Smartphones, ordinateurs, véhicules, console de jeux… De nos jours, les puces sont absolument partout, il y a d’ailleurs de grandes chances qu’elles viennent de la même entreprise, la Taïwan Semiconductor Manufacturing Corp (TSMC). C’est vers elle que tous les regards se tournent alors qu’une pénurie mondiale de puces commence à affecter plusieurs secteurs industriels.
La success-story dans l’univers des semi-conducteurs
TSMC a été créée, comme son nom l’indique, à Taïwan Morris Chang, en 1987. L’entreprise a, dès sa création, bénéficié de l’aide de son gouvernement qui a mis sur la table la moitié du financement initial. Poussé par ce dernier, Morris Chang, ancien employé de Texas Instrument, a alors fait un pari : bientôt, les entreprises qui conçoivent et fabriquent des semi-conducteurs décideront de se concentrer uniquement sur la conception, mais pas sur la production. L’atout considérable de TSMC pour convaincre les entreprises d’externaliser la fabrication vers Taïwan, c’est sa neutralité. Elle ne conçoit pas de puces, donc le risque de vol de propriété intellectuelle est limité, elle se charge simplement de confectionner les puces des autres, à l’instar d’Intel ou Nvidia.
Des paris gagnants, TSMC en fera d’autres. Durant la crise financière par exemple, l’entreprise double ses investissements en recherche et développement, avec un montant de 2,7 milliards de dollars en 2009. Timing parfait : les smartphones débarquent sur le marché avec d’immenses demandes en puces avancées. En 2013, Apple décide de se tourner vers TSMC pour les puces de ses appareils au détriment de Samsung, un concurrent de plus en plus sérieux de la marque à la pomme. Depuis 2014, l’entreprise continue d’investir vers les technologies de fabrication les plus avancées, pour faire des puces toujours plus petites.
Ces choix stratégiques ont payé. TSMC est classée 11e plus grande entreprise du monde en termes de capitalisation boursière, elle s’élève à 550 milliards de dollars. Au premier trimestre 2021, elle a généré 65% des revenus mondiaux de la fabrication de puces selon le cabinet de recherche spécialisé TrendForce, cité par le Wall Street Journal. En 2020, l’entreprise a déclaré 17,6 milliards de dollars de bénéfices et un chiffre d’affaires de 45,5 milliards de dollars.
TSMC, un enjeu géopolitique
Problème, ce succès a fini par créer une TSMC dépendance dans le monde. Le Wall Street Journal va jusqu’à comparer cette dépendance à celle des pays occidentaux aux pétroles du Moyen-Orient au siècle dernier.
Selon le cabinet d’étude Capital Economics, TSMC fabrique 92% des puces les plus sophistiquées du monde, laissant quelques miettes à Samsung, seul concurrent un minimum sérieux. La plupart des 1,4 milliard de processeurs de smartphones sont signés TSMC. L’entreprise conçoit également 60% des microcontrôleurs désormais omniprésents dans les véhicules du monde entier, de plus en plus connectés.
Cette dépendance finit par se payer. Avec les confinements, la demande en semi-conducteurs a suivi celle en matériel informatique. S’ajoute à cela l’arrivée de la téléphonie 5G, entraînant une pénurie de puces électroniques importantes dans le monde entier. Le conflit entre les États-Unis et la Chine a également joué un grand rôle dans cette affaire.
En tant qu’entreprise taïwanaise, TSMC est au coeur des tensions entre les deux grandes puissances. Les États-Unis ont fait perdre à TSMC son plus gros client en 2020, Huawei. Pour pouvoir continuer à fabriquer ses appareils, l’entreprise chinoise a constitué de vastes stocks de semi-conducteurs, imités par Apple en prévision de la sortie de l’iPhone 12 puis des autres constructeurs, entraînant un effet boule de neige aboutissant à la pénurie actuelle.
TSMC est également un bouclier pour Taïwan. L’île, revendiquée par la Chine, est sous la menace d’une invasion, en particulier avec le renforcement militaire de l’Empire du Milieu ces dernières années. Pour certains dirigeants taïwanais, TSMC constitue un « bouclier de Silicium » : attaquer l’île pourrait mettre en péril les approvisionnements en semi-conducteurs chinois, comme ceux du reste du monde.
Un retard qu’il sera difficile à combler
La plupart des grandes puissances ont pris conscience avec la pénurie actuelle de ce point faible que constitue le besoin en puces. Les plans se multiplient aux quatre coins du monde pour pallier au problème. L’administration Biden a mis au point un plan d’infrastructure de 50 milliards de dollars pour retrouver une capacité de fabrication de puces. Un besoin ironique étant donné que les États-Unis sont le leader mondial de la conception de puces avec des acteurs comme Intel, Nvidia, Qualcomm… La Chine a elle aussi mis en place son propre plan.
C’est également le cas de l’Union européenne. L’Allemagne est en première ligne, puisqu’en mai, Audi à dû mettre au chômage technique 10 000 employés fautes de microcontrôleurs TSMC. Les gouvernements allemands et français en tête ont poussé pour que l’UE produise 20% des puces nouvelles générations dans le monde d’ici 2030.
Un voeu pieux qui ne sera pas évident à concrétiser devant le retard accumulé. TSMC multiplie les annonces de plans d’investissement en recherche et développement comme en infrastructure pour faire face à la pénurie mondiale. L’entreprise a annoncé un plan de 100 milliards de dollars sur trois ans, un quart des dépenses d’investissement du secteur selon le cabinet spécialisé VLSI Research. Il faut dire que les investissements pour produire les puces les plus perfectionnées peuvent rapidement grimper : plus de 100 millions de dollars pour l’outil qui imprime les motifs de circuit sur le silicium, une usine peut coûter jusqu’à 20 milliards de dollars.
Selon le cabinet spécialisé IC Insights, pour réussir à rattraper TSMC et Samsung, il faut prévoir de mettre 30 milliards de dollars sur la table tous les ans pendant cinq ans. Une gageure pour des pays devant affronter la crise post-Covid. En attendant, TSMC s’associe à des projets en Europe, ainsi qu’aux États-Unis pour construire des entreprises sur place et résorber la pénurie de puces, mais probablement pas avant 2023 voir 2025.