Les tests avancent bien pour le yuan numérique, DCEP, ou e-CNY. Le premier livre blanc sur cette monnaie numérique de banque centrale (MNBC) publié le 16 juillet rapporte qu’elle est testée dans 10 villes. À la fin du mois de juin, 20 millions de portefeuilles étaient comptabilisés et les transactions ont atteint 5,4 milliards de dollars en valeurs. Ant Group via Alipay et Tencent via WeChat Pay ont pris part à ce bilan positif, qui pourrait pourtant retourner contre eux.

Le yuan numérique risque de marcher sur les plates-bandes d’Ant et Tencent

Les auteurs du livre blanc le constatent pour justifier l’existence de la DCEP, le paiement en liquide a diminué en Chine. Dans certaines villes, il a même quasiment disparu. Face à ce phénomène, la Banque populaire de Chine en arrive à une évidence : le développement du yuan numérique destiné aux paiements aux détails est un service « plus pratique, plus sûr, plus inclusif et plus respectueux de la vie privée ». Une monnaie numérique émanant de la banque centrale et donc unifiée, avec une application autonome pour son portefeuille.

Alipay et WeChat Pay ne sont pas mentionnées ici, pourtant ils sont omniprésents. Les services d’Ant et de Tencent sont ceux qui ont mené le paiement liquide à sa perte. Les deux entreprises sont aussi au cœur de la reprise en main par Pékin des géants du numérique, sur la question de la gestion des données personnelles notamment. Enfin, depuis plusieurs années, la Banque populaire de Chine tente de convaincre les deux concurrents de rendre leurs services interopérables en Chine, sans succès.

La Banque centrale chinoise met un point d’honneur à préciser que sa MNBC sera complémentaire avec les autres services numériques. Cependant, l’établissement n’a pas précisé si Alipay sera reconnu comme opérateur portefeuille officiel du yuan numérique. Le risque pour la suprématie des services d’Ant et Tencent est réel.

Les géants chinois entre le marteau et l’enclume

Les employés de l’entreprise sœur d’Alibaba ont eu l’occasion de le constater par eux-mêmes. À la fin de 2020, l’entreprise avait dû renoncer à son entrée en bourse à cause des barrières érigées par Pékin. Selon le Wall Street Journal, Jack Ma alors PDG de l’entreprise, en délicatesse avec le pouvoir, aurait, pour plaire à Pékin, lancé un test clandestin du yuan numérique.

Jusque-là 6 banques d’État expérimentaient déjà la DCEP. MYbank de Ant et WeBank de Tencent participaient également, mais de façon plus limitée que les établissements publics. Fin 2020 les cadres supérieurs d’Ant commencent à expérimenter la monnaie numérique. Ils sont rejoints en février 2021 par un panel beaucoup plus large d’employés d’Ant Group et Alibaba. Au total des dizaines de milliers de personnes pouvaient régler différents services sur les campus des deux entreprises en Chine et même des achats en ligne auprès de détaillants soutenus par Alibaba.

Ce test clandestin a permis aux employés d’Ant de saisir rapidement la menace de la MNBC chinoise pour leur propre service. Selon Eswar Prasad, ancien responsable de la division Chine du Fonds monétaire international, consulté par le Wall Street Journal, la situation des deux géants est inconfortable, « Pour Ant et Tencent, il est risqué d’encourager le développement de l’e-CNY, mais il est encore plus risqué de rester sur la touche ». Ant et Tencent l’ont répété au journal américain, ils continueront à mener des essais pour aider au développement du yuan numérique. Le livre blanc ne le précise pas, mais la monnaie pourrait être déployée à partir des Jeux olympiques d’hiver organisés par Pékin en 2022.