Aujourd’hui, les consommateurs ont l’habitude d’être exposés aux mêmes messages publicitaires sur les mêmes canaux de communication. Pour se démarquer en ligne ou en physique, les marques repensent leurs campagnes marketing, notamment grâce à l’avancée de certaines technologies comme la réalité augmentée (AR). Depuis plusieurs années, elle tient une place de plus en plus importante sur les plateformes sociales, particulièrement avec le développement des filtres. Si les effets en AR représentent, à première vue, un défi pour certaines marques, ils sont pourtant un outil de demain du marketing, de la communication et de l’e-commerce.

Les filtres en réalité augmentée, un usage en pleine mutation

Du divertissement au marketing

Au fil des innovations des plateformes sociales, les filtres en réalité augmentée ont vu le jour. Les utilisateurs ont alors découvert des effets divertissants qui habillent leurs visages ou leur offrent une nouvelle vision du monde qui les entoure. La nouvelle expérience qu’ils proposent, plus immersive, a rapidement séduit, leur permettant de connaître un essor considérable autant en ligne qu’en physique. “Aujourd’hui, sur 280 millions de personnes qui utilisent Snapchat tous les jours, il y en a 200 millions qui utilisent la réalité augmentée”, confie à Siècle Digital Grégoire Gimaret, product marketing lead chez Snapchat.

S’ils étaient, à l’origine, plutôt créés pour amuser les internautes, leur usage a rapidement évolué. Le développement des technologies mobiles y est pour quelque chose. Les utilisateurs sont mieux équipés, avec des smartphones plus performants. Les premiers bêta-test de Google Glass et l’émergence de Pokémon Go ont alors aidé à démocratiser la réalité augmentée dans plusieurs secteurs.

Par la suite, ce sont les réseaux sociaux qui ont largement contribué à la popularisation et à la mutation de cette technologie, la transformant en un outil imparable. Conscients de l’intérêt marketing et commercial que les filtres en réalité augmentée offraient, ils ont tous développé des fonctionnalités ou des logiciels qui pourraient être utiles aux entreprises. Snapchat a alors popularisé les Lenses, accompagnés d’outils pour les utilisateurs souhaitant créer ces filtres. Du côté de Facebook, Spark AR, logiciel dédié à cette technologie, a vu le jour.

Certains secteurs en sont déjà friands

Pour de nombreuses marques, au-delà d’ajouter des accessoires sur la tête des utilisateurs, les filtres en AR se sont révélés être des outils très efficaces. Plusieurs secteurs se sont rapidement approprié cette nouvelle technologie pour l’intégrer à leurs campagnes publicitaires ou stratégie marketing.

“Le secteur de la beauté a été l’un des premiers à s’en emparer, avec ceux de l’entertainment et du gaming”, explique Farah Hamelin, product marketing manager chez Facebook France à Siècle Digital. “Ce sont des secteurs pour lesquels, c’était très naturel d’aller vers ces essais et ces filtres. Par exemple, dans la beauté, on va avoir le maquillage qui est une transformation physique et la réalité augmentée, c’est ça. Ça augmente, ça transforme la réalité via un procédé” ajoute-t-elle. Certaines plateformes sociales ont alors utilisé cette technologie pour faciliter l’expérience d’achat, comme Instagram, mais aussi Pinterest, qui permet d’essayer et d’acheter des rouges à lèvres depuis sa plateforme.

une femme qui essaye l'effet de réalité augmentée rouge à lèvres de L'Oréal sur Instagram

Les filtres de beauté se sont multipliés sur Instagram, parfois accompagnés d’une option pour acheter le produit présenté. Image : Instagram

Les marques de luxe, portées sur l’innovation et très curieuses, ont également aidé à démocratiser ce nouvel outil. Il leur a permis de transporter leur univers sur les réseaux sociaux, de manière immersive et efficace. Avec Snapchat, Dior a créé une Lens pour la promotion de leur paire B27. Pour un euro investi en publicité, six euros étaient générés en vente de baskets sur leur site grâce à ces chaussures. Conscientes qu’il leur est nécessaire d’adapter les valeurs qui sont ancrées dans leur héritage, les entreprises du luxe se sont adaptées au monde virtuel dans lequel se trouvent les nouvelles audiences. Pour leur parler, il était nécessaire d’opter pour ce nouvel outil de communication visuelle.

effet de réalité augmentée snapchat de la paire de chaussures Dior B27

La Lens de la paire B27 a été vue 2,6 millions de fois sur le profil Snapchat de Dior. Image : Snapchat

Une démocratisation du côté des marques ?

Quels éléments peuvent freiner les entreprises ?

Malgré son arrivée progressive dans de multiples secteurs, certaines marques restent sur leurs gardes quant à l’utilisation de la réalité augmentée. En cause, certaines idées préconçues qui ont vu le jour suite à l’émergence de cette technologie. Pour Farah Hamelin, deux biais principaux peuvent être dégagés. “À l’époque, c’était tout nouveau, alors il fallait passer beaucoup de temps dessus pour comprendre. Passer du temps à apprendre ce que c’est, cela coûte cher. Et lorsqu’un nouveau produit sort sur le marché, il y a cette volonté de vouloir explorer toutes les possibilités, en étant parfois un peu trop complexe”. Pour ces raisons, certaines entreprises percevaient l’AR comme quelque chose de coûteux et chronophage.

“Il y avait l’autre biais de dire : c’est gadget, c’est geek”, explique Farah Hamelin. De nombreuses firmes voyaient cela comme une technologie destinée à un public plutôt jeune, qui ne convertissait pas forcément les investissements en bénéfices.

Pour Romain Cochard, cofondateur et CEO de Filter Maker, agence spécialisée dans la création de contenu en réalité augmentée, il est nécessaire “d’évangéliser le marché”. Pour cela, il est indispensable de faire prendre conscience aux marques des intérêts que représente le secteur de l’AR. Par exemple, elles peuvent l’utiliser pour résoudre des problèmes liés à la vente en ligne. Cela s’est avéré particulièrement utile lors de la crise sanitaire, qui a ouvert de nouveaux secteurs à cette technologie, notamment l’ameublement. Dans ce cas précis, le filtre n’a alors pas un objectif de notoriété dans une campagne publicitaire, mais un objectif utilitaire.

Par exemple, lors de la pandémie, Castorama a collaboré avec Facebook sur un filtre permettant de tester des cloisons, directement depuis son salon. “L’effet en réalité augmentée va être la transposition digitale d’une cabine d’essayage pour offrir plus de transparence concernant les produits à un utilisateur”, développe Farah Hamelin. C’est également le cas dans le domaine de l’automobile, où des marques comme Toyota et Hyundai se sont emparées des Lenses de Snapchat pour faire découvrir l’intérieur de leurs véhicules.

De manière générale, l’utilisation des filtres en réalité augmentée devient de plus en plus spontanée. Malgré tout, les PME s’approprient cette technologie plus lentement que les grands groupes, car elles sont moins portées sur l’innovation. Néanmoins, les grandes entreprises montrent, à leur tour, parfois des réticences. En cause l’user-generated content (UGC), qui désigne tout contenu publié par des utilisateurs sur les réseaux sociaux. “Certaines marques ont peur qu’une mauvaise utilisation en soit faite, et que cela se transforme en bad buzz pour elles”, explique Romain Cochard.

Pour que ces idées reçues changent, les agences et les réseaux sociaux ont un rôle à jouer. “Il faut éduquer les marques à propos de la réalité augmentée”, affirme le CEO de Filter Maker. Il est alors nécessaire de leur expliquer que le coût d’un filtre, qui débute en moyenne à 1 000 euros, est un bon investissement par rapport aux résultats.

Les marques françaises sont en avance

On pourrait croire que la France est en retard sur les usages de la réalité augmentée, mais c’est pourtant le contraire. Du côté de Snapchat, cela vient du fait que le réseau social a un écosystème de partenaires très développé dans le pays, mais pas seulement. Dans l’hexagone, de plus en plus de créateurs individuels travaillent avec la plateforme, c’est pourquoi elle leur a dédié une marketplace. Cela permet de les répertorier, et ainsi les mettre en relation plus facilement avec des firmes. “On a aussi des studios partenaires, en France, dont Atomic, qui sont des entreprises créées autour de la réalité augmentée. Le fait d’avoir cet écosystème à la fois de créateurs et d’entreprises qui sont dédiées à cela, cela aide les marques à se lancer”, explique Grégoire Gimaret.

Aujourd’hui, les consommateurs français ont de plus en plus de mal à commander un produit qu’ils ne peuvent pas essayer ou acheter, particulièrement les produits de luxe. Les filtres en réalité augmentée vont venir combler ce manque de transparence. Pour une marque, cela va se traduire par une augmentation du panier moyen. Cette transposition digitale lui permettra aussi de diminuer son taux de retour, et ainsi la logistique. Certaines marques françaises qui étaient au départ sceptiques quant à ce nouvel outil, commencent à adopter ce type de réflexion, et à saisir les intérêts de la réalité augmentée.

Un outil de marketing et de communication majeur

L’immersion, une notion qui séduit de plus en plus d’utilisateurs

Ce qui séduit l’utilisateur et le consommateur avec les filtres, c’est pouvoir prendre part à une expérience. C’est une notion qui n’était pas présente dans les premiers filtres ou “cadres”, qui habillaient simplement une photo ou une vidéo. “Intégrer un cadre ne va pas donner envie à l’utilisateur, il va avoir l’impression d’être un panneau publicitaire, note le cofondateur de Filter Maker.

Ce qui plaît dans les filtres en réalité augmentée, c’est que cela relève de l’ordre du jeu. C’est un outil ludique qui va permettre de réenchanter la manière de découvrir un produit et transformer le parcours d’achat. “Créer un jeu en réalité augmentée va permettre de mettre en place des actions pour que l’utilisateur s’en serve”, ajoute Romain Cochard.

L’interaction devient de plus en plus stratégique pour s’assurer que le consommateur ou l’utilisateur sera réceptif au message de la marque. De plus, la plupart d’entre eux ont une attention très limitée sur les réseaux sociaux – seulement de quelques secondes. Il est essentiel de proposer un contenu engageant et stimulant. Pour cela, les filtres en réalité augmentée cochent toutes les cases, et permettent parfois à l’utilisateur de détacher l’enjeu marketing de l’effet 3D qui lui est présenté.

En matière de résultats, ces nouveaux formats publicitaires vont être plus efficaces que ceux plus classiques, comme l’affichage. “Chez Snapchat, on arrive à mesurer si les gens qui sont exposés à une Lens finissent par préférer la marque après avoir joué avec la Lens”, explique Grégoire Gimaret. “Par exemple, dans le cas de notre partenariat avec Perrier, nos résultats montrent que les personnes qui ont été exposées à la Lens de la marque ont une connaissance du produit qui est beaucoup plus forte”.

Les filtres en réalité augmentée s’adressent à tous

Dans l’imaginaire commun, les filtres en réalité augmentée ne sont destinés qu’à une seule audience : les jeunes ayant entre 12 et 25 ans. En réalité, les filtres en AR des plateformes sociales touchent un public bien plus large. Par exemple, il y a sur Facebook une notion transgénérationnelle grâce à laquelle chaque utilisateur peut prendre possession de ce nouvel outil de la façon qu’il souhaite.

“Dans le produit Portal, le pilier phare est le contenu en réalité augmentée qui permet aux parents de raconter une histoire interactive à leurs enfants. Sur le Portal, ils peuvent choisir l’histoire qu’ils veulent, pour l’instant seulement en anglais, et peuvent mettre la tête de l’enfant par rapport à la caméra du Portal de telle sorte à ce qu’il soit immergé dans l’histoire en réalité augmentée”, illustre Farah Hamelin.

une femme avec un effet en réalité augmentée issu de Portal de Facebook

Avec Portal, il est possible de raconter des histoires interactives grâce à la réalité augmentée, à distance ou côte à côte. Image : Facebook

La génération Z et les millennials sont les premiers à s’emparer des nouvelles technologies, mais ils ne sont pas les seuls pour autant. C’est notamment le cas sur Snapchat, où, en France, la moitié des utilisateurs ont plus de 25 ans, affirme Grégoire Gimaret. ”Je pense qu’on a rendu le réseau social assez facile d’utilisation pour que, par exemple, une mère puisse communiquer avec ses enfants dessus en utilisant des Lenses”.

Ils impactent aussi bien le panier d’achat que le taux de conversion

Les filtres en réalité augmentée sont un levier utile pour augmenter l’engagement d’une marque. Grâce à eux, le reach, qui correspond à la portée d’une campagne, peut atteindre plusieurs millions de personnes. Les avantages que proposent les effets en AR, comme contourner certains freins à l’achat, offrent des résultats satisfaisants sur l’ensemble de la fenêtre marketing d’une marque.

effet de réalité augmentée snapchat d'une paire de chaussures issu de la collaboration Lacoste x National Geographic

La Lens créée pour la campagne de Lacoste et National Geographic permettait aux utilisateurs d’essayer les produits en un clic. Image : Snapchat

Lacoste et National Geographic, qui ont collaboré avec Snapchat dans le cadre d’une de leur campagne commune, ont obtenu 16 points de notoriété en plus et un taux de conversion qui s’est multiplié par 17. Les utilisateurs sont plongés dans une expérience, mais il y a des impacts très concrets sur les objectifs de retour sur investissement des firmes.

Au départ perçus comme une simple tendance, les filtres en réalité augmentée se démocratisent au fil des années autant auprès des utilisateurs que des marques. Ils viennent petit à petit s’ancrer dans la communication et l’e-commerce pour offrir une expérience de shopping plus immersive. Ils permettent non seulement aux marques de faire découvrir leurs univers et leurs produits, mais aussi de les vendre. S’ils se transforment en outil essentiel pour elles, le rôle des plateformes sociales et des agences créatives reste primordial. Elles doivent leur démontrer que leurs impacts sur les ventes, leur image ou la réussite d’une campagne sont importants. Pour Grégoire Gimaret, il n’y a aucun doute, “c’est le futur de la communication qui va s’exprimer à travers la caméra”.