjà le rapport de 2019.

À en lire Bullshit Jobs, écrit par l’anthropologue David Graeber, qui a notamment enseigné à la London School of Economics, le manque d’actions entreprises à la suite de publications de rapports n’est pas spécifique à la surveillance ou à NSO.

« Quand des agents de l’État se font pincer à faire quelque chose de très répréhensible – par exemple, accepter des pots-de-vin ou abattre des citoyens lors de contrôles routiers -, la première réaction est toujours de créer une « commission d’établissement des faits » pour aller au fond des choses. Cela sert à proclamer deux idées : 1) hormis une poignée de fripouilles, personne ne se doutait que de tels agissements avaient cours (ce qui, bien entendu, est rarement vrai); 2) une fois l’affaire éclaircie, des mesures très concrètes seront prises pour régler le problème (c’est généralement tout aussi faux) », estime David Graeber.

Le groupe d’experts de l’ONU ayant rédigé le rapport a réuni Irène Khan, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’expression, Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Clément Nyaletsossi Voulé, Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association et le Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme.